20. Turbulence

573 113 15
                                    

"Quand on ne sait pas ce qu'est la vie, comment pourrait-on savoir ce qu'est la mort ?" - Confucius 

***

Je suis réveillée par une sensation de légère brûlure, contre ma peau. Une situation si incongrue que mes yeux s'ouvrent d'un coup, tandis que tout mon corps se met en alerte. Alors que je m'attendais à voir des flammes, il n'y a qu'un rayon de soleil dardé sur mon visage.

Le contact de la chaleur est si étrange. Presque agréable. Etourdie par cette nouvelle expérience, je contemple sans vraiment le voir le dôme qui s'étend au-dessus de moi. Je n'ai jamais véritablement ressenti le soleil. Les visières de nos casques repoussent chaleur et lumière. Ici, les coupoles de Sithonius Lacus les laissent entrer, tout en nous protégeant des rayonnements cosmiques.

Mes doigts trouvent mécaniquement l'écran intégré dans la manche de ma combinaison intra-véhiculaire.

Sol 323, an martien 10, 11h39, heure martienne.

Nous sommes arrivés à Sithonius à une heure du matin, parmi les derniers colons. Après nous avoir fait rentrer à l'intérieur, Millie a brièvement posé une main sur mon épaule, un sourire triste sur les lèvres. La plupart des pionniers étaient rassemblés par petits groupes, les regards vides et désespérés. Beaucoup, trop choqués pour pouvoir dormir.

Hayden, lui, m'a guidé à l'écart, dans un module attenant. Je me souviens vaguement de quelques murmures échangés, en fixant le ciel étoilé à travers le dôme.

La tristesse menace de me submerger à nouveau. Une émotion étrange me serre le ventre, indéfinissable. La liste de nos morts surgit dans mon esprit, scandant un lent rythme. Morgan. Angel. Thomas. Héméra.

Je ne verrai plus jamais Utopia Planitia.

Je ne me réfugierai plus jamais dans mon module.

Je n'arpenterai plus jamais les couloirs exigus de la base.

Je ne sentirai plus jamais l'odeur humide et terreuse des serres.

Il me faut un long moment pour me soustraire à ma flaque de soleil. Lorsque je parviens enfin à éprouver la volonté de me mettre en mouvement, je pars rejoindre les autres dans la salle commune. Le même abattement que cette nuit règne dans la pièce. Des chuchotements troublent l'air. Je m'apprête à rejoindre ma mère, adossée à un mur, les traits tirés, lorsque la petite silhouette de Jason s'approche de moi.

— La base a explosé, fait-il d'une voix grave.

— Je sais.

— C'était une décompression.

J'acquiesce. Ça ne peut que être ça. L'oxygène s'est échappé doucement, en quelques minutes, provoquant une explosion. Il jette un coup d'oeil à son père, assis dans un coin.

— Est-ce que c'est vrai ? demande-t-il à voix basse. Héméra est... morte ?

Entendre ces mots prononcés par lui me fend le coeur.

— C'est vrai ?

— Oui. C'est vrai.

Je tente de le prendre dans mes bras, mais il me repousse.

— Tu m'avais dit que le monstre de Mars ne nous ferait pas de mal !

— Jason...

J'essaie de l'attraper à nouveau, mais il s'enfuit en courant, rejoignant les bras d'Alex. Celui-ci me jette un regard désolé, et je n'ai même pas la force de lui sourire. C'est la goutte de trop, celle qui fait déborder pour de bon le calice amer de ma peine.

Fille de Mars -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant