Fille de Mars -

39. Multivers

"Ce n'est pas quand il a découvert l'Amérique, mais quand il a été sur le point de la découvrir, que Colomb a été heureux." - Fiodor Dostoïevski

***

Je quitte mon tapis de course, en nage. L'écran face à moi m'indique qu'une communication de Mars est arrivée jusqu'au vaisseau. Voilà plusieurs jours que les pionniers de Sithonius Lacus n'ont pas donné signe de vie, et je ne peux m'empêcher de pousser un soupir de soulagement.

Je lève les yeux vers le plafond. Je peux entendre des éclats de rire de mes trois compagnons de voyage. Comme personne ne semble vouloir prendre l'appel, je descends d'un étage par une échelle. La salle de communication se trouve à l'extrémité de l'Utopia.

Je me laisse tomber sur un fauteuil aux lignes épurées. Mes doigts frôlent l'écran où s'affichent nos communications, et les visages de Alex et Giordanna se matérialisent devant moi. Ils ont l'air soucieux, leurs traits tirés.

— Il s'est passé quelque chose ? fais-je immédiatement, le coeur battant à toute rompre.

Devoir attendre de longues minutes pour avoir une réponse à ma question m'angoisse.
— C'est Millie, m'apprend Alex.

Mon coeur se serre si violemment que je porte ma main à ma poitrine.

— Elle a fait une attaque il y a deux jours. Elle... son coeur a lâché. Travis n'a rien pu faire.
Des larmes roulent sur mes joues, brûlantes. Un sanglot secoue ma poitrine, et j'enfouis mon visage dans mes mains. Millie. Je l'imagine s'écroulant au sol, ses cheveux blonds parsemés de blanc auréolant son visage, ses yeux d'où partent de fines ridules, exempts de toute trace de vie.

Non, non, non !

Par flashs, je la revois m'annoncer que je suis enceinte.

— C'est tellement injuste...

J'ignore combien de temps je pleure, recroquevillée contre l'accoudoir. Lorsque enfin mes pleurs se tarissent, Giordanna reprend la parole.

— Est-ce que tu pourrais aller chercher Jason, Harmony ? Ou juste lui demander de nous rappeler, je comprendrais que tu aies envie de rester seule.

— Non. C'est bon. Je vais aller le voir.
Je déplie lentement mon corps, me hissant vers la salle de sport, puis à l'étage supérieur, qui nous sert de salle de vie. Décoré par des meubles minimalistes et blancs fixés au sol, l'endroit n'en reste pas moins agréable. C'est d'ailleurs le lieu où Jason et Sélina passent le plus clair de leur temps. Xiaoyun intercepte tout de suite mon regard rougi par les pleurs.

— Jason ?

Celui-ci relève la tête de sa tablette tactile offerte par Mars Utopia.

— Tu as pleuré.

Son affirmation me déroute un instant.

— Tes parents veulent te dire bonjour, fais-je d'une voix éraillée.

— Il y a un problème ?

Mon coeur semble se fendre quand j'aperçois sa mine inquiète.

Si j'ai dans un premier temps pensé à ne pas dévoiler la vérité, son regard insistant m'en dissuade.

— Millie...

Je m'étrangle, et une nouvelle vague de larmes perle à mes cils. Je suis incapable d'achever ma phrase, mais Jason a compris. Sa lèvre inférieure se met à trembloter, ses yeux s'humidifient. À côté de moi, Xiaoyun s'effondre sur une chaise en se prenant la tête entre les mains.