22. Orbite

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"Un voyage de mille lieues a commencé par un pas."  - Proverbe chinois

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Sol 327, an martien 10, 12h59 heure martienne.

Yong et Nasir sont rentrés à la tombée de la nuit d'Utopia Planitia. Avec d'autres, je suis sortie les accueillir. Parmi tous les astres du firmament, j'ai cherché la Terre. Elle brillait, accompagnée par la Lune, minuscule point lumineux à ses côtés. Là, le regard perdu au milieu des étoiles, j'ai lancé un cri silencieux à l'humanité.

Comme nous le supposions, une partie de notre salle de provisions, en dessous de la base, semble avoir tenu bon. Quelques pionniers ont ainsi été dépêchés sur place pour déblayer l'accès. Il ne reste en revanche plus rien des serres et des plantations.

Mes parents se sont tous deux portés volontaires. Et si j'ai hésité un instant à les suivre, revoir Utopia Planitia m'a tout à coup semblé bien trop douloureux pour mon âme endeuillée.

La lumière bleutée des écrans de la salle de communication illumine nos traits.

Chris pianote à tout allure sur son clavier des lignes de codes incompréhensibles.

— Harmony, tu viens ? fait-il en indiquant le micro.

Je secoue la tête.

— Non, c'est à Hayden de le faire. C'était son idée.

Plus que cela, la véritable raison est que je ne veux pas essuyer un nouvel échec.

Hayden soupire.

— OK. Si tu veux. Mais je n'ai pas ton éloquence pour parler, je...

— Je n'ai aucune éloquence. Je ne fais que jouer un rôle. C'est facile, de se cacher derrière une caméra ou un micro. Crois-moi.

Il s'approche du dispositif, hésitant.

— C'est bon, tu peux y aller.

— Station Spatiale Internationale, ici les pionniers de Mars Utopia. Nous recevez-vous ? Je répète, ici les pionniers de Mars Utopia. Nous recevez-vous ?

— Neuf minute et quarante-trois secondes de délai, nous apprend Chris.

Je soupire. La lenteur du système de communication m'exaspère.

Une minute. Trois. Sept. Neuf.

Les astronautes ont dû recevoir notre appel.

Une minute. Trois. Sept. Neuf.

Rien.

— Attendons encore un peu. Il se peut qu'ils n'aient pas répondu directement.

Je fais les cent pas dans la salle, jusqu'à en avoir le vertige. L'angoisse mord mon ventre, avec tant de vivacité que je me demande si je ne risque pas de rendre tripes et boyaux dans les instants qui viennent. Si l'ISS ne répond pas, nous sommes fichus. Définitivement.

Au bout d'un quart d'heure d'attente, je n'en peux plus. Je quitte le module, les larmes aux yeux. J'ai tellement peur de mourir. Toutes ces années en territoire hostile ne changent rien à cette peur viscérale. Je n'ai jamais réussi à m'habituer à la menace de la mort. Une fin irréversible, et inacceptable.

Jason est assis par terre avec Sélina. Depuis l'explosion de la base, leur principale source de distraction, nos tablettes tactiles, ont disparu. Et si Tiên, leur professeure, tente de continuer leur apprentissage, ni l'un ni l'autre ne semble avoir le cœur à apprendre quoi que ce soit.

Je fais mine de m'approcher, mais le regard noir qu'il me lance me dissuade de faire un pas de plus. Une boule de tristesse se forme dans ma gorge. La solitude, encore. Il me tient responsable de ce qui est arrivé à Héméra.

Fille de Mars -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant