"Dès que nous naissons, nous pleurons d'être venus sur ce grand théâtre de fous." - Shakespeare
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Au fur et à mesure que nous nous approchons de la date d'arrivée de l'Utopia sur Mars, une tension presque palpable s'empare de notre groupe.
Les vivres sont presque épuisées, malgré le rationnement que nous nous sommes imposés dès notre arrivée à Sithonius. Tous ont hâte que Mars Utopia nous largue enfin de quoi aménager des serres.
Sol 34, an martien 12, 10h27, heure martienne.
Je me trouve dans la salle commune en compagnie de Hayden, lorsque Hawa fait irruption dans la pièce.
— Le déshumidificateur a lâché.
L'annonce jette un froid, et elle nous adresse un regard désolé.
— Lâché ? répète Meyer.
— Oui. J'ai passé une heure à tenter de le réparer, mais rien n'y fait.
Sans déshumidificateur, nos réserves d'eau s'amenuisent considérablement. Des murmures inquiets s'élèvent, et Giordanna prend la parole pour tenter de les apaiser :
— Il nous reste toujours l'extracteur de glace, en attendant de trouver une solution pour le réparer. L'eau en provenance des sous-sols est de toute façon traitée, elle est potable.
Son intervention calme les chuchotis.
— Shinar, Hawa et moi-même allons essayer d'arranger ça. En attendant, il y a assez de glace dans les profondeurs de Sithonius Lacus pour subvenir à nos besoins.
Je ferme les yeux. Les problèmes recommencent, et je n'ose imaginer tout ceux qui suivront. Cette cascade incoercible de malheurs qui nous tombent dessus à la chaîne me fait frémir.
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Sol 50, an martien 12, 07h54, heure martienne.
Je somnole à moitié devant mon petit déjeuner. Le déshumidificateur n'est toujours pas réparé. Une chape de fatigue semble s'être abattue sur mes épaules depuis quelques jours. J'ai cette impression confuse que chaque sol se ressemble, que tout se mélange. Il faut dire qu'entre les préparatifs de notre retour sur Terre et cette impression permanente que je suis en train de faire la plus grosse bêtise de ma vie, le temps file à toute allure et je ne dors plus beaucoup.
Mon estomac se tord, comme prit dans un noue d'angoisse absolue. Tout à coup, la galette de soja que je mâche consciencieusement me révulse.
Mon ventre se soulève en un désagréable haut-le-cœur.
Sans même prendre le temps d'avertir Hayden, je me rue vers la salle de bain du module privatif le plus proche. Là, penchée au-dessus des toilettes, je rends une bile amère qui me laisse un goût atroce sur les lèvres.
Ma main tremblante se pose sur le mur, des larmes irrépressibles roulant sur mes joues. L'Utopia se placera en orbite de Mars dans trente-huit sols. Je ne peux pas me permettre d'être malade. Pas maintenant.
J'entends des pas derrière moi.
— Harmony ?
Les bras d'Hayden m'entourent. Je m'accroche à son cou, secouée de sanglots.
— Qu'est-ce... qu'est-ce qui m'arrive ?
— C'est le stress du départ, affirme-t-il en caressant lentement mes cheveux. Tout va bien.
Je sens une nouvelle montée acide remonter le long de mon oesophage à l'idée qu'il nous reste si peu de temps à vivre ici, ensemble.
Il sèche mes larmes d'un geste ferme et doux à la fois.
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Fille de Mars -
Khoa học viễn tưởngIl y a 21 ans, les premiers pionniers ont posé le pied sur Mars. Voyez-vous, depuis des milliers et des milliers d'années, les êtres humains naissent sur Terre. Il a fallu que ce soit moi qui pousse mon premier cri ailleurs. Moi qui devienne la prem...