Fille de Mars -

16. Limbe

"Sous quel astre ennemi faut-il que je sois née !" - Racine

***

Mars.

Morgan est mort par ta faute.

Angel est mort par ta faute.

Qui sera le prochain ?

Oh, Mars, dis-le moi. Avoue-le. Murmure mon nom dans l'écho fou de ton vent.

C'est moi, n'est-ce pas ? Moi, ta fille, qui s'aventure seule sur ta croûte empourprée, sur ta surface rocailleuse, sur ta terre inhospitalière. Fauche-moi, fauche-moi vite. Je veux être ton ultime tribut. L'ultime gladiateur qui descendra dans l'arène de ta toute puissance.

Verse mon sang.

Apaise ta soif, en plantant ta lame meurtrière dans la chair de ta chair. Ô Mars, que je sois la dernière...

— Harmony ? Harmony tu nous reçois ?

Je cligne des paupières.

— Oui. Oui, je suis désolée. Je vous reçois.

— Peux-tu nous confirmer que tu es arrivée en vue de Sithonius Lacus ? Le soleil se couche, tu dois faire vite.

En effet, le ciel d'amarante est nimbé d'un fin halo bleuté autour du Soleil qui bascule à l'horizon.

Je consulte le tableau de bord, avant de regarder dans la direction indiquée. La base martienne se tient là, assemblage complexe de dômes immaculés, à quelques kilomètres à peine.

— J'ai Sithonius Lacus en visuel.

— Parfait. Dépêche-toi.

J'accélère. Sur le tableau de bord, le nombre de mètres décroit. Le sas du garage s'ouvre, actionné par les pionniers depuis l'intérieur.

— J'entre dans la base, fais-je à l'intention de Utopia Planitia.

Avec un soupir de soulagement je gare le véhicule et en descend.

Je finis enfin par pénétrer dans la salle commune. J'ai à peine le temps d'ôter mon casque que Hayden se rue vers moi. Je me blottis dans ses bras du mieux que je peux, gênée par ma lourde et épaisse combinaison extra-véhiculaire.

J'attends ce moment depuis treize longues journées, depuis douze longues nuits.

— Tu m'as manqué, murmure-t-il.

— Tu m'as manqué aussi.

Le simple fait qu'il me serre ainsi dans ses bras me fait oublier toute la rancoeur que j'éprouve à son égard. Sa main se pose sur ma joue. Ses yeux me scrutent avec tant d'affection que je sens ma gorge se nouer.

— Ça va ?

Il y a tant de douceur dans sa voix.

Tant de promesses d'un bonheur impossible.

— Je... Angel...

C'est plus fort que moi. J'éclate en sanglots.

— Je sais, Harmony. Je sais. Ça va aller.

— J'en ai assez... J'en ai assez de tout ça. Tout est de ma faute !

Un élan de culpabilité me traverse. Tout est de ma faute. J'ai peut-être tort : ce n'est pas les pionniers souhaitant rester à Utopia Planitia qui nous condamne. C'est moi. Moi qui ait parlé de Sithonius Lacus. C'est de ma faute si Angel, en ravitaillant la seconde base martienne, est mort.