7. Ouverture

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Et lux in tenebris lucet - « La lumière luit dans les ténèbres »

***

J'ai peur. Une peur panique qui me comprime le ventre, qui m'étouffe. Malgré le masque à oxygène me prenant tout le bas du visage durant la nuit. Malgré la combinaison qui peut à tout instant me délivrer de l'air en journée. J'ai peur, je n'en dors plus.

Des cernes s'épanouissent sous nos yeux. Je me réveille en sursaut la nuit, prise par l'effroyable certitude de manquer d'air. Je ne bascule dans d'affreux cauchemars qu'après des heures d'intenses luttes contre le sommeil.

Dans tous les regards, je peux voir cette même lueur d'inquiétude, de deuil et de rage. La base d'Utopia Planitia n'est plus viable, et nous n'avons aucun échappatoire.

Le temps s'est comme suspendu. Nous vaquons à nos occupations, tels des automates, telles des marionnettes s'actionnant sous les ficelles de l'habitude. Tout semble si dépourvu de sens. La communication avec les terriens coupée, je me retrouve seule, délaissée, errant dans cette maison pressurisée que j'ai toujours connu.

C'est mue par cette sensation de solitude que je me rends dans la salle de radio. Christopher, assis devant ses écrans, m'accueille avec un sourire las.

— Tu devrais arrêter d'espérer, Chris.

Il m'adresse une grimace. Mon pessimisme, déjà bien présent en temps normal, s'amplifie à chaque heure qui passe.

— J'y crois encore. Les antennes relais placées sur Deimos et Phobos ont peut-être été endommagées, ou...

— Les deux en même temps ? On l'aurait su avant s'il y avait eu une pluie de météores.

— Tu penses vraiment que le problème vient de la Terre, alors ?

— Je ne sais pas. Au final, ça n'a pas tant d'importance que ça, non ?

Il pousse un soupir.

— Ils sont neuf milliards là-bas. Ils doivent s'inquiéter...

Une ombre passe dans son regard. Je m'assieds à côté de lui.

— Tu as de la famille sur Terre, Chris ?

— Mes parents.

— Ils te manquent ?

— Parfois. Mais j'ai refais ma vie ici.

Puis, brusquement, il se renferme sur lui même, son regard erre sur les écrans qui jonchent la pièce.

— Tout est de ma faute, murmure-t-il.

— Ne dis pas n'importe quoi. Tu n'y es pour rien, pas plus qu'Alex qui n'arrive pas à comprendre l'origine de la panne, pas plus que Sumi qui a pourtant vérifié toutes les aérations et la pile à combustible inversée la veille de l'accident.

— Si nous avions pu prévenir la Terre, ils auraient pu nous aider ! Morgan ne serait pas mort...

— La Terre n'y peut rien. Elle est à plus de soixante millions de kilomètres d'ici.

Chris fixe les dispositifs de communication d'un oeil vitreux, vaguement convaincu par mes paroles.

— Tous les capteurs présents dans la base fonctionnent. Alors peut-être qu'ils reçoivent tout de même nos messages, chuchote-il.

— Alors pourquoi ne répondraient-ils pas ?

— Je n'en sais rien. Ils essaient peut-être de trouver une solution. Il nous faut attendre.

Pendant une terrifiante minute, je nous imagine, seuls, perdus dans l'espace, à jamais séparés de la Terre. Je secoue la tête pour chasser ces obscures pensées. Nous reprendrons contact.

Fille de Mars -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant