«Dieu ne joue pas aux dés. » -Albert Einstein
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Les cahots du rover amplifient mon angoisse grandissante. Je crispe mes mains sur le volant. Cette fois, je retourne à Utopia Planitia. Fixée à mon casque, ma fidèle caméra enregistre l'image du véhicule d'Alma et de Nasir, qui avance à quelques dizaine de mètres devant nous.
Sol 344, an martien 10, 13h08, heure martienne.
La liaison entre Mars et la Terre est à nouveau rétablie. Plus besoin de passer par la station chinoise. Les ingénieurs ont pu nous envoyer les plans de l'extracteur de glace. L'eau apportée de notre première base vient à manquer, il nous faut donc faire fonctionner la machine de toute urgence.
Alors, quand Hayden s'est porté volontaire pour aller récupérer les pièces manquantes sur notre ancienne machine, peu abîmée par l'explosion du fait qu'elle se trouvait assez éloignée de la base, j'ai demandé à faire partie de l'expédition. À présent, tandis que les ruines d'Utopia Planitia apparaissent, partiellement ensevelies sous les couches de régolite, je regrette mon choix.
Je stoppe le véhicule. C'est le seul geste que je me sens capable d'effectuer.
— Ça va ? me demande Hayden, une mine inquiète sur son visage.
Je fixe les décombres d'Utopia Planitia, tandis qu'une émotion bien trop vive me submerge. Mes doigts tremblent sur le frein.
— Tu préfères rester ici ?
J'acquiesce, la gorge sèche.
— OK.
Sa main attrape la mienne, brièvement. Il descend du rover, et je me retrouve seule dans l'habitacle pressurisé. Je le regarde s'avancer dans sa combinaison intra-véhiculaire, au milieu du désert orangé.
Je repère le module extracteur de glace. Il se trouve légèrement en retrait de la base, non loin de là où se trouvait notre salle de bain commune. Des traces noirâtres de calcination sont visibles sur la paroi, mais il a échappé à la déflagration. Alma, Nasir et Hayden convergent tous les trois vers ce point.
— Ça va, Fille de Mars ? s'enquiert Alma avec un ton faussement enjoué.
Je lui réponds par grognement. Non, ça ne va pas. Mon père-planète a détruit ma maison, le centre névralgique de notre bataille stellaire. Je me suis rendue jusqu'à l'arène, sans doute par pur orgueil. Et il me force à regarder le spectacle.
Je regarde mes trois compagnons s'affairer, totalement paralysée. On me donnerait toutes les étoiles de l'univers, que je ne désirerais pas le moins du monde descendre sur la croûte martienne.
Je ne comprends pas moi-même la terreur qui s'est emparée de moi. J'ai contemplé ces décombres juste après la décompression, il y a presque vingt sols. Pourquoi, est-ce que je n'y arrive pas, à présent ? J'imagine les corps de Thomas et d'Héméra sous les débris, et des larmes montent à mes yeux.
Je consulte frénétiquement l'heure pour ne pas avoir à observer les restes d'Utopia Planitia. Le temps avance avec une lenteur exaspérante. Sur Mars, une seconde est presque trois pour cent plus longue qu'une seconde terrestre. À cet instant, j'aimerai connaître les minutes sur Terre. Tout doit passer plus vite.
Sol 344, an martien 10, 13h28, heure martienne.
— C'est bon, lance Nasir. On a les pièces.
Ils rebroussent chemin. Je soupire de soulagement, plus qu'impatiente de quitter ce champ de ruines.
Puis, soudain, un cri qui résonne sous mon casque, noyant ma satisfaction dans une vague de peur glacée.
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Fille de Mars -
Fiksi IlmiahIl y a 21 ans, les premiers pionniers ont posé le pied sur Mars. Voyez-vous, depuis des milliers et des milliers d'années, les êtres humains naissent sur Terre. Il a fallu que ce soit moi qui pousse mon premier cri ailleurs. Moi qui devienne la prem...