9. Evasion

842 133 58
                                    

"Depuis l'aube des temps, sur toutes les planètes de toutes les galaxies, combien de civilisations ont pu naître, poser des questions que nous posons, et puis s'évanouir dans un souffle de vent ?"

***

La sensation de liberté que je ressens est absolument grisante. J'aimerais me noyer à jamais dans cette ivresse, dans l'euphorie des paysages martiens qui défilent par les vitres du rover. Cent cinquante huit kilomètres. De toute ma vie, je n'ai jamais été aussi loin. La seule fois où j'ai pu m'aventurer à une centaine de kilomètres de la base avait été lors d'une expédition sur le cratère Vivero.

Pour combler le silence à peine troublé par les murmures du GPS qui rectifie de tant à autres notre cap, je me mets à poser des questions à Hayden.

— Tu me connaissais, avant de venir ici ?

— Evidemment.

— Comment est-ce que tu me trouvais ? Avant ?

— Je ne sais pas. Prétentieuse, sans doute un peu.

Je me mords la lèvre inférieure. Je déteste qu'on me fasse des reproches. Même si je sais au plus profond de moi, que oui, prétentieuse, je dois le sembler, avec mon sempiternel sourire.

— Est-ce qu'il y a des gens qui me détestent, sur Terre ?

— Disons que tes vidéos ont fait un paquet d'envieux. Si j'avais su que je tomberai amoureux de toi !

J'ai un bref sourire.

— Je me sentais si seule. Au final, savoir que certains trouvaient ma vie merveilleuse, ça m'a aidé à tenir, pendant un moment.

—Il était temps que j'arrive sur Mars pour que tu aies de la compagnie.

— Tu ne m'as jamais dit pourquoi tu avais voulu quitter la Terre.

Hayden a toujours été réticent à l'idée de parler de son passé. Il hausse les épaules.

— J'avais dix-sept ans lorsqu'ils ont ouvert les candidatures, et la plupart des inscrits avaient au moins quatre ans de plus que moi. J'aurai dû faire parti de la prochaine vague de colons, celle qui arrivera dans un peu plus de quatre cents trente sols. Mais j'avais peur de regretter ma décision si je prenais goût à la Terre, alors... j'ai demandé à partir en 2047.

— Et tu ne regrettes pas ?

— Non. Je ne regrette absolument rien, Harmony. Tu n'imagines pas à quel point c'est grisant de vivre ici. C'est mieux que tout ce que j'aurai pu espérer en restant là-bas.

— Mais la Terre ? Elle ne te manque pas ?

Il secoue la tête. Je contemple le paysage martien par la fenêtre, essayant de mettre en mots la question qui me brûle les lèvres.

— Tu n'avais pas d'attaches ? Pas de famille, d'amis ?

— Non, je n'ai... je n'ai laissé personne derrière moi.

Le ton sur lequel il prononce sa phrase me fait frissonner.

— Tu sais, Harmony... Si j'étais resté, j'aurai eu une femme, des enfants. Des obligations qui m'auraient forcé à rester cloué au sol, les yeux tournés vers les étoiles. Ou bien j'aurai fini par mourir, seul, sans personne pour se souvenir de moi. Sans avoir rien fait de grand, de beau.

***

Il me faut un long instant avant de pouvoir discerner, par dessus les éclats de notre conversation, les grincements qui résonnent depuis l'extérieur de l'habitacle.

Fille de Mars -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant