Fille de Mars -

28. Absorption atmosphérique

"L'égoïsme régit le monde." - Arthur Schopenhauer

***

— Commandant Wang, ici Harmony Sharpe de Mars. J'aurais besoin de votre aide.

Chris m'adresse un sourire, pour me rassurer.

Pendant les vingt-deux minutes qui suivent, je déambule nerveusement dans la salle de communication, attendant sa réponse, consultant l'heure sans arrêt.

Malgré la base endormie, je ressens une légère anxiété à l'idée que quelqu'un puisse découvrir ce que nous tramons. J'ai surtout peur de savoir comment notre projet de retour vers la Terre sera perçu par les autres pionniers. Car rien ne dit qu'ils l'accepteront. Certains ne risqueraient-ils pas de voir notre envol comme une défection, une trahison de l'utopie que nous étions supposés avoir construit ici ?

Sol 361, an martien 10, 23h26, heure martienne.

— Ici Wang Henfu de la station chinoise. Je vous reçois.

— Je suis heureuse de vous entendre. Ma demande va vous sembler étrange, mais vous êtes notre seule chance. Vous le savez peut-être, j'aimerais rejoindre la Terre. Avec les événements tragiques qui ont lieu sur Mars, nous risquons de tous mourir. C'est pourquoi nous avons trouvé une solution pour nous arracher à l'attraction martienne. Malheureusement, Mars Utopia ne veut rien entendre de nos suggestions. C'est pourquoi, nous aimerions leur forcer la main, en diffusant notre proposition en direct. Pour cela, je souhaiterais requérir la collaboration du gouvernement chinois. Prêtez-nous des satellites, diffusez notre message au monde entier. Mars Utopia sera obligé d'accepter notre proposition.

Une longue demi-heure passe. Je ne peux m'empêcher de penser que j'ai acquis une patience phénoménale au cours de ses dix-huit années. Néanmoins, je commence à trouver le temps long. Comme nous ne recevons toujours pas de réponse, je pousse un soupir à fendre l'âme.

— Va te reposer, propose Chris. Je te rappelle dès qu'il y a du nouveau.

J'acquiesce.

***

Hayden entre en trombe dans le module. Voilà plus de deux heures que j'ai envoyé mon message au Commandant Wang.

— Le président chinois veut te parler.

Je me fige, horrifiée.

— Le... président ?

— Oui.

Je ferme les yeux, une boule d'angoisse comprimant mon ventre.

— Chris peut le faire ? Je ne connais rien à la politique, je vais me ridiculiser.

— Il a insisté pour que ce soit toi, en personne. Tu vas t'en sortir.

Je prends une profonde inspiration. Après tout, je suis née sur Mars. Même l'homme à la tête d'un gouvernement, aussi puissant soit-il, reste un être humain. Ce n'est qu'un terrien.

Ce n'est qu'un homme.

Je me glisse à nouveau dans le module de communication. Je contemple un instant les traits du président incrusté sur les écrans. Son visage n'exprime pas la moindre émotion, et je tâche de faire de même.

— Bonjour, fais-je en m'approchant des micros. Je suis... je suis honorée de pouvoir vous parler.

Je me mords la lève inférieure. Bon sang. Pourquoi prendre ce ton affecté ? Ce n'est qu'un homme. Un homme puissant, certes, mais qui se trouve sur une planète où je ne mettrais peut-être jamais les pieds.