17. Catena

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"Survivre c'est mourir. Il faut patiemment et sans relâche construire, organiser, ordonner." - Michel Tournier

***

Sol 320, an martien 10, 23h36, heure martienne.

Je me blottis contre Hayden. Nous nous sommes isolés dans un module de Sithonius Lacus.

Je fixe le plafond grisâtre. Le simple fait de me trouver là, dans ce compartiment, me renvoie douloureusement à la vie que nous pourrions avoir. Je m'imagine, debout dans la salle commune de la seconde base martienne, une multitude d'enfants courant autour de moi. Si l'occasion se présentait, aurais-je seulement le courage d'enfanter ? De condamner moi-même mon futur fils, ma future fille, à une existence martienne ? Il y a quelques mois encore, j'aurai été catégorique : non. Maintenant, je ne sais plus. La présence d'Hayden me fait miroiter un avenir d'une douce et cruelle tentation.

Serais-je capable de faire peser sur mes enfants la même malédiction que mes parents ont fait peser sur moi ? Sans doute. Pour l'illusion presque parfaite d'un bonheur.

C'est sur cette pensée que je sombre dans des cauchemars tumultueux. Cette fois, des millions de navettes spatiales tombent sur la croûte rouge de Mars, explosant dans des gerbes étincelantes.

Je me réveille en sursaut, tandis qu'une fusée fonce sur moi à toute allure. La lumière s'est éteinte, et nous sommes à présent plongés dans le noir le plus total.

— Hé, fait Hayden en me serrant un peu plus fort contre lui. Je suis là. Ça va ?

— Oui. Un cauchemar.

Plus que je ne le voie, je le sens hocher la tête, se contentant d'emmêler ses doigts aux miens. Je poursuis, avec un triste sourire :

— Une pluie de navettes spatiales. Angel est mort à cause d'une navette spatiale.

— Oh.

— Je crois que c'était celle de 2039. Année martienne cinq. Je m'en souviens. Il y avait cette même élévation rocheuse, au loin. J'avais un peu plus de neuf ans terrestre, nous étions partis à la rencontre des nouveaux pionniers. Je n'étais jamais allée aussi loin.

Des larmes embuent mes yeux, et je suis heureuse que l'obscurité les dissimule.

— Je ne t'ai jamais raconté ce jour où j'ai atterri sur Mars, lance tout à coup Hayden. J'ai du mal à croire que ce n'était qu'il y a dix mois.

— Comment c'était ?

— Beau. Et triste à la fois. La navette fonçait vers Mars, et j'avais cette impression d'être invincible. J'avais l'impression que l'univers m'appartenait. Tout était si majestueux, si rouge. Et puis, nous nous sommes enfin posés sur le sol. J'ai été le premier à me défaire de mon harnais de sécurité. Le premier à me tenir à la sortie de la navette. Et pourtant, j'ai eu peur. Non. J'étais effrayé. Je me disais que j'étais en train de faire la plus grosse bêtise de ma vie. Les autres attendaient, alors je suis descendu. Puis, j'ai foulé le sol martien. La gravité réduite, c'était... indescriptible. Euphorisant.

Je hausse un sourcil. Pour moi, la gravité martienne est tout ce qu'il y a de plus normal.

— Et puis, le paysage. C'était magnifique. Je n'avais jamais rien vu d'aussi sublime de toute ma vie. À partir de ce moment, je n'ai plus eu le moindre regret.

— Parle-moi de la Terre. Parle-moi de chez toi.

J'en ai assez que nos discussions tournent autour de Mars. Hayden m'a déjà tant raconté. C'est sans doute un peu grâce à lui que j'ai tant envie de découvrir cette planète bleue si lointaine.

Fille de Mars -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant