Chapitre 3 : Je(u)dusor(t)

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Média : via pinterest → Alice
Musique de fond : Duele El Corazón, Enrique Iglesias
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Sur le chemin de la maison, je mis mes écouteurs et lançai une playlist que j'avais faite dans la nuit, en quête de distraction. Il n'y avait rien qui pouvait plus influencer mon humeur que la musique. Et j'avais besoin d'être distraite. Ses traits ne cessaient de me revenir en tête.

La première chanson qui passa dans mes écouteurs, Duele El Corazón, me donna envie de danser. Dit comme cela, ça semblerait presque normal. Sauf qu'avec moi... autant dire que ça s'apparentait au miracle, parce que danser, ce n'était pas vraiment mon loisir favori - c'est-à-dire que c'était une activité absolument impensable à mes yeux.

Même en soirée, je ne le faisais pratiquement pas. Ou alors c'était sous menace de torture de la part de Noah, mon meilleur ami. Oui, j'étais bien le genre de cas social assis sur une chaise - si possible perdue dans un coin obscur pour ne pas avoir à interagir avec des inconnus -, et en train de siroter sa bière alors que tout le monde se déhanchait.

Pour en revenir à Duele El Corazón, j'avais cherché la traduction de cette chanson un jour, et je crus me rappeler que le titre voulait dire Ton cœur souffre, mais bon, je n'étais pas sûre parce que moi et l'espagnol, ça faisait deux. En même temps, j'avais pris Allemand LV1, alors on pouvait me pardonner.

Seulement, si la traduction était correcte, je trouvais ça assez paradoxal qu'une musique avec un tel titre soit capable de donner envie de danser même aux gens comme moi qui avaient deux pieds gauches. Pour tout vous dire, j'étais à la limite de me mettre à chanter à pleine voix dans la rue. Il faut croire que mon égo a refusé de risquer une telle humiliation, parce que je réussis à rentrer sans dire à voix haute un mot de la chanson.

Je vous assure que ce fut compliqué.

SI TE VAS, YO TAMBIÉN ME VOY
SI ME DAS, YO TAMBIÉN TE DOY
MI AMOR
BAILAMOS HASTA LA DIEZ
HASTA QUE DUELAN LOS PIES

Ne me remerciez pas, je sais que grâce à moi vous l'avez en tête maintenant.

Après Duele El Corazón, ma playlist bascula sur Bohemian Rhapsody de Queen, Can't stop the feeling de Justin Timberlake, puis sur Curtain Call d'Aiden Grimshaw, et j'étais arrivée chez moi, le sourire jusqu'aux oreilles - oui, je confirme que le sourire est questionnable, vu la dernière musique. Je claquai la porte, allai me jeter sur mon lit et commençai mes devoirs. Oui, on avait eu des devoirs dès le deuxième jour. Je sentais que j'allais particulièrement aimer cette année-là. Alors que je commençais enfin à comprendre l'énoncé du premier exercice de français, mon téléphone sonna.

Mon écran nouvellement fissuré afficha le nom et la photo de mon ami d'enfance, Noah, un joli gars d'un mètre soixante-dix aux cheveux bruns, yeux bleu-gris et au corps fin parsemé de grains de beauté.

Un sourire se peignit sur mon visage alors que je décrochai :

"Hey mate, what's up?"

On parlait en anglais lorsqu'on était seuls (ou qu'on ne voulait pas être compris de personnes qui ne le parlaient pas), parce qu'il était d'origine britannique et que j'adorais cette langue.

Cette année-là, on n'était pas dans la même classe, puisqu'il avait pris la filière S et que j'avais choisi L. Ce qui nous faisait franchement bizarre parce que depuis tout petits, on avait toujours été ensemble.

'Fine.. but dead tired! Anyways, I'm just calling to let ya know we - by we I mean the group, you darling and I -we all gonna hang out next weekend.'
(«Ça va.. je suis juste mort de fatigue ! Bref, je t'appelle parce que toi et moi, on se voit avec le groupe la semaine prochaine»)

'Poor thing hahaha! Great, but... you guys won't mind if I come?'
(«Pauvre de toi hahaha ! C'est cool mais.. ça va pas vous saouler que je vienne ?»)

'You know we won't! I wouldn't be telling you about it otherwise. There's a new guy in the band, by the way. Sam. You've probably already seen him, he's in our school this year. Looks like a Viking, with long blond hair and quite muscular.'
(« Tu sais très bien que non ! Sinon je t'en parlerais pas. Il y a un nouveau mec dans le groupe, à propos. Sam. Peut-être que tu l'as déjà vu, il est au Lycée cette année. Il ressemble à un Viking, il a de longs cheveux blonds et il est pas mal musclé. »)

'Hum... Dunno. But ew, it looks like the guy sitting next to me in English. I do really hope that's not him, he's annoying as f*ck!'
(« Hum... J'sais pas. Ça pourrait être le gars qui est à côté de moi en anglais. J'espère vraiment que c'est pas lui parce qu'il est super chiant ! »)

Si c'était Langlois, ça allait être joyeux. Je parlai pendant encore une demi-heure avec Noah puis je raccrochai pour aller prendre ma douche. Une fois déshabillée, je regardai mon corps dans la glace de la salle de bain comme si c'était celui d'une étrangère.

Ce soir-là, je me sentais bien, physiquement. J'étais dans un sorte d'acceptation. Ce n'était pas l'un de ces soirs où l'envie de pleurer me prenait en me regardant. Ce soir-là, je me sentais presque à l'aise avec mon enveloppe corporelle, bien que ce ne soit pas au point de l'exhiber comme beaucoup le faisaient, mais au moins de pouvoir me regarder sans être dégoûtée de moi-même.

Le fait que la plupart de mes contemporains se prennaient en selfie était quelque chose qui me dépassait absolument. Comment pouvaient-ils avoir assez de confiance en eux pour se montrer non-stop ? Déjà que je n'aimais pas me voir, je n'allais pas l'imposer aux autres. Depuis mes dix ans, j'avais interdit à ma mère de me prendre en photo, et je ne le faisais pas par moi-même.

Certaines personnes m'avaient dit qu'elles me trouvaient belle, d'autres qu'elles m'aimaient. Le problème était que je ne parvenais pas à les croire. Je ne comprenais littéralement pas comment cela aurait pu être possible. M'aimer moi ? La bonne blague.

Et quand bien même elles auraient réussi à me convaincre, il était évident que je n'étais jamais assez pour celles que j'aimais.

Je fermai les yeux sous le débit brûlant de l'eau de la douche, tentant de noyer tout ce qui encombrait mon esprit, et les larmes se mêlèrent à l'eau qui cascadait sur moi.

***

Le lendemain matin, je me réveillai en sursaut avec la douce voix de ma mère qui rentrait de son travail.

« ALICE ! Va falloir que tu apprennes à mettre un réveil ! »

D'habitude, c'était elle qui venait me secouer. Elle avait du avoir un imprévu qui l'avait retardée. Ha ! La malédiction du réveil, je vous le dis. Deux fois à la bourre en deux jours, quelle blague.

Je sautai de mon lit en marmonant des insultes envers ma propre personne, me dépêchai d'enfiler des sous-vêtements, un pantalon et un T-shirt, les premiers que je trouvai dans mon placard, embrassai ma mère au passage et partis en trombe. Heureusement que j'avais préparé mon sac.

Quand j'arrivai en anglais renforcé — à l'heure, heureusement —, il ne restait plus qu'une place à côté de M. Stupide. Je me demandai si c'était une punition divine pour ma connerie, un jeu du sort (Jedusor) qui faisait que ma vie ressemblait à ces séries télé pourries où l'héroïne (en l'occurrence moi) se retrouvait à côté du bad boy relou dont elle allait tomber éperdument amoureuse au bout de deux épisodes (non, je n'allais pas tomber amoureuse de Langlois, 'faut pas pousser mémé dans les orties non plus) ou si c'était juste sa débilité qui faisait que personne ne voulait se mettre à côté de lui.

Puisque de toute façon, je n'avais pas le choix, je me résignai à devoir le supporter dans une matière de plus et m'assis à côté de lui. Malgré tout poussée par la curiosité, je demandai :
« Tu connaîtrais pas un certain Noah, Sam ? »

***

NdA : Ah oui, si l'un d'entre vous voit des fautes dans mes chapitres, en anglais comme en français, n'hésitez pas à me corriger :)

ALICE ET CE SALOPARD DE CUPIDONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant