Chapitre 13 : Vices

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Média : via pinterest → le Lycée d'Alice
Musique de fond : On est restés à l'hôtel, Skread (BO Comment c'est loin)
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Lundi. Le jour le plus détestable de la semaine. Le dur retour à la réalité, qui fait que tu restes assis huit heures par jour dans une salle de classe, au lieu de faire quelque chose d'utile ou intéressant comme militer pour la protection d'espèces en danger, aller à une conférence sur le cerveau, participer à une manifestation pour l'égalité homme-femme ou les droits LGBT+, ou encore participer à des actions contre la faim dans le monde.

Retour au Lycée, hashtag le lieu où les gens se jugent tellement que certains en arrivent à se suicider parce qu'ils ne collent pas à la "normalité" que quelques connard nous imposent. Le Lycée. Un monde de faux-semblants, d'hypocrisie et de haine camouflé sous des tonnes de maquillage, de fumée de clopes, et de vêtements de marque à la dernière mode. Tout ça pour ne pas être mis à part, ou encore cacher les complexes que la société nous donne.

Plus que ces règles sociétales, ce qui me dérangeait, c'était le fait que les gens y collent sans se poser de questions.

En vérité, j'aimais mes congénères. Mais plus que jamais, j'étais dégoûtée par les vices qui déformaient nos personnes. Les guerres, les assassinats, les viols, le racisme, l'homophobie, le sexisme, le terrorisme... C'était trop pour moi. J'avais l'impression de porter toute la douleur du monde sur mes épaules, et les rares fois où je regardais les informations, je finissais en pleurs face à ce que faisait l'Homme.

Alors, peut-être étais-je fragile, comme on dit, de pleurer avec de simples livres, films, musiques, ou photos, mais je m'en fichais. Cela faisait aussi partie des choses qui me dérangeaient. Qu'on soit considéré comme « fragile » dès qu'on laissait apercevoir une once de sentiment. Moi, je refusais de voir ça autrement que comme une preuve de plus qu'on était humains, tout simplement.

Il y avait tellement de choses qui me révoltaient ! Le simple fait, par exemple, que les filles comme moi ne soient pas autorisées par leurs parents à sortir, à prendre le train seules, pour la seule raison qu'elles étaient des filles justement, et qu'elles risquaient de se faire violer, ou pire. Tandis qu'un garçon du même âge, voire plus jeune, aurait pu le faire sans problème sans qu'on y trouve rien à redire.

Je passais des heures à penser à tout cela, et surtout à me demander aussi comment des personnes pouvaient, en toute conscience, condamner à mort des milliers voire des millions de gens pour de simples affaires de territoire, d'argent ou de pouvoir. Je ne pouvais pas comprendre. Ça m'était impossible, réellement.

Ce matin-là était de ceux où un goût amer se diffusait en moi. La vie que je menais me semblait tout à coup vaine. Sur le chemin de l'école, je me dis :
"Mais pourquoi prendre mon sac ? Pourquoi aller dans un lieu qui me répugne ? Pour avoir un diplôme ? Et en faire quoi ? Finalement est-ce que cela aura une seule once d'importance dans trois siècles ? Est-ce même important de me préoccuper de mes notes ? Qu'est-ce au milieu de l'immensité de l'univers ? Ce n'est RIEN. Un jour il ne restera rien."

Ce n'était pas une question de flemmardise, parce que je travaillais et que j'étais bonne élève. Mais où était la logique là-dedans ? Je voulais bien m'éduquer, mais je voulais le faire par moi-même. Mathématiquement (et pourtant je détestais les maths), notre vie est une fonction affine, soit dans mon cas x + 17, et je ne voyais pas pourquoi je devais me conformer au même schéma que des milliers de gens ont suivi. Surtout que l'inconnue x peut se révéler très importante, et donc il y avait la probabilité que j'aie une longue vie.

J'avais de nombreuses années devant moi pour m'instruire, et vivre, et je supportais de moins en moins le système éducatif français. On y valorise plus le fait de réussir que de s'enrichir intellectuellement, donc on apprend pour avoir des chiffres sur un bout de feuille et pas pour remplir nos petites cervelles bien trop peu utilisées.

Une moto passa sur la route à côté de moi, ce qui me tira de ma réflexion. Je levai les yeux et réalisai que j'étais arrivée au Lycée. Une foule d'étudiants se tenait devant la grille en attendant l'heure fatidique. Je soupirai et rejoignis Noah, qui, ô miracle, commençait pour une fois à la même heure que moi. Sam se tenait à côté de lui.

Je mourrais d'envie de lui dire que j'étais tombée amoureuse du morceau qu'il avait vraisemblablement composé, mais je n'osais pas. J'avais l'impression d'avoir empiété sur sa personnalité profonde en l'écoutant, et je ne le me pardonnais pas. Je me demandais si c'était pour cela qu'il avait été si froid avec moi à mon arrivée chez lui. Malgré tout, je ne cessais de penser à sa musique et à combien j'aurais aimé pouvoir enfermer son essence dans mon téléphone pour qu'elle puisse me faire vibrer quand j'en avais besoin.

Sam inclina la tête pour me saluer, et Noah me fit la bise. En les écoutant discuter de tout et de rien, je me rendis compte d'une chose. Plus je regardais Sam, plus je le trouvais beau. Il y avait une sorte de poésie dans ses traits durs dont une certaine douceur se dégageait. Ses yeux hypnotisants me happaient le regard et la manière dont ses cheveux retombaient sur son visage était vraiment adorable. Sa voix grave dont on percevait les vibrations accentuait l'impression de virilité qu'il dégageait.

Nous rentrâmes en cours et je me préparai à vivre deux heures d'intense souffrance avec Madame français, mais c'était sans compter Sam. Il passa son temps à me passer des petits mots, comme si l'on était encore en primaire. Il commença par s'excuser d'avoir été sec avec moi la dernière fois, et puis ses messages dérivèrent totalement vers des blagues de bas-étage, pires encore que celles de Noah.

J'étais définitivement perdue, il avait un caractère tellement changeant que je perdis tout espoir de jamais le comprendre. Son voisin de table, qui s'appelait Mattis, mais que tout le monde appelait Robin parce qu'il avait une tête à s'appeller comme ça, participa, et il nous envoya la blague la plus idiote que j'avais jamais entendue. Mesdames et Messieurs, le chef d'œuvre : je nomme la blague des cailloux !

Robin-Mattis avait écrit en pattes de mouches sur un bout de feuille qui tombait en morceaux :
Alors, c'est deux cailloux qui sont en boîte, et il y en a un qui dit à l'autre «Viens, on danse», mais l'autre caillou dit : «Ben nan, on peut pas, on est des cailloux !»

Voilà. Et Sam s'étouffa de rire en tentant de faire passer ça pour une méchante toux. La prof nous jetta un regard qui disait en bref vous-vous-foutez-de-moi-j'espère-vous-venez-d'interrompre-mon-cours-je-vais-vous-faire-écarteler-en-place-publique.

Quelle bonne journée ! J'adorais réellement cette prof, c'était un véritable plaisir d'admirer son incompétence couplée à un caractère rivalisant avec celui de la grand-mère de Mia Thermopolis. Mais bon, Sam et ses blagues nulles avaient au moins eu le mérite de me distraire et de me faire sourire. Éphémèrement.

Parce qu'en plus de déplorer la situation humaine, je déprimais à cause de l'absence de Victor qui me pesait de plus en plus.

Où était mon prince charmant quand j'avais besoin de lui ? J'en avais besoin pour tout oublier, purée.

ALICE ET CE SALOPARD DE CUPIDONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant