Chapitre 33 : Alice, Alix, Alex

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Média : via pinterest → Alice's Mum
Musique de fond : All by myself, Céline Dion
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Il s'avança vers moi de l'autre côté du petit portail et j'eus ainsi le temps de me faire un portrait complet de sa personne. Il ressemblait à son frère. C'était un garçon svelte qui portait une tenue décontractée. Ses cheveux fins couleur châtain retombaient dans un effet décoiffé volontaire sur son front. Son visage délicat d'un teint olivâtre était recouvert d'une légère touche de tâches de rousseur sur le nez et les joues, et ses grands yeux noisette aux longs cils semblaient rieurs. Plus il s'approchait de moi plus son sourire s'élargissait. Il avait dû porter un appareil dentaire, ses dents étaient parfaitement alignées, et sa bouche était gercée comme la mienne l'avait été après un an d'appareillage ; j'avais développé le tic de jouer avec mes bagues, et lorsqu'elles avaient disparu, je m'étais rabattue sur mes lèvres. J'étais certaine qu'il en avait été de même pour lui.

Lorsqu'il fut à deux pas de moi et qu'il m'ouvrit, je remarquai une fine cicatrice au coin son œil droit, juste sous un sourcil bien dessiné et agrémenté d'un piercing, quelques boutons d'acné sur son front, et une barbe de trois jours sur son menton et sur ses joues.

« Hay ! T'es Alice ? » il demanda, l'air enthousiaste. « Moi c'est Alex. »

Je hochai la tête avec un sourire et il me fit signe de le suivre. J'entrai à sa suite dans la maison, qui semblait moderne.

« Alix ! Bouge ton cul, elle est arrivée !
— Deux secondes, je sors de la douche ! »

Alex et moi nous regardâmes, et je sus qu'il hésitait comme moi entre lever les yeux au ciel et éclater de rire. Nous finîmes par glousser face à la réactivité d'Alix.

« Sinon, vous êtes jumeaux ? questionnai-je stupidement Alex.
— Ça se voit tant que ça ? » déplora ce dernier.

J'eus une moue désolée à son intention.

« Vous vous ressemblez quand même !
— Mais je suis le plus beau ! se gargarisa Alex.
— C'est parce que t'as de la barbe », bougonna son frère qui venait de débarquer dans le salon.

Alix se laissa tomber dans le canapé jaune canard (aussi excentrique que lui) et poussa un soupir de contentement. Il ferma les paupières sur ses yeux globuleux et sursauta quand son jumeau s'offusqua qu'il ne m'ait pas fait la bise.

« Alix, j'sais que t'es perdu dans ta vie, mais viens dire bonjour à Alice au moins ! »

J'explosai de rire quand celui-ci ouvrit délibérément lentement les yeux, pointa Alex du doigt et susurra d'un air menaçant :
« Cher frère, laisse-moi t'apprendre quelque chose : tu as grand besoin de te détendre. Alice, elle sait qu'elle aura un câlin après. Il faut profiter de la vie, ohlala. Moi j'vais vous inscrire au yoga, et vous aurez plus le choix de vous détendre ! Parce que là, autant dire que votre état est ca-ta-strophique. Bande de tendus ! »

Il plissa les yeux tandis qu'Alex levait les siens au ciel en exhortant le ciel de lui expliquer pourquoi il avait dû hériter d'un tel frère.

Finalement, je déclarai :
« Alix ? Ce serait pas mal qu'on y aille, parce que ma mère attend depuis quinze minutes, là.
— Oh, vraiment ? Mais tu aurais dû commencer par là ! Je me serais un peu plus dépêché.
— Oui, 'fin dans le langage Alix ça veut dire que tu aurais gagné une demi-minute hein, Alice ! » commenta Alex.

Nous rîmes et je proposai :
« Tu veux pas venir à la soirée, Alex ?
— Quoi ? Moi ? Dans une soirée ? Ce truc où tu perds tes oreilles et des neurones avec la musique et l'alcool ? Non, merci. Surtout que je ne sais absolument pas danser.
— Tranquille, t'as pas de neurones, lâcha Alix de sa voix traînante. Et je confirme, Alice. N'essaye jamais de danser avec lui. Tu perdrais tes pieds en deux/deux. Oui, j'ai déjà essayé. J'ai fait des expériences avec lui parce que j'avais lu que danser ça détendait. Mais j'ai souffert ! »

Un grand sourire s'étala involontairement sur mon visage face à la douleur qu'il semblait encore ressentir à la pensée de son "expérience".

« T'es vraiment original, Alix, tu sais ? » m'esclaffai-je.

Je repris avec un sourire franc à l'intention de son jumeau :
« Mais, tu sais, moi non plus je sais pas danser, Alex ! On s'en fiche honnêtement, c'est juste histoire d'être entre potes, et comme t'es sympa, tu devrais venir. Et sincèrement, on est tous un peu chtarbés dans le groupe, tu peux pas être pire ! »

Alix me lança un regard offusqué.

« Hé oh, parle pour toi, la stressée ! Je suis l'individu le plus normal au monde.
— Bien sûr Alix, bien sûr... s'étouffa son jumeau.
— Nan, mais vraiment, Alex ! Viens, ce sera cool ! insistai-je.
— Oui, Alex, t'as besoin de te détendre pis y'aura sans doute des plantes qui pourront t'aider là-bas », fit remarquer Alix avec un grand sourire.

Alex et moi nous exclamâmes en même temps :
« Nan, mais je veux pas fumer, en fait, Alix !
— Mais arrête, tu vas le faire flipper, Alix ! »

Nous nous regardâmes et éclatâmes de rire. Je me tournai vers Alex pour tenter de le convaincre une dernière fois quand la porte s'ouvrit à la volée, nous faisant tous les trois sauter au plafond.

« Hum.. Bonjour ? »

Ma mère avait un petit sourire crispé. Elle me fixa en plissant les yeux.

« Alice, j'ai un peu d'autres choses à faire qu'attendre dans la voiture pendant trente minutes, donc ça m'arrangerait si vous discutiez sur le trajet. »

Et sur ce, elle ressortit et alla se ré-installer dans la voiture. Alix et moi nous précipitâmes à sa suite, ce dernier en profitant pour aggriper son frère par le bras, le trimbaler tout le long de l'allée et le pousser à l'arrière de la vieille bagnole de ma mère sans prêter attention à ses cris de protestation très peu virils.

Sur le trajet jusqu'à la maison de Charlie — qui m'avait promis qu'il n'avait pas invité Léandre, cette fois — nous n'écoutions pas plus que ça la musique qui passait en arrière-plan de notre discussion auto-censurée en raison de la présence de ma mère, jusqu'au moment où All by myself de Céline Dion débarqua.

Alix, Alex et moi nous regardâmes, et nous sûmes. Au moment où le refrain déboula, nous nous mîmes à chanter avec toute la force de nos poumons.

« ALL BY MYSEEEEELF, DON'T WANNA BE ALL BY MYSEEELF ANYMOOOOOOOOOOOOOOOOOOORE »

Je vis ma mère lever les yeux au ciel en souriant dans le rétroviseur, puis elle lança à la cantonade :
« C'est un message subliminal ? »

ALICE ET CE SALOPARD DE CUPIDONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant