Chapitre 2 : Le cours d'histoire

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Média : via pinterest → Anna
Musique de fond : Still loving you, Scorpions
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      La matinée se finit sans trop d'encombres. Heureusement (ou malheureusement, finalement, au moins il mettait l'ambiance), M. Stupide n'avait pas pris place à mes côtés durant nos trois autres heures de cours, puisque nos professeurs avaient eu la bienveillance de faire des plans de classe par ordre alphabétique. Je me retrouvai donc à côté d'Anna, une connaissance. Le peu que je savais d'elle était qu'elle avait un Q.I. sans doute équivalent au total de tous ceux de la classe réunis, qu'elle était passionnée de foot et qu'elle ne parlait quasiment jamais.

      Nous discutâmes un peu (beaucoup, par rapport à ce dont elle était habituée) en sortant nos affaires et nous échangeâmes un sourire un peu plus tard en voyant que nous prenions toutes les deux des notes, ce qui, soit dit en passant, était un cas rare dans cette classe. Sa présence était apaisante, et je savais que contrairement à M. Parfait, elle ne risquait pas de m'importuner en discutant toutes les deux minutes.

      Quand je sortis de l'enceinte de l'école, j'aperçus à côté des grilles le blond de la tignasse de M. Crétin, perdu au milieu d'une dizaine de personnes qui discutaient d'un air animé. Comme par hasard, son regard croisa le mien. Un sourire fleurissait déjà sur ses lèvres que je commençais à m'enfuir le plus discrètement possible. Ce qui ne me préserva pas de la vision regrettable du clin d'oeil qu'il m'adressa. Ce garçon avait définitivement un problème, et ça allait me mener à un traumatisme profond si je devais le côtoyer toute l'année.

      J'arrivai chez moi avec quinze minutes d'avance par rapport à d'habitude, tellement je m'étais pressée pour échapper au psychopathe blond, et je poussai un soupir de soulagement en me laissant tomber sur le canapé.

      Ma mère, adorable, m'avait préparé de quoi subsister avant de partir travailler. Et, heureusement pour moi, s'était rendue compte que j'avais oublié mes clés, restées posées en évidence sur la commode dans l'entrée, et avait par conséquent caché le double dans le pot de fleurs pour que je puisse rentrer. Je mangeai en vitesse, préparai mon sac en récupérant mon trieur et les livres accumulées sur mon bureau, puis regardai mes messages et décidai que ma flemmardise aurait raison de moi si je bougeais encore un seul de mes doigts.

      Je fermai les yeux cinq minutes, me préparai mentalement à devoir affronter le brouhaha d'une classe de 35 individus excités je ne sais pourquoi pendant quatre bonnes heures, me levai d'un bond, attrapai mes clés, mon sac, et partis en courant de chez moi, sachant très bien que je risquais d'arriver en retard quand même. Je me sentais coupable de ne pas m'être plus pressée. Je n'avais jamais, de toute ma scolarité, été en retard, et il fallait que ma paresse tombe sur le premier jour de cours de l'année.

      Je pressai le pas dans la rue du Lycée. Et qui vis-je aux portes de l'établissement, la chevelure en désordre et le souffle court d'avoir couru ? Oui, oui. Vous avez bien compris de qui je parle. Evidemment, c'était Blondinet.

      Quand il arriva à ma hauteur, il lâcha :
« Journée de merde, hein ? »

        Je hochai la tête, approuvant totalement ses propos. Comme il ne s'était pas encore moqué de moi, je supposais qu'il ne m'avait pas vue courir comme une dératée vers l'entrée, et je dois avouer que j'en étais plutôt heureuse, parce que ce n'est pas comme si j'étais très présentable avec mes cheveux qui se barraient de mon chignon fait à la va-vite et mes joues qui rougissaient à vue d'oeil dès que je faisais un effort physique. À moins qu'il ne garde ce dossier pour m'humilier publiquement plus tard.

        Il se contenta de sourire, puis on se regarda et on se demanda simultanément :
« On a quoi comme cours ?
— On est dans quelle salle ? »

        Un rire commun nous secoua, et avec une synchronisation parfaite, nous regardâmes sur nos carnets la salle et le cours en question. Puis nous nous mîmes à courir dans la même direction. Heureusement la cour était encore en train de se vider, avec un peu de chance, on pourrait arriver juste à temps en classe. Ce qui fut le cas. Quand notre course nous mena à la salle, le professeur d'histoire, M. Clarence, faisait entrer les élèves.

« Dites donc, vous deux, vous n'avez pas l'impression d'abuser ? C'est la rentrée, tout de même ! »

         Le rouge me monta aux joues, et je me sentis m'embraser de honte. Je n'avais pratiquement jamais subi de remontrances. J'étais en quelque sorte, d'après les rumeurs en tout cas, une "tête" qui ne posait pas de problèmes. Mais cela n'avait pas l'air de déranger M. Parfait qui servit son plus beau sourire aux dents Colgate au prof, en prétextant un bouchon dans le quartier qui expliquerait son retard. Je crois que le prof le connaissait bien puisqu'il ne fit que hausser les sourcils, dubitatif, et lui faire signe d'entrer.

         Je renonçai à justifier le mien, d'autant plus mortifiée que lorsque je passai devant lui, il me dit d'un air sévère :
« Je m'attendais à mieux de votre part, Mlle Lucas. Je pensais qu'une élève ayant votre réputation exemplaire s'en montrerait digne. »

        Crétin en chef pouffa, et M. Clarence lui aboya :
« Alors vous, M. Langlois, je pense que vous feriez mieux de vous taire. »

         Ha ! Voilà donc son nom de famille. Langlois. Il devait avoir des ancêtres anglais (un point pour lui). Maintenant je n'avais plus qu'à lui soutirer son prénom pour être à forces égales. Pas moyen qu'il connaisse le mien sans qu'en contrepartie je ne sache le sien.

        J'allai m'asseoir à côté d'Anna, qui m'accueillit par un discret signe de la main. Oh dieu, qu'elle était belle cette fille ! Je me demandai comment j'avais fait pour ne jamais le remarquer avant. Comme je m'ennuyais ferme dans le cours de Clarence, je commençai à dessiner sur mon cahier. Anna, qui paraissait (miracle !) tout autant ennuyée que moi, se pencha sur mon dessin et me complimenta sur mon coup de crayon.

       Je venais de dessiner un visage. Son visage. Quand ma voisine de table me demanda qui était le garçon que mon crayon avait représenté, je répondis évasivement que c'était un ami de longue date qui me servait de modèle. J'entendis presque ma conscience se foutre de moi. Un ami ? Sérieux ? Si seulement il n'était que ça à mes yeux ! Il allait vraiment falloir que j'apprenne à inventer des mensonges crédibles.

        La vérité, c'était que je ne connaissais son visage que parce que j'avais passé des heures et des heures de cours à le regarder du coin de l'oeil, pas parce qu'il était mon modèle. Même son absence n'avait pas réussi à me faire oublier ses traits délicats.

        La voix de Clarence me ramena soudain à la réalité. Il remontait les bretelles d'une redoublante un peu trop bavarde à son goût.

« Mademoiselle Deschamps, on n'a pas besoin de vos commentaires, merci. »

       Je donnai un coup d'œil à la montre d'Anna, et après trente secondes de réflexion, je compris qu'il me restait 10 minutes enfermée dans la salle de M. Clarence. À l'intercours, on changerait de bâtiment. Je pourrai enfin respirer.

         Rageusement, je défigurai le visage angélique à grands coups de crayons. Les yeux pleins de larmes, je m'efforcai de conserver des traits impassibles. Je fermai les yeux, et tentai de calmer ma respiration.

         Inspire. Expire. Inspire. Expire.

ALICE ET CE SALOPARD DE CUPIDONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant