Chapitre 17 : Le dragueur de lampes

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Média : via tumblr → Alice (Astrid Bergès-Frisbey)
Musique de fond : Truce, twenty one pilots
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Je me levai difficilement, toujours migraineuse, et me rendis vers ma chambre. Mon radio-réveil indiquait dix-huit heures trente-quatre. J'avais toujours une terrible envie de pleurer, mais je me forçai à reprendre une contenance. Bien qu'encore exténué, mon cerveau était moins embrumé que plus tôt dans la matinée.

Je cherchai dans ma bibliothèque un livre pour me changer les idées. Je choisis Le dernier jour d'un condamné, de Victor Hugo. J'adorais Victor Hugo.

En caressant les lettres dorées de la tranche du vieux livre qui avait autrefois appartenu à ma grand-mère, je me fis la réflexion douloureuse que son auteur portait le même prénom que le garçon que j'essayais d'oublier. Je me demandai pourquoi je ne l'avais pas remarqué avant. Puis je me maudis de voir Victor en tout ce que je rencontrais.

J'ouvris le livre délicatement comme s'il était une relique précieuse qui menaçait de tomber en ruines, et je respirai la délicieuse odeur qui s'échappait des pages anciennes. Je tentai de lire, mais les mots voltigèrent devant mes yeux et mon mal de crâne revint frapper brusquement à la porte de mon désespoir.

Une larme coula. Encore. Puis une autre la rejoignit. Et mon cœur stoppa pour quelques secondes quand je réalisai qu'il ne me restait plus rien. Ni d'amitié, ni d'amour.

Cet amour qui m'avait tant fait de mal. Il était temps que je le laisse partir. Il fallait que je pleure jusqu'à ce que ce ne soit plus possible. Il fallait que je pleure tout ce que j'avais ressenti, vécu et pensé. Il fallait arrêter de retenir les larmes de couler.

Je m'endormis sur mon oreiller trempé de larmes, le nez plein et les yeux rougis, avec une sorte d'apaisement au cœur que je n'espérais plus ressentir.

***

Le lendemain, je me levai avec l'impression que le simple fait de respirer allait m'achever. Je sentis une infime trace des sanglots qui avaient secoué mon corps la veille lorsque je passai une main sur mon visage. Mais l'apaisement avait seulement été passager ; la peur, la colère m'envahissaient à présent.

L'idée de retourner au Lycée m'était insupportable. Je savais que j'aurais été incapable de regarder Noah dans les yeux si je le croisais. Je rallumai mon téléphone pour le cas où j'en aurais besoin, sans pour autant jeter le moindre coup d'œil à la cinquantaine de messages qu'il affichait, et je le glissai dans mon sac. Je soufflai un grand coup avant d'empoigner celui-ci et de quitter l'appartement, fatiguée à l'avance de ma journée.

Je savais que je devrais, en plus de m'efforcer d'être attentive en cours, faire preuve de sérieux et récupérer les cours. Je savais aussi que ma mère me décapiterait - si ce n'était pas déjà fait par ma conscience qui s'amusait à me rappeler qu'en fin d'année j'avais des examens - si je ne le faisais pas.

Arrivée au Lycée, je vis Noah aux côtés de Sam, qui était avachi sur le muret, une mèche de ses cheveux magnifiques dans les yeux. Je les vis me dévisager, mais je détournai vite le regard et je me dirigeai d'un pas empressé vers les grilles de l'établissement.

J'aperçus la chevelure blonde d'Anna et les tenues excentriques de Lina et Jamal au loin, mais je ne cherchai pas à les rejoindre. J'étais dans un mode "asocial" et la solitude me faisait plus de bien que quoi ce soit d'autre. Je pris la direction de la salle de littérature anglaise d'une démarche assurée, perdue dans mes pensées.

« Toi, t'aurais besoin d'une bonne séance de yoga », j'entendis derrière moi.

Je fis volte-face. Un garçon fluet au visage tuméfié et aux paupières tombantes me lançait un sourire rayonnant. Ses cheveux bruns en bataille et son air provocateur montraient qu'il n'avait pas l'air de se prendre la tête, ni avec les apparences, ni avec les conventions.

« T'as l'air tendue ! 'Faut se relaxeeeer.
— C'est sûr que t'as l'air totalement calme, et puis pacifiste, toi ! » soufflai-je en désignant sa lèvre entaillée et les bleus qui parsemaient tout le côté droit de son visage.

Il éclata d'un rire cristallin, m'arrachant un sourire.

« Ça ? C'est rien du tout, ohlala », dit-il en levant les yeux au ciel comme si j'étais une maman poule qui le couvait de trop.

Je haussai un sourcil.

« Je me suis endormi debout pendant que je testais une technique d'auto-hypnose, et disons que la lampe de mon bureau a beaucoup apprécié la douceur de mon visage imberbe et qu'elle a décidé d'y laisser sa marque. »

J'éclatai de rire, me surprenant moi-même.

« Enchantée, M. Le Dragueur de Lampes.
— Enchanté, Alice, ajouta-t-il avec un sourire espiègle.
— Hé, comment tu connais mon prénom ?
— J'ai vu un gars devant le Lycée qui parlait en gesticulant vers toi, et la seule chose que j'ai en pu comprendre, c'était Alice, donc j'ai supposé que c'était toi.
— C'est bien moi », confirmai-je.

Il porta deux doigts à sa tempe, puis les en éloigna, reproduisant le charmant salut de Jack Sparrow. Je ne le connaissais que depuis quelques secondes et j'adorais déjà sa spontanéité.

En le voyant s'éloigner de sa démarche sautillante, je m'écriai :
« C'est quoi ton prénom, dragueur de lampes ? »

J'entendis sa voix résonner alors qu'il tournait dans le couloir adjacent.

« J'm'appelle Alix ! »

Je ris toute seule à l'entente de ce prénom si proche du mien, et je partis rapidement en direction de la salle de classe.

J'allai m'asseoir à reculons à côté de Sam.
Je ne décrochai pas un mot pendant la première demi-heure, puis je posai la question qui me brûlait les lèvres depuis que je savais que Noah aimait Victor.

« Tu crois que tu me l'aurais dit, si tu avais été dans son cas ? »

Sam comprit immédiatement d'où je voulais en venir. Il me jeta cependant un regard noir et lâcha :
« Tiens, Madame daigne s'adresser à celui qui partage sa table après trente minutes ? »

En voyant que je baissais les yeux, parce que je me haïssais d'avoir un tel comportement alors que lui ne m'avait rien demandé, il reprit avec un peu plus de douceur :
« Je pense que j'aurais fait comme Noah. Je ne le dis pas pour te blesser plus, mais c'est comme ça. Je pense qu'il a voulu te préserver de cette douleur le plus longtemps possible, mais qu'il ne pouvait plus supporter de te mentir constamment. Il n'a pas eu le choix. Il ne te l'a peut-être pas annoncé aussi délicatement que tu l'aurais aimé, mais putain, Alice... c'est dur d'exprimer ses sentiments. »

Il me lança un regard perçant, mais celui-ci changea du tout au tout lorqu'il regarda je ne sais quoi par la vitre de la porte de la classe. Son teint prit soudainement un teint blafard et il ferma les yeux comme pour effacer la vision qu'il venait d'avoir.

ALICE ET CE SALOPARD DE CUPIDONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant