Chapitre 25 : Sam et sa modestie légendaire

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Média : via tumblr → Alice qui écoute Sam (Astrid Bergès-Frisbey)
Musique de fond : Sonata pathétique mvt 1, Beethoven
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Je pédalais, emplie d'une légèreté que je n'avais pas ressentie depuis bien longtemps. Le vent soufflait sur mon visage et faisait s'envoler mes cheveux. J'adorais ce parfum de liberté qui flottait dans l'air, si palpable que j'aurais pratiquement pu le toucher du bout des doigts. Peut-être que pour une fois, je goûtais au bonheur, au vrai.

Quelques minutes plus tard, je me retrouvai pour la troisième fois de ma vie devant la maison de Sam. Je passai devant le portail et me dirigeai vers le muret qui l'encadrait pour sonner. Cette fois, ce ne fut pas sa mère, mais bien Sam en personne qui m'ouvrit. Avant même de dire quoi que ce soit, il attrapa mon visage avec une précipitation malgré tout empreinte de douceur et il posa ses lèvres sur les miennes.

Ça avait beau ne pas être le premier baiser que nous partagions, j'avais toujours l'impression d'être dans un rêve, ou un film en HD. Une fois séparés, un sourire étirant nos commissures de lèvres, nous montâmes les magnifiques marches de l'escalier en colimaçon au pas de course. Arrivés au troisième niveau, je respirai un long coup, essoufflée.

Sam me lança une pique en m'entraînant d'un éclat de rire dans sa chambre.

« Très sportive, à l'évidence, hein Alice ? »

Je souris hypocritement et lui rétorquai :

« Bien sûr. Ça se voit à mon physique si parfait que t'as mal aux yeux en me regardant !
- Et modeste avec ça ! On dirait moi.
- C'est ça, d'avoir de mauvaises fréquentations... »

Je mimai un baiser que je lui envoyai avec la main. Il me lorgna d'un air boudeur.

« J'en veux un vrai. »

Je ris.

« Wait, wait : joue moi du Chopin - ou du Beethoven, comme tu veux - et tu l'auras. C'est pas gratuit, tu sais ?
- Objection : tu m'embrasses, puis je te jouerai.
- Tu seras plus concentré.
- Tu pousses un peu mémé dans les orties, là, Alice ! Tu me perturbes pas tant que ça », sourit-il narquoisement.

« Parfait.
- Hein ? On m'appelle ? » demanda Sam le plus naturellement du monde.

J'explosai de rire. « Pas toi. T'es moche. »

Je lui souris de toutes mes dents, et je me sentis rougir à l'idée de ce que j'envisageais de faire. Je m'approchai de lui et je posai ma main sur son torse. Il était assis sur son lit, et j'étais encore debout. Je me penchai vers lui, lentement, j'approchai ma bouche de la sienne jusqu'à sentir son souffle régulier se heurter au barrage que formaient mes lèvres. Je sentis les siennes s'étirer en un sourire.

L'angoisse noua mon ventre, mais je me penchai jusqu'à effleurer sa bouche de la mienne, aussi furtivement que lorsque quelqu'un s'amuse à vous faire frissonner en passant doucement son doigt sur votre avant-bras, et mon cœur s'arrêta.

Puis je m'écartai vivement, faisant grincer le parquet, et je le vis sourire. Sam ne rougissait jamais. Je pense qu'il aurait pu se dévêtir devant moi sans être gêné le moins du monde. Il sourit en disant :
« Pas faux. 'Vaudrait mieux que je joue d'abord. Quoique j'ai déjà trop envie de tes lèvres. »

Il se leva en un bond, et m'embrassa si fougueusement que tout mon corps partit en arrière. Seule sa main maintenait mon dos à la verticale, et pourtant, j'avais l'impression que le ciel et la terre, le jour et la nuit, le soleil et les étoiles n'étaient plus qu'un tout dont nous étions les deux faces, aussi différents l'un de l'autre que l'étaient entre eux le yin et le yang, perdus dans un monde sans atmosphère où l'on serait perpétuellement en suspens.

Il relâcha lentement la pression de son baiser qui avaient causé en moi un tremblement de terre puissance dix sur l'échelle de Richter, et sans paraître un tant soit peu bouleversé, il alla s'asseoir sur le tabouret face à son piano. Il tourna quelques pages de partitions et atterrit sur un morceau de Beethoven. Le titre indiqué était « Sonata pathétique mvt 1 ».

Sam laissa ses deux mains planer à quelques centimètres du clavier, puis il descendit en douceur sur les touches, et la première note retentit comme un soupir. Puis il se lança, cette fois les yeux ouverts. La fenêtre placée face à lui faisait entrer des rayons de soleil dans sa chambre, dont l'or ne pouvait rivaliser avec celui qui cernait ses pupilles.

Le morceau était magnifique. Les mains de Sam allaient si vite que j'en perdais le cours, et il y avait une beauté dans les notes qu'il jouait qui allait au delà de l'imaginable. Sam maniait la musique d'une telle manière que si je ne l'avais pas déjà aimé pour ce qu'il était, je serais sans doute tombée amoureuse dans l'instant de lui pour ce qu'il savait faire.

Je finis par m'allonger sur son lit, tentant de caler ma respiration sur un rythme plus calme. Je fermai les yeux sur un monde qui ne valait plus la peine d'être regardé tant ce que j'entendais me contentait pleinement.

La mélodie était à la fois douce et furieuse, et je me demandai si ça n'était pas une allégorie de l'Amour. Une note,
Puis une autre,
Et des centaines d'autres,
Des douleurs inexprimées ,
Et des amours réprimées,
Des joies devenues antidotes,
Et des espoirs enfin nôtres,

Tout, tout, tout ce qu'un homme pouvait ressentir,
Tout, tout était dit par cette mélodie qu'il suffisait d'ouïr,
Tout était vécu au travers de vibrations que l'oreille interprète,
Et ce tout sortait d'un bien simple instrument que l'on apprête,
Et ce tout formé de rien tant il était beau devenait impossible à saisir.

Si j'avais cru en un dieu, j'aurais sûrement prié pour que cette musique ne s'arrête jamais. Mais tout a une fin.. Qu'on le veuille ou non.

Sam se leva. Je l'entendis repousser le tabouret sur lequel il était assis, et même les craquements du parquet sonnaient comme de la musique, comme si le morceau qu'il avait joué imprégnait encore la pièce entière.

Il vint s'allonger à mes côtés en se laissant doucement tomber sur le matelas, et je sentis sa main chercher à attraper la mienne. Gardant toujours les paupières baissées sur mes yeux comme un store sur une fenêtre, je saisis ses doigts et les enfermai entre les miens.

Sa main était douce. Elle était là seule chose qui me permettait de m'assurer que ce n'était pas qu'un rêve. Parce que non. Je n'arrivais pas à y croire. J'étais avec Sam. Qui m'avait dit un jour qu'il m'aimait. Qui venait de m'embrasser et de jouer du piano pour moi. Y aurait-il pu avoir plus parfait instant ?

Mais c'était trop beau pour être vrai. Sam ne pouvait pas m'aimer réellement. Il aurait pu avoir n'importe qui, pourquoi m'aurait-il choisie moi ? Ça n'avait aucun sens.J'avais besoin d'en avoir le cœur net. J'ouvris les yeux en le regrettant de suite. Je battis des cils pour refouler les larmes brûlantes qui menaçaient de s'en échapper.

« Sam ? murmurai-je.
- Oui, Alice ? »

Je me mordis la lèvre, sachant que je ne pouvais plus faire retour arrière.

« Est-ce que tu m'aimes vraiment ? » osai-je enfin lancer.

ALICE ET CE SALOPARD DE CUPIDONOù les histoires vivent. Découvrez maintenant