Je garde fébrilement la carte coincée entre mon index et mon pouce. L'espace d'un instant, j'ai réellement cru qu'elle pouvait s'adresser à Lyra, je ne dirai pas être soulagé d'être choisi mais je suis rassuré qu'elle reste avec la famille ne sachant pas ce que l'on devient en intégrant l'entreprise. Le choc n'en est pas moins grand. J'ai besoin de quelques minutes pour comprendre ce qui m'attend, que vais-je devenir ? J'appréhende mon départ, pas ce qui me réserve cet endroit mais ce qui va se passer ici. Soit mes parents vont mieux s'en sortir avec une bouche en moins à nourrir soit mon absence va engendrer une perte d'argent voire de ressources. Cela étant, Lyra saura faire face. Il vaut mieux ramener un maigre butin que pas de butin du tout, aussi insignifiant soit-il.
Ma famille... Que vont-ils devenir ?Mes parents aux entrepôts, Caeli à l'école, Lyra dans les rues... L'angoisse me gagne à l'idée de les laisser, de ne pas être présent en cas de besoin. On ignore tout de cet endroit, de ce que l'on devient une fois entre ses murs. Qui sait la prochaine fois que je pourrai serrer mes proches dans mes bras. Peut-être est-ce là nos adieux. Je me rends compte que je serre trop fort la carte, elle me marque les doigts. Je joue avec le reflet du soleil qui se réverbère sur les lettres calligraphiées du plastique. Je repose la carte sur la table, si cette après-midi est la dernière avec ma famille mieux vaut laisser ça de côté. Je n'ose pas me retourner et affronter Lyra. Caeli est toujours à l'étage sûrement plongé dans un de ses bouquins, il ne prêtera pas attention à ce qui se dira entre nous. Je fais pivoter doucement mes pieds pour me retourner vers ma sœur, assise sur le canapé de notre séjour.
- Elle est arrivée quand ? Lui demandais-je.
- Je sais pas. J'étais en train de faire ma toilette à l'étage pour me débarrasser de cette horrible odeur de sueur, en redescendant elle était posée là.
L'idée que quelqu'un ait pu réussir à s'introduire dans notre maison sans qu'elle s'en aperçoive me terrifie. Je me dis que lorsque nous ne sommes pas là, des gens doivent y rentrer en toute impunité.
- Et tu n'as rien entendu ?
Elle hoche négativement la tête toujours assise sur ce canapé sans même me regarder. C'est comme si je n'étais plus là. Tout le monde dans cette ville connait l'Organisation, cette immense tour servant de phare à la ville, le seul édifice notable des environs. Tout le monde en parle, tout le temps. Je ne compte plus les fois où un commerçant pleure le départ d'un des siens pour cet endroit.
Lyra reste muette. Le choc est peut-être plus grand pour elle. Un bruit à l'étage me tire de mes pensées, Caeli vient de faire tomber un livre sur le plancher. Je passe ma main dans mes cheveux, désespéré. Comment lui annoncer ? C'est un enfant, mes mots d'adultes ne vont probablement pas avoir grand sens. Il n'a pas connu Noah, il ne peut comprendre mon départ. Mes parents trouveront les mots bien plus facilement que moi. Tout comme je n'ai pas besoin de parler à Lyra, elle sait tout de moi comme je sais tout d'elle, nous sommes les mêmes. Elle comprendra, elle comprend. Mais comment l'expliquer à mon frère ? Mon petit frère ? Celui qui m'attend sur les marches de l'école, qui court à travers la Draperie persuadé de pouvoir attraper au passage les tissus accrochés à la verrière. Celui qui me lit ses livres le soir, fier de me faire partager son univers... Je sue à grosses gouttes sous mon t-shirt et pas uniquement à cause de la chaleur, le stress y est pour beaucoup. Je garde les yeux fixés au plafond, sur la chambre de ma sœur et mon frère.
- J'irai lui parler, me propose Lyra.
Elle s'est levée du canapé, les bras croisés sur son torse me fixant. Je m'approche pour la serrer dans mes bras. Je savais qu'elle détestait ça mais j'ignorais tout de ce qui m'attendrait une fois que j'aurais quitté les blocs. Je suppose qu'il faudra me rendre à la Tour en plein centre, avec mes vêtements je ferai tâche mais la carte me servira de passe-droit. Je crois qu'ironiquement c'est le seul côté positif. A ma grande surprise Lyra n'essaye pas de se dégager de mon emprise, elle reste contre moi, sa tête appuyée contre ma poitrine.
- Il faut que j'aille voir quelqu'un avant de partir. Ça ira pour toi ?
- C'est bon. Pense à aller voir les jumeaux aussi.
- Je n'y manquerais pas.
Elle desserre son étreinte pour monter rejoindre notre frère. Je reste quelques instants dans le salon pour m'imprégner de l'odeur de ma maison. De l'odeur de ma famille. J'ai peur d'oublier. J'examine chaque coin, chaque objet sur les étagères pour les graver dans ma mémoire. Je soupire à l'idée d'abandonner ma vie pour l'inconnu. J'ai l'impression que le reflet de la carte éclaire toute la pièce pour me rappeler l'avenir, le mien. Et ça me terrifie. Je décide de sortir m'aérer, il faut que je prenne l'air j'ai besoin de respirer à plein poumon. Chose qui me semble quasi impossible aux blocs.
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L'Organisation [ TERMINÉE ]
Science-FictionUne étrange tour domine la ville. Personne ne sait ce qui se passe entre ses murs: quelles sont ses activités, qui sont ses employés, que font-ils ? Une chose est sûre, dès lors que vous recevez la carte de cette "société", vous lui appartenez. Pour...