Chapitre 2; Part 2

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L'école est sur ma gauche, je monte les marches par quatre pour rejoindre la classe de Weny. J'espère qu'elle y sera encore. D'ordinaire elle reste les après-midi pour préparer son cours du lendemain, ranger ses affaires, effectuer les commandes de fournitures pour ses élèves. Mais je me dis qu'aujourd'hui, le jour où c'est primordiale de la voir, elle sera parti en ville chez elle. Je frappe à sa porte. Deux fois. Je tourne la poignée mais elle est verrouillée.

- L'école est fermée, qu'est-ce que vous faites ici ? Demande une femme à mon attention.

- Je cherche Weny, l'auriez-vous vu ?

- Deuxième étage, troisième gauche. Frappez avant d'entrer.

Je lui souris et court à la porte indiquée. L'attente me parait interminable. La porte s'ouvre sur une dame menue, moite de sueur par cette chaleur. Elle ne prend pas la peine de me demander qui je viens voir et se contente de laisser la porte ouverte sur la pièce. Marron du sol au plafond, des meubles fait à partir de bois de récupération, de flotteurs utilisés par les pêcheurs. Rien de bien élégant. Weny me voit, je lui fais un signe de tête pour qu'elle me suive devant l'école. Les mains dans mes poches, un pied appuyé contre le mur, j'essaye de masquer mon stress. Elle se tient droite, souriante. Je regrette aussitôt d'être venu la voir mais je m'en voudrait de ne pas l'avoir fait.

- J'ai reçu la carte...

Pas besoin d'en dire plus. Elle comprend. Weny secoue la tête inlassablement pour enregistrer l'information. Je ne souhaite pas m'éterniser, je préfère vadrouiller dans la ville avant de rentrer chez moi. J'ai besoin d'être seul un moment. La prenant dans mes bras, je lui embrasse la joue. Tout en sobriété, je ne m'attarde pas. Il faut que je commence à me préparer à l'éventualité de ne jamais la revoir. Je ne tire pas un trait sur eux. Weny relève la tête, elle me caresse la joue du bout de sa main, recoiffant mes cheveux. Je l'embrasse une dernière fois avant de la quitter. J'aurais préféré rester plus longtemps à ses côtés, prendre le temps de lui faire mes adieux... mais c'est au-dessus de mes forces. 

                                                                                     * * *

Près de chez moi, je m'arrête un instant devant les marches pour m'y asseoir et réfléchir. Je ne sais pas à quoi m'attendre. Je ne sais rien. J'adorais m'arrêter à la balustrade juste avant notre porte pour réfléchir. Des fois je m'y vidai complètement la tête, perdu dans l'horizon immense que m'offrait cette vue. Je pouvais voir les passants en contre-bas rentrant des usines, les enfants venus à leur rencontre pour les raccompagner jusqu'à leur domicile. 

De là où je suis, on peut voir une bonne partie du sud de la ville: les rails de chemins de fer formant la route des wagons vers d'autres destinations, les dernières habitations, les plus éloignées de la ville. Je me sens bien là-haut, faisant dos au centre-ville qui m'oppresse, qui m'écrase même de sa présence. Face à l'horizon je m'imagine des idées de voyage, d'aventure, d'ailleurs mais surtout de liberté. C'est probablement ce qu'a dû faire Noah, c'est la seule explication à son départ mais surtout à son absence. Je l'imagine loin d'ici, dans une maison qu'il aurait construite de ses mains, bancale et précaire mais la sienne. Cette idée me conforte et m'aide à accepter son choix. Je ne préfère pas penser à demain et à l'asservissement qui m'attend. 

C'est le cœur lourd que je passe le pas de la porte. A ma grande surprise, Lyra a déjà parlé à Caeli qui vient se blottir contre moi. Je l'embrasse et reste longuement avec lui à le câliner. Il ne comprend pas vraiment ce qu'un départ signifie, s'attend-t-il à me voir partir quelques jours avant de rentrer à la maison ? Pense-t-il que je pars seulement la journée pour faire des affaires pour revenir le soir, au plus tard le lendemain ? J'ignore ce qu'il se passe dans sa petite tête mais je fais confiance à Lyra, elle a su trouver les mots. Assise sur notre table, les pieds en tailleur avec la carte de l'entreprise dans ses mains, elle me la tend en souriant du mieux qu'elle peut. Je m'avance pour la lui prendre.

- Tu sais... C'est peut-être pas plus mal que tu t'en ailles, personne ne sait de quoi est faite cette société, peut-être que c'est tellement bien que ça explique que personne ne soit jamais rentré.

- Quand j'y serais je te dirais.

- Tu promets d'essayer de nous revoir ?

Je la prend dans mes bras. Il est hors de question que j'abandonne ma famille. Je serai dans la ville sûrement, à quelques pâtés de maisons de la nôtre, ça sera toujours mon foyer, ça sera toujours ma famille.

- Peut-être que ce sera ta chance de quitter les blocs, me murmure-t-elle.

- Et la tienne ?

- J'ai pour projet d'ouvrir mon commerce à la Draperie. J'aimerais me faire embaucher par un des marchands  pour qu'ils m'apprennent leurs métiers, après ça je pourrais ouvrir ma propre échoppe.

Je souris. Je garderai un œil sur ma famille, être sûr que Caeli reste scolarisé jusqu'à avoir son certificat d'études. Après ça j'espère qu'il l'étoffera de diplômes. Lyra le forcera à faire des études. Je ne compte pas tourner le dos à ma famille, la seule chose que j'ai retenu du départ de mon frère a bien été ça. Je ne veux en aucun cas que mes parents se retrouvent dans l'ignorance de mon sort, qu'ils se questionnent sans cesse, savoir où je suis, si je peux subvenir à mes besoins mais surtout si je suis toujours en vie. Je crois que c'est ce qui ronge le plus mes parents. Lyra et moi savons qu'ils se posent ces questions à propos de Noah. Il arrive parfois que nous puissions les entendre en discuter. Même si cela fait sept ans que notre frère nous a quitté, mes parents gardent les mêmes incertitudes le concernant. Il faut que je fasse tout mon possible pour leur éviter ça, je ne pense pas quitter la ville à vrai dire je ne connais rien d'autre.

Le soleil ne tarde pas à se coucher à mesure que la nuit arrive, bientôt le ciel se parera de couleurs orangées, rosés ou jaunes. J'attends nerveusement leur arrivée, mon pied est posé sur un barreau de notre balcon qui vibre face aux mouvements répétés de ce dernier. Je n'arrête pas de craquer mes doigts, mes mains tremblent anormalement et je commence à suer d'angoisse.



L'Organisation [ TERMINÉE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant