Chapitre 37; Part 3

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     Nous marchons au pas de course vers une gare au sud. Nous ne repassons pas par la Draperie. Eileen déplace une plaque de fer rouillé derrière un conteneur abandonné et me fait signe de la suivre. Je dois m'accroupir pour réussir à rentrer dans ce tuyau en béton. J'aide Eileen a replacer la plaque avant d'avancer en clopinant, accroupis, dans un tunnel sans lumière.

- Fais attention où tu marches, il peut y avoir des restes de rats ou d'animaux.

- C'est bon à savoir.

     Ça pue. Vraiment. Mes chaussures prennent l'eau et je suis persuadée que ce n'est pas simplement de l'eau. Des vieux journaux flottent à la surface. Ça glisse et marcher accroupit n'aide pas. Au fur et à mesure que nous avançons je peux un peu plus me redresser. Sur notre chemin nous avons rencontré plusieurs barricades érigés par les habitants des égouts. Du grillage au bloc de béton avec un minuscule passage bien dissimulé ou d'un trou creusé au sol.

- Je ne vais pas me faufiler là-dessous.

- Si tu veux rentrer il va falloir. Tu veux que je passe la première ? Ou tu préfère commencer ?

     Je m'élance en premier. Non pas que j'en meurt d'envie mais si je suis coincée au milieu Eileen pourra me pousser. A plat ventre, on sent encore plus l'odeur nauséabonde. Mon t-shirt est immédiatement trempé et j'ai envie de vomir. Je commence à ramper, m'appuyant sur mes bras et ramenant toute la boue vers ma poitrine. Au niveau des fesses ça passe juste et mettre mes mains dans de l'eau croupie, sûrement infestée de maladie ne m'enchante pas vraiment étrangement. Je me relève et attends Eileen. Le seul avantage serait qu'on peut se tenir debout à présent. Eileen est beaucoup plus rapide que moi, en deux mouvements elle a déjà traversé.

- C'est vous qui avait creusé le béton ?

- Non, avant il y avait des grilles pour que l'eau passe et que les saletés restent. Mais on l'a cassé pour pouvoir se créer ce chemin.

- C'est dégoûtant.

- Ouais c'est sûr. Mais dis-toi que tu loge chez Bajra, il te prêtera sa douche.

     J'esquisse d'une moue et nous reprenons notre route. Ce passage est beaucoup plus long. J'ai l'impression de ne pas en voir la fin. Nos chaussures prennent l'eau, à chaque pas je peux sentir mes chaussettes recracher le liquide. On s'enfonce de plus en plus et la luminosité baisse également. Heureusement que des fissures au plafond amènent les rayons de soleil jusqu'à nous, ça nous permet de voir un peu où nous sommes.

- On va commencer à avoir plus d'eau à partir d'ici. Et moins de lumière donc restes à côté de moi.

- De l'eau jusqu'où ?

- Assez pour nous hisser sur un autre tunnel.

     Je sens que je ne vais pas aimer. Nous reprenons notre route. Les raies de lumière qui jusqu'ici nous permettaient d'avoir un peu de soleil disparaissent pour nous laisser dans une pénombre. On distingue nos corps, les tuyaux, les grilles, tout. Mais je préfère quand même avoir de la lumière avec moi. Nous arrivons au bout du tunnel qui débouche sur un autre.

- Ok, à partir de là on va se mouiller.

     Eileen s'assoit sur le rebord et se laisse tomber au sol. L'eau lui recouvre les pieds. Si ce n'est que cela ça va. Je descends à mon tour et nous reprenons.

- Pourquoi vous utilisez ces passages ? Vous n'avez pas plus court ?

- Si bien sûr, mais avec les natifs on est obligé de brouiller les pistes. Celui-ci est plus long que l'autre mais plus sûr. T'as pas dû aller dans les égouts durant ta formation hein ?

- Non, on restait en surface.

     Plus nous avançons plus l'eau monte, elle nous arrive aux genoux à présent. En avançant, j'envoie de l'eau sur Eileen qui ne tarde pas à être trempé. Mes pieds s'accrochent à des trucs mais l'eau est si noire que je ne préfère pas voir ce qu'il y a en-dessous. Eileen avance très vite, elle connaît bien l'endroit.

- Pourquoi t'es parti de la ville ?

     Elle regarde par-dessus son épaule pour m'inviter à discuter.

- C'était trop compliqué de rester là-bas. J'ai préféré m'en aller.

     Elle ne lance qu'un « hum ». C'est sûr que si elle s'attendait à ce que je lance la conversation...

- Et pourquoi t'es revenu ? Faut être dingue pour revenir ici...

- Bajra me l'a demandé.

- T'as réussi à le contacter ?

- C'est lui, tout le pays communique, on est pas enfermé. Enfin on ne l'était pas. J'ai jamais eu besoin personnellement de communiquer avec le reste du monde donc bon. Vous ne parlez vraiment à personne aux égouts ?

- Comment veux-tu ? On se fait discret... D'ailleurs j'ai appris la signification du tatouage sur ton cou. C'est dingue quand même ce qui se passe là-haut.

- Tu n'imagine même pas.

     L'eau continue de monter jusqu'à nos nombrils. Je ne suis pas confiante du tout. Je bute sur des objets en avançant, mes pieds se prennent dans des choses. Je n'aime vraiment pas être ici. L'eau mouille notre ventre désormais. L'odeur me répugne, un mélange nauséabond me provoque des haut-le-cœur.

- On est arrivé.

     Je ne vois rien. Le tunnel continue devant nous. Eileen me montre une voie d'un autre tunnel qui passe au-dessus de nous. Elle s'appuie sur quelque chose avant de s'accrocher à la paroi. Elle met son autre pied sur un morceau de béton et se hisse en hauteur.

- A toi. Mets ton pied sur le bloc de béton, tu le sentiras.

     Je cherche à tâtons quelque chose où m'appuyer. Les mains sur les parois je monte sur ce bout de béton, saisis une prise et grimpe. Eileen me réceptionne et m'aide à monter. Nous sommes au sec, pas d'eau juste des flaques, des déchets et de la poussière. Mais pas d'eau jusqu'à la poitrine.

- Plus jamais tu ne me refais passer par cet endroit.

     Nous rentrons à la résidence après plusieurs heures dehors. Je suis bien contente de ne pas avoir été vu. Surtout par Caden.



L'Organisation [ TERMINÉE ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant