Les toilettes sont tout aussi plongés dans le noir. Je peux discerner les lavabos, les douches, mais grossièrement. Néanmoins il y a assez de lumière pour que je remarque une grosse tâche près d'un toilette en sortant. Une ombre imposante. Je plisse les yeux. C'est à hauteur de la cuvette, ça ne dépasse pas. En m'approchant, je constate qu'il s'agît de quelqu'un. Accroupit, les bras repliés sur les genoux. Une recrue. Au moment où j'allais déposer ma main sur son épaule, celle-ci se relève. Je m'accroupis à sa hauteur pour découvrir le visage d'Ade. Elle me découvre avec surprise.
- Ho putain tu en fais du bruit.
Je lui souris et l'aide à se lever.
- T'es cachée là depuis longtemps ?
- Pratiquement le début. J'étais au réfectoire mais c'est collé au Prétoire donc à éviter. Et toi ?
- Avec Bajra dans les Arceaux mais on s'est séparés. Où est Cirkel ?
- Je sais pas. Je l'ai perdu avant d'atterrir ici. Faut qu'on bouge, avec le bruit que tu as fait c'est sûr qu'ils vont revenir.
- Ils fouillent de partout, où est-ce que tu veux aller ?
- J'en sais rien. J'aimerais juste que ce soit fini pour pouvoir aller me coucher.
Je laisse échapper un petit rire. J'aimerais bien dormir aussi, d'autant plus que demain la formation commence, ça m'étonnerait qu'ils nous laissent faire la grasse matinée. Un silence s'installe, nous cherchons un endroit pour patienter jusqu'à la fin de leur jeu, mais pour ma part rien ne vient.
- J'ai vraiment peur. Je sais que ce n'est qu'un jeu mas j'ai entendu un des natifs parler de « simulation ». Qui sait ce à quoi on va nous entraîner.
- T'inquiètes pas je suis tout autant effrayé. On se retrouve dans un endroit que l'on ne connaît pas. Avec des étrangers. Tout ce contexte joue sur nous. Et puis maintenant nous sommes deux, lui dis-je pour la rassurer.
Je n'avais pas envie de mentionner que mon frère était ici, et que donc techniquement je n'étais pas avec des étrangers, sans compter Bajra que je « connais » de la Draperie. Mais je peux comprendre qu'elle soit effrayée. Pas par le jeu en soit mais par la situation, elle le ressent maintenant parce qu'elle s'est retrouvée seule une fois qu'elle a perdu Cirkel, mais avec mon arrivée elle va vite se rendre compte que ce n'est qu'un jeu et qu'au final elle est bien plus effrayée par notre formation et l'Organisation.
*
Ade et moi sommes retournés aux salles de combats. L'endroit est plus grand que le Prétoire et nous avons plus de lumière. On s'est assis sur les tatamis, les genoux repliés, les bras dessus. Ade est en pleine réflexion, elle regarde dans le vide, les yeux rivés sur le sol bétonné. Je ne dis rien. J'attends impatiemment que ce jeu se termine. Il n'y a pas un bruit, pas un murmure, rien.
- Tu crois qu'on peut quitter cet endroit ? Me demande Ade, brisant le silence.
- Comment ça ?
- Partir. Faire la formation, quelques contrats et partir.
- J'en sais rien. J'en doute.
Pensant à Noah, je sais qu'on ne peut pas quitter l'Organisation comme ça. J'ignore même combien de temps on reste ici. Peut-être toute sa vie. Ça me ferait chier.
- Je sais pas si je resterais longtemps...
- Pourquoi ? Tu penses que tu ne tiendra pas ?
- Putain non ! Bien sûr que je tiendrais ! Je tiens tout le temps...
Elle se tait. J'attends qu'elle me dise la suite. Lyra faisait pareil. J'attendais près d'elle qu'elle décide de me parler ou non. Le plus souvent elle n'en disait pas plus mais elle appréciait que je sois resté. Si Ade veut parler je reste là.
- Ils nous privent de notre famille. Sans se douter que certains d'entre nous prenaient soin de leurs familles. Ici on est entouré. Mais dehors... Finit-elle par lâcher.
- J'ai laissé mes proches. Tout le monde. Mais ils ne sont pas seuls pour autant.
- Qui prend soin de ta famille ?
- Ma famille. Mes parents veillent sur ma sœur et mon frère. Ma sœur veille sur mon frère. Les amis veillent sur les amis. Je pense que chacun veille sur quelqu'un pour que quelqu'un veille sur toi. Tu n'as pas à t'en faire pour ta famille.
- Et si ta famille se résume à une seule personne ?
Elle est dans la merde alors pensais-je. Mais je ne lui dirais pas. Là je ne sais pas quoi lui répondre.
- C'est quel parent ?
- Ma grand-mère.
- Et tes parents ?
- Ils n'habitent plus en ville. Ils sont quelque part dans ce pays, mais je ne sais pas où. Ma grand-mère veille sur moi et réciproquement.
- Tu n'as pas à t'en faire pour elle. C'est une adulte, t'inquiètes pas.
Elle ne dit rien. Au lieu de ça elle se lève. Inspecte la salle. Elle court -très discrètement- avant de se retourner vers moi. Elle me fait signe de la suivre. En me levant je ne la vois nulle part. Je l'appelle à voix basse. Puis recommence. J'entends seulement maintenant les natifs descendre. La tête d'Ade sort d'un pilonne où elle s'est cachée. Je la rejoins et me plaque contre un autre poteau à quelques mètres du sien. Les natifs sont dans la salle. Ils courent, crient, rigolent. Ils font un tel bruit. Finalement ce jeu n'est pas si effrayant. Ce n'est qu'un jeu, comme lorsque l'on est gosse. La différence ici c'est que l'on ne connaît pas nos adversaires mais ça n'en reste pas moins un jeu.
Le poteau n'est pas très large, Ade s'y fond parfaitement bien. Même si je ne suis pas bien épais, je crains d'y dépasser un peu. Aucun de nous ne bouge. Les natifs continuent leur course. Ils ne sont que de passage, ils ne nous cherchent pas vraiment. Les pas s'estompent. Je penche la tête, la sort discrètement pour vérifier. Personne. Je rejoins le tatamis. La salle est tellement grande. Je laisse divaguer mes yeux. J'entends Ade derrière. J'entends un bruit métallique. Mes sourcils se froncent face à ce bruit inconnu. Quelque chose rafle l'air pour venir s'agripper à mes chevilles. Une corde se resserre autour de mes pieds pour me faire tomber. Étant près des tatamis, ma chute n'est pas douloureuse. J'essaye d'ôter cette entrave qui me cloue au sol. Un homme s'approche. J'ai été capturé. Je cherche du regard Ade, ne la voyant nulle part. Le natif se baisse une fois arrivé jusqu'à moi, il me menotte les poignets pour libérer mes pieds. Sa main se harponne sous mon aisselle pour me relever farouchement.
- Encore un autre !
*
Je suis poussé au sol avec les autres Recrues. Je ne vois pas Bajra mais Cirkel est là. Pour ce qui est de Born je ne m'en préoccupe pas plus que cela. On m'attache aux restes des Recrues par les poignets. Nous nous faisons tous dos. Quatre natifs restent postés sur la place du Prétoire. Entre-temps d'autres recrues se sont faites avoir. Il ne doit plus en rester que quatre. Il ne reste plus qu'à attendre.
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L'Organisation [ TERMINÉE ]
Научная фантастикаUne étrange tour domine la ville. Personne ne sait ce qui se passe entre ses murs: quelles sont ses activités, qui sont ses employés, que font-ils ? Une chose est sûre, dès lors que vous recevez la carte de cette "société", vous lui appartenez. Pour...