Cette scène oppressante où les deux adversaires ne se lâchaient pas du regard aurait été très bien dans un vieux Western. Elle était assise là dans toute sa confiance et en pleine possession de ses moyens tandis que moi, mon esprit jonglait entre Lili et elle. Il fallait que je me concentre, car la connaissant, dès que j'aurais le malheur de cligner des yeux, elle disparaîtra.
Mais pas ce soir. Je m'y refuse.
Alors, on reste planté là, à se défier du regard.
« - On ne m'attend pas pour la fête ? »
Leila arrive comme un diable sortant de sa boîte. Dès que j'eus le malheur de tourner la tête vers elle, « 3173 » en profita pour s'accrocher au lustre du plafond dans toute son agilité et nous faire faux bonds.
« - Je vais l'avoir ! Je vais l'avoir ! »
Voilà pourquoi je détestais tant Leila. En plus d'être une incapable, elle gâche la moindre petite occasion qui s'offre à moi. Si je ne l'avais pas dans les pattes constamment, je pense que j'aurais fait de « 3173 » mon goûter à l'heure qu'il est.
Après tout, elle reste humaine et les humains commettent toujours des erreurs.
« - Ne reste pas planté là Tristan ! Aide-moi !
- Débrouille-toi, ça ne m'intéresse plus maintenant que tu es là. »
Bien-sûr que si que ça m'intéresse toujours autant et c'est certainement pour cela que je me précipite vers la seconde sortie de secours. La connaissant, elle réussira à semer Leila d'une manière ou d'une autre, mais l'entrée principale est prise par les forces de l'ordre. Il ne restera que cette porte-ci si elle veut sortir du bâtiment.
Et cette porte, j'en suis son gardien.
Je n'ai plus qu'à attendre une dizaine de minutes.
« - Ou peut-être moins, je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi rapide.
- Je ne m'attendais pas à tomber face à elle une nouvelle fois. Une admiratrice ? Une fan hystérique copiant ton travail ou juste une rivale ?
- Rivale ? S'il te plaît, pour avoir une rivale il faudrait qu'il y ait le niveau pour.
- Donc je présume que tu ne vas pas me laisser passer.
- Non...Sauf si tu me redonnes ce que tu as volé.
- Pas de suite...J'ai besoin d'une petite expertise personnelle disons.
- Si tu crois que tu vas réussir à me passer...
- Oh ? Mais je le ferais. Tu le sais aussi bien que moi. Je l'ai remarqué, tu as la tête ailleurs. Il n'y a que deux choses qui perturbent un homme monsieur l'apprenti : la dame de cœur et la famille. Dans ton cas...Je pencherais pour la première option.
- Ne prétends pas connaître ma vie. »
Je tente une approche et aussitôt elle recule, bijoux en main en claquant de la langue.
« - Ouuuh...On dirait que j'ai fait mouche. C'est mignon. En attendant, je te conseille vivement de recouvrer tes esprits, je ne serai pas aussi gentille la prochaine fois.
- Il n'y aura pas de prochaine fois avec toi !
- Tu veux déjà me donner la fessée ? Petit coquin. Malheureusement, il est l'heure pour moi d'y aller, j'ai assez traîné avec toi pour ce soir. Il ne faudrait pas que nos rendez-vous soient trop longs. Je me lasserais sinon.
- Et où est-ce que tu sortiras ? La porte est derrière moi.
- Donc devant moi. C'est mignon tu sais, cette façon que tu as de toujours prétendre avoir un coup d'avance sur moi. Mais sache, monsieur l'apprenti, que c'est en vérité l'inverse. Je ne viens jamais sans avoir préparé le terrain. »
À peine avait-elle fait un second pas en arrière que je compris son petit jeu qu'elle dissimulait si bien derrière son sourire triomphant. Par réflexe, je me jetai à terre et attendit l'explosion. Parce qu'il y a toujours une explosion.
« - Comme je te l'ai dit, je te connais. Tu es trop gentil pour jouer à ce jeu-là avec moi. Rentre donc chez toi. »
Mais il n'y a rien eu. Elle lâcha un dispositif à mes pieds, en plastique tel un jouet et disparue aussitôt dans l'obscurité.
Partant à sa suite, je sortis par la porte de secours, mais la ruelle était complètement vide. Il n'y avait personne.
Plus personne.
Disparue. Comme à chaque soir.
« - Merde ! »
Tristan tu es trop con. Voilà ce que ça coûte d'avoir l'esprit ailleurs. Tu ne regardes pas assez bien. Tu n'analyses pas assez son jeu et tu tombes bêtement dans chacun de ses pièges !
Imbécile que tu es.
Après ça, la police retrouva Leila complètement assommée dans un coin, derrière une vitrine, elle se serait « malencontreusement cogné la tête » soi-disant. Mais je n'y crois pas trop. Je sais que même si Leila fonce tête baissée, c'est « elle » qui lui a fait ça.
Au moins, elle aura une bosse en souvenir.
Moi, je n'aurais que ma honte et ma culpabilité de l'avoir encore laissé filer.
Quand je suis rentré, je suis monté directement dans ma chambre. J'ai allumé l'ordinateur pour voir les infos et juste à ce moment-là, j'ai eu le malheur de cliquer sur un onglet différent.
La première chose que j'ai vue sur ma page d'accueil fut une photo de Lili et d'Oliver.
C'est officiel, j'ai eu une journée de merde.
J'abaisse violemment l'écran et me jette sur mon lit, plaquant mon visage contre mon oreiller. J'étais en colère. Non, furieux. Furieux contre moi-même plutôt que contre quelqu'un d'autre. J'aurais aimé être l'un de ces ados qui en veulent au monde entier, mais ce n'est pas le cas. C'est à moi que j'en veux.
Moi parce que je ne suis sans doute pas assez bien et moi parce que je n'arrive plus à rien. J'ai le cerveau dans l'estomac et le cœur dans les talons. Rien n'est à sa place ce soir.
Et je sais pourquoi.
Lili.
Petit, je n'aurais jamais cru construire un monde autour d'elle. Je n'aurais jamais cru que juste elle, me satisferait. Je n'aurais jamais cru que je placerais en elle tous mes rêves et mes espoirs. C'était devenu obsessionnel, voire carrément pervers et malsain, mais Lili a été et est toujours tout ce que je connais du monde. Je n'ai pas d'amis. Je ne connais personne d'autre et ce fut par choix.
Parce que dans ma tête et dans mon cœur, personne n'était aussi bien que Lili. Personne.
Leila pourrait s'apparenter à un semblant de connexion amicale et encore. Disons juste que mon taux de mauvaise humeur augmente drastiquement quand elle est dans les parages, mais au moins, elle s'accroche. Elle s'accroche comme une huitre à un rocher. Quoi que je dise et quoi que je fasse, Leila est toujours là.
Je ne saurais sans doute jamais pourquoi d'ailleurs. Elle a surement un petit côté masochiste. Elle doit aimer ça.
Bon Dieu Tristan...Regarde le genre de pensées malsaines qui te traversent l'esprit. Non, mais ça ne va pas bien un peu ? Tu ferais mieux de te coucher au lieu de penser à ce genre de conneries.
Mais comment dormir ? Je n'ai pas envie de dormir. Si j'avais été une fille, j'aurais pris un pot de glace et je me serais fait toutes les comédies romantiques du moment.
Tiens...Ce n'est pas con ça.
Je vais me faire toutes les comédies musicales qui soient connues. Après tout, tout est nettement meilleur en musique. La vie. L'amour. La tristesse. Quand tout est chanté, tout devient soudainement plus léger.
Et pour achever ma soirée, passe à la télé « On my own » des Misérables.
Génial. Il n'y a pas plus parlant qu'un titre racontant un amour non réciproque.
Merci la vie de faire en sorte que ma soirée soit entièrement pourrie.
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3173 : Attrape-moi si tu peux
ActionTristan n'a que deux passions dans la vie : Attraper des méchants et « 3173 ». Si Tristan aime jouer les apprentis détectives la nuit, « 3173 » n'en reste pas moins la seule tâche à son palmarès déjà bien impressionnant. Voleuse de réputation, elle...