Chapitre 14 - Dans quelques mois...

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Je crois que, depuis que je suis petit, j'ai toujours été curieux. Trop curieux. Alors pour refréner cette pulsion, ma mère disait souvent « La curiosité est un vilain défaut ». Pourquoi un vilain défaut ? Je veux dire, à l'école on nous dit d'être curieux. On nous apprend à l'être et on l'éveille de toutes les manières que ce soit. Je ne sais pas pourquoi je suis comme ça. Je ne saurais pas l'expliquer, mais je sais que j'ai besoin de réponses. Constamment. Tout le temps. J'ai besoin de comprendre ce qui m'entoure et je m'acharne sur ce que je ne comprends pas. Parce que l'incompréhension n'existe pas vraiment, du moins à mon sens, ce n'est juste pas possible de laisser un problème là, sans solution.

Et Lili était devenue mon nouveau problème. En plus d'être l'obsession de ma vie, elle était devenue mon problème numéro un.

Je présume qu'en « bon ami », j'aurais dû laisser couler. J'aurais dû faire abstraction de ces larmes matinales que j'ai vues coulées aux premiers rayons du soleil. J'aurais dû mettre cet épisode dans un coin de ma tête. J'aurais dû oublier et respecter sa décision de ne rien me dire à ce propos. Et pourtant, je ne le peux pas.

Je ne peux pas me résoudre à laisser Lili dans son malheur.

J'ai besoin de savoir « pourquoi ». Pourquoi Lili pleurait ?

Aussi loin que je puisse me souvenir, elle a toujours été une fille souriante, joyeuse. Vous savez, le genre qui sourit tout le temps. Le genre qui croque la vie à pleines dents et qui se relève à chaque chute. Elle tirait sa force de je ne sais quelle magie et j'ai toujours été un peu envieux parce que moi, je n'étais pas comme ça. J'étais soucieux, inquiet, peut-être même trop. Je veillais au grain, trop également. J'étais cette conscience qu'elle n'avait pas. Elle, elle semblait vivre dans un monde de licornes et barbapapa. Ce que je ne comprenais pas.

Mais elle souriait et je m'étais décidé à protéger ce sourire.

« - Bon, je vais me doucher, je reviens »

Elle sort son téléphone de la poche de son pull et le pose sur la table. Juste sous mon nez, quittant la pièce avec un grand sourire.

Elle le laisse là, juste devant moi.

C'est ma chance. Ma chance de savoir ce qui a bien pu la mettre dans un tel état.

Je fais glisser mon pouce sur l'écran et tombe nez à nez sur le mot de passe à saisir.

Merde. C'est lequel déjà ?

« 26051994 ».

Ça se déverrouille. Les mots de passe de Lili sont étrangement des dates ou des noms qui me sont liés et j'ai de la chance de savoir que mon anniversaire permet de débloquer son téléphone.

Son fond d'écran est une photo de nous, petits. C'est une photo de nous à notre première compétition de karaté. La première compétition que nous avons gagnée, mutuellement. Elle chez les filles et moi chez les garçons. Nous avions 12 ans et je remarque encore que mes cheveux me tombaient devant les yeux à cette époque.

Je tape sur les messages et il n'y en a pas un seul qui traîne. Je cherche dans ses mails, c'est pareil. Il n'y a rien.

Elle a tout effacé avant même que je n'eusse le temps de lire ou de voir quoi que ce soit.

Dans ses contacts, il y a le numéro d'Oliver suivi d'un petit cœur. J'ai terriblement envie de l'effacer. Je pouvais le faire.

« - Ne sois pas ridicule Tristan... »

Je me résigne et repose alors le téléphone au moment où je l'entends sortir de la salle de bain, la voyant traverser le couloir, la serviette autour de la taille.

« - Désolée ! J'ai oubliée de prendre mes vêtements...

- Je...Je t'en prie ! Je n'ai rien vu de toute façon ! »

Mais j'aurais bien voulu.

Elle repasse une seconde fois et j'attends, dans le salon, qu'elle revienne habillée cette fois.

« - C'est bon ! À ton tour ! »

Elle porte l'une de ses robes de plages orangées, se mariant avec sa couleur de cheveux, légère et volant au gré du vent. Elle a remonté ses cheveux dans un chignon sauvage fait à la va-vite.

Lili est belle, par moment.

« - J'y vais...

- Dit, je n'aurais pas laissé mon téléphone dans le coin ?

- Si, si..Sur la table. »

Elle l'attrape et commence à jouer avec sans se douter une seule seconde que je l'avais dans les mains il y a encore quelques secondes.

Et elle ne le saura probablement jamais.

Ainsi, Lili et moi avons passé nos vacances ensemble. Nous avons arrêté le temps pour quelques jours. Nous avons ri, parlés, pleurés et parfois disputés, mais nous avons surtout profité.

Profités du temps qu'il nous restait à passer tous les deux. Parce que dans quelques semaines, dans quelques mois, l'un de nous deux n'allait plus être là. L'un de nous deux s'en ira.

L'un de nous disparaîtra.

Et aujourd'hui encore, quand je repense à ce moment sur la plage, je me dis que si j'avais su que les évènements prendraient une telle tournure, alors j'aurais fait les choses autrement. Je ne me serais pas battu avec elle, je n'aurais rien dit. Je l'aurais simplement pris dans mes bras parce que bientôt, je n'allais plus pouvoir le faire.

Bientôt, mes bras se lasseront de son absence.

Lili disparaîtra dans quelques mois, et ce, à cause de moi.

3173  : Attrape-moi si tu peuxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant