Chapitre 4

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Je passe ma journée à masquer ma présence en explorant toutes les cachettes à ma disposition. Je dois avouer que le matelas a été plus confortable que le placard étroit mais je ne pouvais pas rester trop longtemps au même endroit. Dans mon silence pesant, j'ai pu écouter de nombreuses discussions et ainsi connaître les attentions de ces sauvages à l'égard de mon amie. Ils la considèrent comme une bête de foire et se réjouissent du sort qu'il lui sera réservé ce soir. Je crains le pire et réfléchis déjà à mon futur plan d'évasion. A vrai dire, je n'en ai pas vraiment mais je compte agir et me fier à l'instinct animal qui sommeille en moi.

Finalement, la journée passe plus vite que prévu et l'heure du jugement approche à grands pas. Je me réfugie dans des hautes herbes et me couche en évitant de les faire danser. Une épaisse fumée se dessine dans le ciel et je comprends qu'ils ont allumé un grand feu. Je me relève légèrement pour essayer d'assister à la scène. Lia est attachée à un piquet et le peuple est assis en tailleur sur le sol. Il semble l'observer attentivement. Un homme grand qui doit avoir l'âge de mon père se lève et prend la parole. Il parle suffisamment fort pour que je puisse l'écouter d'une oreille attentive.

-Mes amis, nous sommes réunis ici pour juger cette jeune fille qui a enfreint notre pacte. Elle doit donc en subir les conséquences, c'est-à-dire la mort.

Je pense qu'il s'agit du chef de leur tribu. Il est plutôt grand, le teint basané et de corpulence plutôt musclée. Il parle d'une voix sonore qui contraste avec celle désagréable des ravisseurs d'hier.  

Les habitants crient en agitant leur bras "Mort à Ixora !". Lia semble extrêmement nerveuse, il faut que j'agisse rapidement mais il est impossible pour moi de sortir devant cette immense foule.

-Je voudrais aussi vous apporter une précision, continue l'homme. Certains d'entre vous se sont plaints que des objets avaient été dérobés. Je soupçonne la présence d'un autre étranger qui doit être en ce moment même sur l'île. Il est même possible qu'il nous observe en ce moment même.

Je sens la lame glacée du couteau contre ma cuisse. Je suis cet étranger, j'aurais dû prendre de plus grandes précautions et ne veiller à laisser aucune traces de mon passage. Malheureusement, mes efforts ne semblent pas avoir été poussés à leur maximum. Je me sens honteuse et idiote. Pauvre Lia qui compte tellement sur moi.

-Nous la traquerons et nous la tuerons ! Comme nous allons le faire dès à présent avec cette jeune fille, hurle-t-il en désignant mon amie avec son index droit. Nous serons sans pitié ! Le pacte est le pacte !

La foule hurle de nouveau "Mort à Ixora". Elle se lève et se met à tambouriner le sol en rythme avec un bâton. Un jeune homme se lève et donne à celui qui semble être le chef un énorme couteau.

-Nous t'égorgerons aussi avec celui que tu as dérobé ! hurle-t-il à mon intention.

Il s'approche dangereusement de mon amie qui sanglote. Elle hurle et ses gémissements deviennent insupportables.

-Mais voyons si tu es courageux étranger. Si tu te montres, j'épargnerai la fille. Es-tu prêt à te sacrifier ?

Mon pouls s'accélère, je manque d'air et suis incapable de bouger mes membres.

-Non ? me provoque-t-il. Tant pis, tu auras une mort sur la conscience. Enfin, tu ne l'auras plus quand tu seras mort.

La lame de son couteau frôle dangereusement le cou de Lia. Une montée d'adrénaline parcourt mon corps et je me lève en hurlant :

-Arrêtez ! Prenez-moi à sa place.

Tous se retournent et je vois un sourire satisfait se dessiner sur les lèvres du chef. 

-Julian, va la chercher ! dit-il calmement.

Le jeune homme de toute à l'heure court dans ma direction en tenant fermement un corde sous son bras. Lorsqu'il arrive à ma hauteur, il saisit fermement mes poignets et les attachent. Je sens une larme couler le long de mes joues mais il semble s'en moquer. Cette brute au teint hâlé et aux muscles dessinés exécute machinalement les ordres. Il tire ensuite violemment la corde pour m'obliger à le suivre. Je trébuche et cela arrache un rire moqueur à la foule. Je sens mon genoux égratigné qui me brûle et je continue d'avancer en essayant de garder l'air digne. Je croise enfin le regard de Lia et je lis sur ses lèvres un merci. Je lui avais bien dit que jamais je ne l'abandonnerai. 

-Et bien, je m'attendais plutôt à un prince charmant qu'à une vulgaire gamine de ton genre. Je suis étonné, tu as au moins eu le courage de te livrer. Je suis admiratif, c'est tellement regrettable que tu sois obligée de mourir.

Il ordonne qu'on détache Lia et elle se précipite vers moi pour me serrer dans ses bras.

-Je suis tellement désolée Moea. Pardonne-moi pour tout !

-Arrête, je vais pleurer, je lui chuchote en essayant de mimer un sourire.

-Jamais je n'oublierai ce que tu as fait pour moi. Tu es une fille exceptionnelle, ne l'oublie jamais. Je suis sincèrement désolée, pleure-t-elle encore.

Un autre homme nous sépare et je prends la place de Lia en restant accrochée à un vulgaire poteau. Le chef tend un couteau à Julian et force mon amie à regarder mon exécution.

-Allez mon garçon, fais-le encourage-t-il.

Le jeune homme s'approche de moi doucement. Ses yeux verts n'osent même pas me regarder.

-Tu ne le feras pas, je lui murmure.

Je réussis à lui arracher un faible rire. Il plonge son regard dans le mien pendant quelques instants. Peut-être que ces magnifiques yeux seront la dernière chose que je verrais de ce monde et cette pensée me donne la nausée.

-Allez fais-le ! hurle le chef.

-C'est dommage de devoir te tuer, t'étais plutôt jolie, me chuchote le jeune.

-Bon qu'est-ce que tu attends Julian ! Passe-moi ça, je vais le faire moi-même, reprend-t-il en lui arrachant le couteau des mains.

Il s'éloigne, soulagé de ne pas devenir un meurtrier. Lia me regarde en pleurant et je sens la lame chatouiller mon cou. Je sens des sueurs froides couler le long de mes tempes et ma respiration s'accélère. Je ferme les yeux et ne pense qu'à mon père. J'attends mais je semble toujours en vie.

-Où as-tu eu ça ? dit-il en saisissant mon collier.

-Il appartenait à ma mère.

Il fait trois pas en arrière et semble perturbé.

-Toi, retourne sur ton île ! Dis au père de cette fille que je ne toucherai pas à un seul cheveu de sa précieuse tant qu'il reste chez lui. Je la garde prisonnière ici, pour une durée indéterminée ! Allez, cours ! hurle-t-il à l'attention de Lia.

Mon amie s'exécute et je ne réalise pas ce qu'il vient de m'arriver. Cet homme vient de me laisser la vie sauve en voyant mon collier. Encore un mystère à élucider.


***

Merci de lire mon histoire. N'hésitez pas à me donner vos impressions en commentaire :p

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