Chapitre 21

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-Tu l'as dit à ton père ? me demande-t-il.

-Il ne sait même pas que tu existes et j'ai caché mon tatouage comme j'ai pu.

-Tu devrais venir avec moi. On ne te fera rien de ce côté de l'île.

Je lui fais un petit sourire et reprends.

-Ne t'inquiète pas, c'est mon père, il m'aime. Il va comprendre. Il ne refera pas la même erreur qu'avec ma mère.

-Ecoute, dis-lui quand tu veux. On se retrouve ici dans trois jours et tu me racontes tout.

-Ne t'inquiète pas, je dis en l'embrassant.

Maintenant, le moment que je redoute le plus depuis que je suis rentrée arrive enfin. Je vais devoir affronter mon père et lui annoncer mon lourd secret. Je fais bonne figure devant Julian pour ne pas l'affoler mais au fond de moi, je suis tétanisée.

***

-Je suis rentrée, je dis en poussant la porte de la maison.

-T'étais où ? me demande Than.

-Je me promenais un peu.

Mon frère continue de couper les légumes pour le dîner du soir et je cherche mon père.

-Où est papa ?

-Il se douche, je crois.

Je m'assois sur le canapé en l'attendant. L'anxiété et l'appréhension montent en moi et je commence à trembler.

-Ça va ? demande mon frère.

-Oui, je suis juste un peu fatiguée, rien de grave.

Ma réponse ne semble pas le satisfaire mais il ne pose pas plus de questions. Mon père sort enfin et je lui demande de s'asseoir à mes côtés. Je respire et me délivre de cet aveu qui me ronge.

-Quand j'ai été de l'autre côté de la rivière, j'ai rencontré un garçon. On s'est mariés et je suis enceinte de lui, je lâche d'un trait.

-Tu te moques de moi ? 

-Non, papa. Je l'aime et si tu m'aimes tu respecteras mon choix.

Il vire à l'écarlate et je sens que sa réponse risque d'être plus sévère que je ne l'avais prévue. Je triture mes doigts qui deviennent de plus en plus crispés. Une boule se forme dans ma gorge et j'essaie de l'évacuer en déglutissant, en vain.

-Sors d'ici Moea ! Tu n'es qu'une traînée comme ta mère.

Je reste paralysée sur le fauteuil comme si des milliers de clous s'étaient enfoncés dans ma peau et me retenaient.

Pour me motiver à m'exécuter, il me donne une énorme gifle et la violence du choc fait couler mes larmes. Than intervient et tient les bras de mon père pour ne plus qu'il me frappe. Il tourne la tête dans ma direction et me demande de m'en aller. Je me lève et sors de la maison à toute vitesse. Il fait nuit noire, il est impossible pour moi de regagner l'autre partie de l'île, m'aventurer dans la forêt à cette heure serait comme un suicide. Je me dirige vers la plage à la recherche d'un coin tranquille. Je ne vois que des kilomètres de sable qui se dérobe sous mes pas. Cette plage qui était la liberté de mon enfance est aujourd'hui devenue ma prison. Je tombe à genou et vide mon chagrin. Je me recroqueville sur moi-même comme un fœtus et pose mes mains sur mon ventre en songeant à la vie qui se développe en moi.

Je me résigne à m'asseoir dignement et à essuyer mes larmes. J'en ai déjà trop versé, il faut que cela cesse. Mon regard se dirige naturellement vers la mer que je ne distingue presque plus à cause de la nuit. Mais si on y prête attention, on peut distinguer les faibles lueurs de la lune dans ses vagues et le bruit de l'eau qui ne meurt jamais offre une symphonie à mon esprit.

Je me laisse tomber dans les bras de Morphée en me disant que demain sera meilleur et que tout ça n'est qu'un terrible cauchemar.   

InfranchissableOù les histoires vivent. Découvrez maintenant