Chapitre 10

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Nous reprîmes place. Bryan se dirigea sur la scène pour recommencer et je restai dans le couloir parce que tout de suite après ce sera moi,enfin s'il a bien joué son rôle cette fois. Le directeur donna le signal pour qu'il puisse commencer.

- À toi Manuel,tu commences en fond de scène et puis tu avances mais pas trop sinon l'entrée d'Annaïse sera nulle,n'oublie pas,accent espagnol,et expression du visage,ça doit avoir l'air vrai... Quant à toi Annaïse,tiens toi prête,je donne le signal après 4. 3,4, go!

Manuel: Si l'on est d'un pays,si l'on y est né comme qui dirait: Natif-Natal,eh bien,on l'a dans les yeux,la peau,les mains,avec la chevelure de ses arbres,la chair de sa terre,les os de ses pierres,le sang de ses rivières,son ciel,sa saveur,ses hommes et ses femmes:c'est une présence,dans le coeur,ineffaçable,comme une fille qu'on aime: on connaît la source de son regard,le fruit de sa bouche,la colline de ses seins,ses mains qui se défendent et se rendent,ses genoux sans mystères,sa force et sa faiblesse,sa voix et son silence.

Je portai le panier sur ma tête et rentrai en scène... Quand Manuel voit arriver Annaïse,il fut étonné de voir une si belle paysanne.

Manuel:Carajo (Il S'éponge le visage).
Bonjour Mam'zelle

Annaïse: Bonjour M'sieur

Manuel: Comment ça va?

Annaïse: À la grâce de Dieu!

Manuel: Je suis des gens d'ici:de Fonds-Rouge. Il y a longtemps que j'ai quitté le pays,attends,à Pâques,ça fera quinze ans. J'étais à Cuba.

Annaïse: Comme ça?...

Manuel aida Annaïse à déposer son panier.

Manuel: Quand je suis parti,il n'y avait pas cette sécheresse là,l'eau coulait dans la ravine,pas en quantité pour dire vraie,mais toujours de quoi pour le besoin,et même parfois,si la pluie tombait dans les mornes,assez pour un petit débordement...
Parècé,une véritable malédiction à l'heure qu'il est.

Annaïse: ...

Manuel: Est ce que aujourd'hui,c'est jour de marché?

Annaïse: Oui, à la Croix-des-Bouquets.

Manuel: C'est un grand marché. De mon temps,les habitants sortaient de tout partout pour aller le vendredi dans ce bourg là.

Annaïse: Tu parles du temps longtemps comme si tu étais déjà un homme d'âge.

Manuel: Ce n'est pas si tellement le temps qui fait l'âge,c'est les tribulations de l'existence,quinze ans que j'ai passé à Cuba,quinze ans à tomber la canne,tous les jours,oui tous les jours,du lever du soleil à la brume du soir. Au commencement,on a les os du dos tordus comme un torchon. Mais il y a quelque chose qui te fait aquantar,qui te permet de supporter. Tu sais ce que c'est,dis-moi tu sais ce que c'est?

Annaïse: ...

Manuel: La rage,la rage te fait serrer la mâchoire et boucler ta ceinture plus près de la peau du ventre quand tu as faim. La rage,c'est une force. Lorsque nous avons fait la nuelga (La grève) chaque homme s'est aligné,chargé comme un fusil jusqu'à la gueule avec sa rage. La rage,c'était son droit et sa justice. On ne peut rien contre ça.

Annaïse: Jésus,Marie la Sainte Vierge,pour nous autres,malheureux,la vie est un passage sans miséricordes dans la misère. Oui,frère,c'est comme ça; il n'y a pas de consolation.

Ma Négresse des Antilles Où les histoires vivent. Découvrez maintenant