Interlogue : Ce n'est qu'un cauchemar

1.1K 175 94
                                    

La jeune femme blonde se retourne, elle ne me voit pas. Elle porte dans son regard toute la peur du monde. Mon ombre se confond avec la sienne. Elle se glisse dans une ruelle étroite. Son pied délicat, trop habitué aux douceurs des tapisseries persanes, se blesse sur un pavé déchaussé. Elle laisse échapper une plainte, un cri bref. Elle fuit. Je m'imprègne de son souffle... elle ne respirera plus très longtemps.

Je ne réfléchis pas. Tant qu'elle ne me voit pas, je peux inverser le cours du temps. J'aimerais tellement...

La ruelle débouche sur un champ de blé. La nuit est chaude mais la Proie frissonne. Elle s'immobilise et se retourne. Elle n'entend plus rien. Rien que le battement du sang contre ses tempes. Ses yeux ambrés scrutent les maisons silencieuses. Par où arrivera-t-il ? Parce qu'il finira bien par arriver, par lui tomber dessus : il le lui a promis.

Soudain, elle perçoit dans son dos le froissement des épis. Ce n'est pas le vent. Il n'y a jamais de vent à cette période. La peur la saisit à la gorge. Elle prend son temps pour se retourner. Elle sait que c'est moi.

— Lu... Lucius ? laisse-t-elle échapper. Je suis rassurée de te voir, je crois que quelqu'un me suit.

Elle ment mal. Elle ne sait pas mentir. Elles n'ont jamais su mentir.

— Lucius, tu ne veux pas m'aider ? J'ai tellement peur... Keith a disparu, je ne sais pas quoi faire.

Elle est complètement désemparée. Un nouveau frisson lui parcourt l'échine et elle ne parvient pas à réprimer un sanglot d'angoisse.

— Lucius, s'il te plaît...

Ce n'est pas mon aide qu'elle implore. Je fais un pas dans sa direction, tend le bras. Elle recule précipitamment, dans un mouvement de terreur pure.

Elle sait.

*

Raven se réveilla en sursaut. Il était couvert de sueur. Il faisait beaucoup de cauchemars, en ce moment. Des cauchemars où il n'était pas lui. Des cauchemars où il devenait quelqu'un d'autre. C'étaient des souvenirs anciens, qui se déroulaient à une autre époque, une époque que le jeune homme n'avait jamais connue. Et pourtant, il aimait ces cauchemars. Il les aimait parce qu'il voyait. En larmes, le jeune homme tenta de se redresser sur le matelas. Très riche, il avait pu s'offrir les services d'une clinique privée. Pas de couverture rêche ou de draps de l'épaisseur d'un papier à cigarette. Pas de voisin gênant. Pas d'infirmière au bout du rouleau.

Personne à qui parler.

La douleur, sourde, tout autour de son crâne.

Et puis le noir. Les ténèbres.

Un sanglot s'échappa de la gorge du jeune Russe. Il ne voyait pas. Lorsqu'il se réveillait, l'absence de lumière le tétanisait toujours. Il luttait, tentait de focaliser sa vue, cherchait parfois l'interrupteur mural, non loin de sa tête, mais rien n'y changeait.

L'absence d'animation, dans les couloirs, lui fit comprendre qu'il faisait nuit. Que personne ne viendrait. Appeler quelqu'un ? Certainement pas ! Il ne voulait pas entendre à nouveau la pitié dans la voix des gens.

Et elle. Elle n'avait pas voulu venir. Sawyer lui avait dit qu'elle avait mal compris, qu'elle avait mal pris ses propos et qu'il en était désolé, mais Raven savait bien ce qu'il en était. L'Escortée le détestait. Elle ne voulait pas venir le voir et ce n'était pas étonnant : il était si désagréable, si méchant. Jamais une parole gentille, jamais un sourire, jamais rien. Raven ne méritait même pas le droit de l'appeler. S'il avait été chez lui, avec ses deux yeux encore fonctionnels, le Russe aurait ouvert un livre pour se vider la tête, mais il ne pouvait plus lire. Tremblant, il se mit à sangloter, sans s'arrêter. Il s'endormit, assommé par le chagrin.  

*

Comme le chapitre suivant est super long, je ne sais pas si j'arriverai à le publier ce soir... 

Néanmoins : merci beaucoup pour votre lecture et vos reviews, votre motivation et votre gentillesse !!!!

Plein  de bises, 

Sea

L'EscorteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant