Connexion #18

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Ce qui s'est produit était très étrange : je me tenais dans une sorte de salle, mal éclairée et j'avais la tête qui tournait un peu, le regard trouble – moins que quand je n'ai pas mes lunettes, mais quand même. Je crois que j'étais quelqu'un d'autre. Un homme. Un type habillé comme dans les années quarante est apparu dans mon champ de vision. Il marchait lentement et j'ai réalisé que je me trouvais assise (ou assis, en l'occurrence...) à une table un peu branlante. Une bouteille d'alcool et des verres à moitié vides se trouvaient sur la table.

- Bon, alors ! s'est exclamé le type en me tapotant l'épaule.

Une vague nausée s'est emparée de moi. Mais j'ai laissé échapper un grognement grave. Le fait que ce type me tapote l'épaule m'insupportait.

Il y avait autre chose. Je ne saurais pas vraiment l'expliquer, mais lorsque l'homme parlait, j'avais l'impression qu'il s'exprimait en réalité dans une autre langue. Comme si le type était doublé, mais que la version originale avait été mal coupée au montage. Et en Français, il n'avait pas d'accent. J'avais du mal à discerner ses traits – déjà que j'avais du mal à voir mes propres mains !

- Tu veux encore ? Tu veux encore boire ?

- Non, c'est bon, lâche-moi.

C'était ma voix. Une voix bizarre, déformée par cet effet de traduction automatique. Comme si mon cerveau traduisait directement les mots qu'il percevait. Sauf que mon logiciel en était sans doute à la version bêta. Je ne maîtrisais pas ce que je faisais, comme dans tous les rêves flippants. Je me suis dégagée du type, que j'ai entendu rire doucement.

- Alors ? Ils sont où ? Dis-le. Dis-le, gamin... Tiens.

Le type a tendu le bras pour saisir la bouteille et m'en a versé une grande rasade. J'ai compris que mon côté bigleux-pas-net était en réalité le résultat d'un état d'ébriété. J'ai tenté de refuser de prendre le verre, mais mon corps ne m'obéissait pas. Au même moment, j'ai vu sur le bras du mec qui était avec moi un brassard rouge sombre, orné d'un cercle blanc au cœur duquel les angles d'une croix gammée étaient tracés. Un nazi.

J'ai pris le verre et l'ai descendu sans ressentir la moindre brûlure. Juste une chaleur furieusement agréable.

- Allez, petit. Tu sais que c'est un devoir de faire ça.

- Ça va, lâche-moi... Lâche-moi, j'te dis !

Le type s'est penché sur moi et j'ai pu distinguer son visage. Il avait une mâchoire carrée mais un menton fuyant, presque absent. Et les yeux sombres. Perçants. Cet homme aurait été vraiment beau s'il n'avait eu un regard si méchant. On aurait dit qu'il espérait pouvoir faire du mal, que c'était son moteur. Ça existe vraiment, les gens comme ça, je vous jure. On a eu un voisin, dans ce style, quand on habitait Avignon.

Bref, le type avait posé une main gantée de cuir sur mon épaule. Là, j'ai senti un étau invisible venir enserrer ma gorge. Un sentiment épouvantable, le truc que vous ne voulez jamais ressentir. J'étais à la fois saisie de fureur et de cet espèce de sentiment ignoble, qui me faisait mal au ventre. De la peur, mais pas exactement... je ne saurais pas mettre le doigt dessus, mais c'était une sorte de peur et de haine de moi-même. Des larmes ont roulé dans ma bouche et j'ai entendu le nazi murmurer :

- Allons, allons... ça va te soulager...

L'instant suivant, changement de décor : je me retrouvais dans une ruelle, une impasse obscure qui sentait la bouche de métro mal famée. J'étais au sol, le dos contre des pavés boueux. J'avais à peine eu le temps de lister tout ça dans ma tête que je recevais un puissant coup de botte dans les fesses. Suivi d'un choc – métallique et bien plus douloureux, cette fois – en plein dans le dos. Je toussais déjà du sang et la douleur m'envahissait lentement.

L'EscorteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant