Connexion #23

1.5K 247 6
                                    

Il est dix heures, je viens de recevoir un coup de fil de Boyd. Ça  n'était jamais arrivé avant, j'ai failli ne pas reconnaître sa voix.  Évidemment, il téléphonait en numéro caché. Je ne comprends pas pourquoi  mes Oncles refusent de me donner un moyen de les contacter. Mais trêve  de plaintes inutiles, comme dirait ce cher Raven.

- Hey ! Everything's okay ? J'ai entendu dire que t'avais fait des tiennes avec Raven

- Ouais...

Et voilà, finie ma belle tranquillité...

- J'aurais bien aimé être là, pour voir ! Il paraît qu'il a été très fâché ! On en reparlera ! Tu es libre samedi après-midi ?

- Euh... Oui, je crois, pourquoi ?

- Ça te dit un cinéma ?

Des  fois, je me demande bien pourquoi il n'y a que mes Oncles qui  m'invitent au cinéma. Jamais un seul garçon(1). Ça me fait penser qu'il y  en a un dans la classe... Bref, on s'aime bien, quoi. Il n'est pas très  beau, mais très drôle. Et puis il est très gentil avec moi. Je sais que  j'ai l'air débile. Passons, on s'en fiche.

- Un ciné avec Boydie ?

- Pourquoi pas ? On va voir quoi ?

- Je sais pas, c'est Jin qui décide.

- Jin ?! Tu déconnes ?

- Au début, moi aussi je ne l'ai pas cru. En fait, Jin veut te remercier de lui avoir sauvé la vie.

- Noooooon !

- Je t'assure, that's not a hoax.  Je crois qu'en Chine, c'est une règle élémentaire de remercier les gens  quand ils vous ont sauvé la vie. Une histoire d'honneur, je crois, un  truc comme ça.

- Et dire que quasiment tout le monde m'a engueulée  à cause de ce que je lui avais fait... ai-je marmonné. Il n'y a pas de  problème. Qui d'autre vient ?

- Déjà, il y aura moi. Nuka sera là, c'est sûr, et peut-être aussi Sawyer. Évidemment, Jin sera de la partie.

- Donc samedi après-midi, tu dis ?

- Oui, on passera à onze heures en haut de ta rue. On ira à Orleans pour manger dans un restaurant chinois, et puis on partira pour le cinéma.

- C'est quel cinéma ?

- Je...

Ah.  Lorsque Boyd a pris ce ton-là, j'ai tout de suite su quel était son  problème. Lorsqu'il se met à hésiter et à baragouiner des paroles  inaudibles, c'est qu'il n'a pas compris un mot français et qu'il a fait  semblant de l'avoir compris sur le coup.

- Je lui ai fait répéter quatre fois, mais je n'ai pas du tout compris. Je... j'ai cru qu'il parlait de charcuterie.

- De charcuterie ?!

Gros blanc.

De charcuterie... Attends voir...

- Il ne t'a pas dit le ''Pathé'', par hasard ?

- Si ! Comment tu le sais ? Pourquoi il a dit ça ?

- Le Pathé, j'ai ri, c'est le nom d'un cinéma. C'est trop drôle !

- Ce n'est pas drôle ! s'est fâché Boyd. Tu crois que c'est malin de se moquer des problèmes de compréhension des autres ?

Oulà,  il s'est mis à reprendre un sévère accent texano-californien. Le genre  de truc que vous ne comprenez que lorsque vous y avez été habitués  depuis plusieurs années. Et ça, c'était le signe qu'il se mettait en  colère pour de bon.

- Ow ! Je te signale juste que je suis arrivé en France il y a onze ans, et que j'ai jamais pris un seul cours, got it ? Et puis je suis pas non plus vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec vous autres little Frenchies. Tu crois que c'est facile de...

J'ai  délicatement posé le téléphone sur le bureau, tout en mettant le  haut-parleur. C'est la seule solution : raccrocher, c'est encore pire.  Et étant donné qu'il a appelé, je ne paye rien. J'ai repris le livre que  je lisais (un Stefan Sweig) et j'ai continué à le parcourir.

Comme  d'habitude, lorsqu'il se vexe, Boyd a continué sur sa lancée. Sa  remontrance était très sévère, m'a-t-il semblé. Et longue, surtout.  Très, très longue. Elle s'est terminée approximativement par ça :

- ... et je pense que tu nous dois ne serait-ce qu'un peu de respect pour tout ce qu'on a fait pour toi, young thing ! Je me suis bien fait comprendre ?

Flûte,  je n'ai pas eu le temps d'aller aux toilettes. Tant pis. J'ai repris le  combiné, le jeune homme avait conclu son admonestation.

- Oui, Boyd, je suis désolée de t'avoir mal parlé. Je ne pensais pas que tu le prendrais au premier degré, comme Raven.

Un-zéro.  Comparer Boyd à Raven est une idée aussi violente, intellectuellement,  que de comparer Gandhi au Che Guevara. J'ai entendu Boyd fumer de fureur  à l'autre bout du fil.

- Que... rendez-vous à onze heures, en haut de ton rue. Bye.

*

(1)  Après réflexion, il serait peut-être bon que je voie aussi ce point  avec Jonah. Pour mon ego, je le tiendrai responsable de mon manque de  popularité auprès de garçons du lycée. NdN.

L'EscorteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant