Connexion #90

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Pfffou ! Je n'ai eu que deux « vrais » jours de cours et je n'ai déjà plus les yeux en face des trous. Je ne sais pas comment je vais réussir à terminer l'année... Cessons de nous plaindre et passons à autre chose : vendredi soir, c'est-à-dire hier, j'ai reçu la visite de Ove – qui était une nouvelle fois fringué comme l'as de pique – Boyd, Jin et Sawyer. Ces temps-ci, Sawyer est de plus en plus bizarre. Il est d'une nervosité extrême. D'habitude, il est plus posé que ça. Je ne pense pas que ça soit à cause de Raven : Saw est ombilicocentré.

Évidemment, la discussion a été lancée au sujet de divers cours :

— Ah, oui, et puis on a eu philo.

— Intéressant, a approuvé Sawyer en hochant la tête.

— Tu parles, la chose la plus palpitante que j'ai assimilée c'est qu'un couteau servait à couper, qu'un aspirateur servait à aspirer, qu'un lit servait à se reposer et qu'un épluche-patate servait à éplucher les patates.

Ils m'ont regardée avec des yeux ronds. Ove a fait brillamment remarquer que mon professeur était un peu atteint et qu'un lit ne servait que rarement à se reposer.

— Je ne comprends pas pourquoi vous n'apprenez pas la vraie philosophie, a interrompu Jin. Je ne sais pas, moi... à la limite qu'on vous fasse découvrir les principes maoïstes. Pour que vous puissiez vous forger une opinion juste sur le monde qui vous entoure.

Yeah, great, a grogné Boyd à qui l'idée ne semblait pas beaucoup plaire. Pourquoi pas se forger une opinion sur le monde en lisant Mein Kampf, eh ? Après The Little Red Book...

Le Chinois s'est brutalement levé ; le parquet a craqué si fort que j'ai cru qu'une planche venait de se rompre. Sawyer a fait la moue, Ove a affiché un sourire goguenard.

— Où est le problème avec Máo Zhǔxí Yǔlù ? a sifflé l'Asiatique en surplombant l'Américain de toute sa hauteur.

Well, je crois bien que c'est la existence tout court de Máo Zhǔxí Yǔlù, tout simplement. Are ya so proud of da « Great Leap Forward » ? C'mon ! Twenty-three million deaths !

Impressionnant : c'était la première fois que Boyd attaquait Jin de front. Il a plutôt l'habitude de se moquer de lui dans son dos, avec le Scandinave. Ce dernier s'est d'ailleurs reculé de la zone de conflit.

— Parce que tu crois que le génocide des Amérindiens, c'est mieux, peut-être ? Des milliers et des milliers de morts non reconnues ! Tu n'as pas honte quand tu entends ça ?

— Tu parles ! Moi, au moins, je dis pas à des lycéens de suivre l'exemple de... de bastards qui font en sorte que la Chine soit toujours une dictature !

— O.K., tu veux qu'on revienne sur ton pays et son record d'attaque à main armée dans les collèges ?

— En parlant d'armes, c'est marrant que tu nous aies pas parlé de la bombe atomique, eh ! C'est parce que, quand c'est des Japonais qui crèvent, il y a pas de problème ?

— Tu vas...

— Bon, les gars, ça suffit, maintenant ! ai-je alors hurlé.

Ove m'a marmonné dans l'oreille :

— Merde, t'es conne ! T'es en train de tuer une scène d'anthologie, là !

— Toi, tais-toi, je ne veux pas t'entendre ! Premièrement, je suis crevée, donc devoir me payer une dispute entre deux crétins, merci bien. Deuxièmement, je n'ai aucune envie de voir un remake de la Guerre Froide se rejouer dans ma chambre, j'ai parfaitement compris à quel point ça avait été chiant pendant les cours d'histoire. Troisièmement, j'ai fait le ménage dans cette chambre il y a deux jours et je n'apprécierais pas passer trois heures à frotter de grosses tâches de sang sous prétexte qu'un Ricain et un Chinago se soient frittés pour raisons politiques ! Alors vous fermez vos gueules et vous attendez d'être dans la voiture pour vous arracher les yeux, c'est clair ?!

L'EscorteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant