Connexion #1

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« Scribitur ad narrantum,

Non ad probantum. »

Quintilien, Ier siècle.

JOURNAL n°1

Ça m'a toujours fait un peu peur.

Vous, ça risque de vous donner des cheveux blancs, surtout si vous connaissez ma véritable identité... Si c'est le cas, pitié, gardez ça pour vous. Ça vaudra mieux pour tout le monde. Qui vous croirait, de toutes les façons ?

Qui me croirait...

Pourtant, il faut bien que je vous raconte, non ? Je me dis, maintenant que les choses se gâtent et que je vieillis, qu'il vaut mieux que je te raconte, au moins pour expliquer quelques évènements qui vous ont semblé inexplicables.

Personne ne sait qu'ils sont là. Personne, sauf moi. Et je ne pourrai jamais, jamais le prouver. Ils se planquent trop bien. Pourtant ils sont bel et bien là, tout autour. Parfois, ils me quittent pour un temps. D'autres fois, ils restent pendant des mois.

On va la faire simple, d'accord ? Quotidiennement, je dois supporter sept types louches plus ou moins sympathiques, selon votre notion du terme « sympathiques ». Apparemment, ils sont là pour veiller sur moi, mais vu que certains semblent plus enclins à vouloir ma mort, permettez-moi d'avoir des doutes.

Je ne sais presque rien sur eux, concrètement. Parfois, j'ai le sentiment qu'ils viennent d'une autre galaxie... D'ailleurs, je n'ai au sens strict du terme aucun moyen de les contacter. Je ne sais pas d'où ils viennent. Je ne sais pas qui ils sont. Je n'ai pas encore découvert ce qu'ils font là. J'ai juste l'impression qu'ils me surveillent tout en se comportant davantage comme des membres de ma famille, des oncles, que comme des gardes du corps. Je n'ai jamais réussi à apprendre quoi que ce soit sur leurs origines ou sur ce tatouage qu'ils portent tous sur le biceps. Un petit P cerclé d'arabesques. Tout ce que je sais au sujet de cette marque, c'est qu'elle leur fait horreur. Ils n'aiment pas en parler. Ou même qu'on puisse la voir.

Ah, si, il y a une chose que je suis censée ignorer et que je n'ai découvert que récemment : ils sont en permanence armés.

J'ai donc décidé de tenir ce journal au cas où les choses s'envenimeraient davantage.

Et non, contrairement à ce que vous devez être en train de penser, une ado de seize ans - bientôt dix-sept, quoique mon physique encourage les inconnus à m'en donner treize... - entourée par sept gardes du corps, ça n'a rien de sexy.

C'est même plutôt l'inverse.

Vous pensez que ça n'a rien qui mérite d'être couché sur papier ? Rien qui mérite même d'être lu ?

Détrompez-vous, parce que, pour l'instant, vous n'avez eu droit qu'à l'aspect théorique de la chose. Soyons honnêtes : leur présence a parfois du bon. Prenons au hasard un exemple banal.

C'était l'année dernière, vers la fin de l'automne. Les jours raccourcissaient, les manteaux s'épaississaient, et la demi-heure de trajet qui me menait de l'arrêt de bus à la maison se déroulait dans une semi-obscurité très rassurante. Au moment où j'ai posé le pied sur le trottoir, après avoir souhaité une bonne soirée au chauffeur, mon portable s'est mis à vibrer.

- Allô ? La puce ?

Ah, ça, c'est Jonah. Une vraie mère poule.

- Ça va, Jo ?

- Très bien, et toi, la puce ? Tu as eu de bonnes notes ? Tu as bien mangé ce midi ?

- Jooooooo, je n'ai plus six ans... Quand est-ce que tu vas comprendre que je n'ai pas besoin d'une nounou qui vérifie que je me suis bien lavé les mains avant de manger ?

L'EscorteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant