8-La viande

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Lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur le premier étage, je peux déjà sentir une odeur se rapprochant de celle de la délicieuse soupe de légumes que j'ai mangée hier soir. Nous traversons le salon en quelques enjambées et j'aperçois un récipient posé sur la plaque à induction. Clifford, qui affiche un sourire franc, me dit tout en coupant un légume long et vert :

" Tu peux enlever le couvercle pour regarder si tu veux."

Je m'exécute, je le pose sur le plan de travail à gauche et je regarde le liquide orangé légèrement frémissant. Clifford passe devant moi et ajoute les morceaux fraîchement coupés dans la mixture.

" C'est de la courgette, m'apprend Aaron qui s'est placé à ma droite, c'est mon légume préféré."

Il continue ses explications en me désignant une panière remplie :

" Ce truc orange c'est de la carotte, le violet c'est de l'aubergine, là des pommes de terre, ici de tomates et enfin des concombres."

Il désigne se dernier en faisant la grimace et je comprend qu'il ne doit pas aimer ça. J'ai déjà vu ces légumes dans les rares extraits de films que l'on nous a projetés et déjà entendu le nom de certains dans les nombreux livres que j'ai lus mais ils ne sont décris et ils ne sont visibles que très rarement.

" Les utilise-t-on tous pour faire de la soupe ?"

Clifford me répond tout en mixant le liquide :

" Tous mis à part le concombre qui est un peu particulier : ce légume ne se cuit pas mais on peut le trouver dans des soupes froides comme le gaspacho."

Nous entendons Aaron marmonner :

" Cela devrait surtout ne pas exister les concombres, pourquoi on a choisit de sauvegarder ça après la Grande guerre ?"

Le rire de Clifford est tout aussi franc que son sourire et la moue enfantine d'Aaron me fait également rire au éclats.

" Mais tu sais bien que c'est ce que ta mère préfère. Mis à part la viande bien sûr !"

Aaron ne tarde pas à répliquer :

"Sans blague ! Je pensais que c'était les carottes ! Maman est tellement aimable. "

Le sourire de Clifford se crispe et il lance un regard plein de colère à Aaron. Il se tourne ensuite vers lui et articule lentement, le ton rempli de colère ;

" Ne manque jamais de respect à ta mère, surtout durant son absence. Je te rappelle qu'il y a des caméras dans cette pièce et qu'elle peut très bien jeter un œil aux enregistrements."

J'aperçois alors les sphères noires protégeant ces yeux mécaniques et je remarque que se sont les mêmes que celles de Dôme III. Je décide de demander des explications à Aaron sur les raisons de cette réprimande plus tard car je me doute que quelque chose, certainement en rapport avec la carotte, m'a échappé.

Celui-ci fait d'ailleurs entendre à nouveau le son de sa voix :

" Quand on parle du loup..."

En effet, les portes de l'ascenseur s'ouvrent et Nathalia entre dans la pièce. D'un geste rapide, elle enlève les épingles et l'élastique maintenant son chignon en place et ses cheveux immaculés tombent sur ses épaules comme une cascade. Elle les lisse puis elle retire sa veste blanche qu'elle pose sur le canapé. Elle retrousse ensuite les manches de sa chemise et elle se dirige vers nous.

" J'ai mis la viande au réfrigérateur pour qu'elle ne soit pas congelée et dure comme de la pierre, dit Clifford tout en assaisonnant la soupe, elle est prête à être découpée."

Nathalia ne lui répond pas, son regard semble perdu dans le vide comme si elle n'était pas vraiment avec nous. Elle prend une plaque en métal, elle la pose sur l'îlot central de la cuisine et elle ouvre ensuite un tiroir encastré dans celui-ci. Son contenu me fait frissonner : sur de la mousse noire sont alignés des couteau de différentes formes et tailles ainsi que des scie, des tenailles ou encore des énormes ciseaux. Elle sort un couteau avec une lame noire de taille moyenne ainsi qu'un autre beaucoup plus imposant. Elle se dirige ensuite vers le frigo qu'elle ouvre sans ménagement. Je ne peux pas voir son contenu mais en me penchant, je distingue des formes rougeâtres. Elle attrape un sac en plastique, elle l'ouvre et je peux maintenant et pour la première fois voir de la viande. Le morceaux est un entrelacs de parties rouges légèrement sanguinolentes et d'épaisse ligne blanchâtre. Nathalia prend le plus gros couteau, pose une main sur la viande pour la maintenir et elle lève le bras pour avoir de l'élan. Clifford l'attrape avant qu'elle ne le baisse et il lui glisse doucement, comme si il avait peur d'être lui même tranché en deux par la lame aiguisée de Nathalia :

" Nat, tu as oublié de mettre ton tablier ; tu vas tacher ta chemise. "

Elle cligne des paupières un instant, comme un androïde analysant des informations, et elle semble revenir à la réalité. Elle attrape le tablier et elle lui glisse un merci. Elle reprend le couteau et elle l'abat violemment sur la pièce de viande, projetant du sang sur le tablier blanc et faisant entendre un bruit effroyable d'os qui se brisent. Elle prend une partie qu'elle remet dans le sachet plastique et elle le replace dans le frigo. Elle continue ensuite son travail en enlevant les parties blanches et en découpant des petits cubes dans les parties rouges plus tendres. Ses mouvement sont d'une précision chirurgicale, les portions ont toutes exactement la même taille et elle ne doit jamais s'y reprendre à deux fois pour retirer un nerf. Aaron m'a en effet expliqué que les lignes blanches sont ceux de l'animal mort. Nathalia précise qu'il s'agit de bœuf et je hoche la tête, me rappelant une image de l'imposant animal que l'on nous a montré en cours cette année. Une fois la découpe terminée, elle jette les déchets dans un désintégrateur plasma et elle ajoute les morceaux de viande dans la soupe. Je remarque que Aaron en attrape un, ce à quoi Nathalia répond avec un regard noir. Il le met tout de même dans sa bouche et il le mastique pendant un court instant avant de l'avaler. Nathalia remue doucement le mélange puis elle se retourne vers moi. Son tablier maculé de sang lui donne un air de tueur ou de psychopathe d'avant la Grande Guerre comme l'on a vu dans des extraits de films en classe et je me fige lorsque, durant une fraction de seconde, son visage se fend d'une expression de prédateur et son regard se met a briller d'une lueur bestiale et glaciale. Cela ne dure qu'un instant mais je deviens pâle et les battements de mon coeur s'accélèrent. Son rictus se mue alors en un sourire qui se veut chaleureux et rassurant.

" Les jeunes ont tous cette réaction lorsqu'ils voient de la viande pour la première fois. Vous n'êtes pas habitué et son aspects, surtout quand elle est crue, peut vous paraître rebutant. Mais son goût est vraiment divin. Certains se demande si les animaux ont une conscience ce qui est légitime et en effet, ils en ont une mais rassure toi, tu n'en mangera pas avant la fin de ta formation. Ton corps n'est pas encore totalement formé et il faut que tu mange équilibré pour être parfaite. Or la viande est parfois grasse ce qui pourrais conduire au surpoids qui est très mauvais pour la santé. Enfin tu pourras faire le choix de manger ou non de la viande mais une fois que tu y as gouté, tu ne peux plus t'en passer."

Comme pour appuyer sa dernière phrase elle prend une louche accroché au mur et elle pèche un morceaux de viande qu'elle avale goulument.

"Cliff, c'est presque prêt. Je vais mettre la table. Aaron, viens me donner un coup de main."

Je les regarde attraper les assiettes, les couverts et les verres et les disposer sur la table. Nathalia ouvre ensuite à nouveau le réfrigérateur et elle sort cette fois-ci un sachet rempli d'aliments que je ne connais que trop bien. Elle pose trois cubes nutritifs dans mon assiette et elle place le dernier, légèrement translucide, dans un bol. Elle le met ensuite dans un four et il ne faut pas plus d'un minute pour que celui-ci se transforme en un liquide rouge-orangé. Elle pose le bol dans mon assiette et les cubes à gauche de celui-ci. Elle place ensuite son tablier dans un recycleur de plastique végétal et elle s'assoit en bout de table. Les garçons apportent alors quatre bols remplis de soupe au boeuf  et c'est alors que je remarque qu'il y a cinq assiettes et non quatre. Je vais ouvrir la bouche pour signaler cette erreur lorsque soudain, j'entends la porte de l'ascenseur s'ouvrir.

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