15

15 2 0
                                    

Louis se sentait prêt à repartir.

C'est comme ça qu'il l'a dit, à Solal et autres producteurs, en salle de réunion. Je me sens prêt à repartir.

Solal était partagé entre la peur, l'angoisse qui revenait déjà, l'envie de le surprotéger, et le bonheur de le voir reprendre son envol.

L'équipe était enjouée. Ils regardaient sur leurs ordinateurs et leurs papiers dans quels pays, quelles villes un reportage serait intéressant, enrichissant, compte tenu de l'actualité. On proposait des choses et d'autres à Louis, qui lui les regardait, les sourcils froncés.

C'est en Orient que je veux retourner. Que je dois retourner.

Un silence envahit la pièce. Le souffle de tout le monde, et du monde entier, semblait s'être coupé en même temps. Les différents membres de l'équipe se jetaient des coups d'œils, interdits.

Pas encore, Louis, dit l'un. Ça peut attendre. Tu as besoin de temps —

Ça va faire deux mois. Je sais ce dont j'ai besoin. Ce dont le public a besoin. Ce dont eux, là-bas, ont besoin.

Ce n'est pas de toi dont ils ont besoin, Louis.

Ils ont besoin d'une voix. D'une caméra. Ils ont besoin qu'on les entende. Qu'on daigne les écouter.

Louis... Avec ce qui s'est passé la dernière fois 

ON S'EN FOUT DE CE QUI S'EST PASSÉ ! C'est rien ! Ce qui m'est arrivé là-bas, c'est rien ! C'est la routine pour eux ! Vous me surprotégez comme on couve un gosse qui s'est éraflé le genou !

Ils passèrent de l'étonnement à l'effarement. Les paroles de Louis les avait horrifiés.

Tu ne peux pas comparer ce qui t'est arrivé à un genou d'enfant éraflé, Louis, dit Solal, d'une voix très posée, très calme.

Je veux juste que vous compreniez...

Je comprends, Louis. Comprends-nous aussi.

Je ne veux pas vous comprendre. Je refuse de vous comprendre.

Si vous ne me laissez pas repartir, j'irai moi-même. Vous savez que vous ne pouvez pas m'en empêcher.

Ce n'est pas ta guerre. Ce n'est pas ton monde.

Mais ici bas non plus, ce n'est pas le monde de Louis. Il n'appartient plus nul part. Éxilé du monde, de cette vie, de lui-même.

L'espace d'un instant, Solal cru que Louis allait le frapper.

Tu parles comme ces politiciens que tu dis tant détester. Qu'est-ce qui t'arrive ? C'est notre guerre à tous.

Regarde toi. Regarde ton état. Tu comptes y retourner en pèlerinage ? Tu crois que tu as ta place là-bas ? Tu crois que, maintenant que tu l'as vue, la guerre est faite pour toi, que tu es fais pour la guerre ?

Tu vois, Solal. C'est ce que je te disais l'autre fois. Tu es un menteur. Tu es superficiel. Tu portes un masque face caméra. Mais au final, tu es comme les autres. Tu t'en fous d'Alep, tu t'en es toujours foutu. Tout ce que tu veux c'est ton petit confort de français blanc riche et ton pauvre bonheur, ton ridicule petit bonheur de poche.

Tu ne comprends pas. Tu ne comprends pas que je dis tout ça parce que j'ai peur. Parce que c'est toi. Les mains de Solal tremblaient. Il fureta dans l'avalanche de papiers face à lui.

Va en Palestine, lâcha-t-il au bout d'un long moment de silence.

Quoi ?

Pars.

Ils se regardèrent un moment. Louis comprit. En Orient, en pleine guerre ; mais durant une trêve, un  cessez-le-feu, une forme "paix" plus ou moins stable ; pas au cœur du chaos et des rafales de bombes. Pour l'instant, du moins. Il vivrait la routine de la guerre. Comme avant. C'était un parfait compromis. Louis voulait plus, Solal voulait moins ; mais ils savaient qu'ils ne pourraient rien tirer de l'autre. C'était déjà trop, et pas assez en même temps.


Louis et Clément partirent deux jours plus tard. Ce matin là, Solal aperçu un avion traverser l'aurore ; et il se demanda si c'était dans cet avion là qu'ils se trouvaient. Il les imaginait fébriles, et surtout en paix. Il se demandait s'il avait bien agit. Pour lui, il avait rejeté la guerre, accepté son impuissance. Pour lui, il avait négocié avec le gouvernement. Pour lui, il aurait pu partir en guerre. Pour lui, il aurait pu laisser mourir des innocents. Pour lui, il aurait pu devenir le roi des cendres.

Quand le monde cessera-t-il ? Quand après l'aurore n'aimerai-je plus Louis ?


sa chute l'illumineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant