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L'aurore était presque là. La nuit noire se dégradait, peu à peu, laissant place à l'or ; le mélange des deux couleurs donnait au ciel une teinte ocre et violacée.

Le vent s'invitait à travers la fenêtre ouverte ; il se glissait dans leurs cheveux, rafraîchissait leurs peaux encore brûlantes. Les rayons de la lune apposés délicatement sur Anil le rendait encore plus beau, quelque peu célestial.

Camille regardait ce ciel, baissait ce même regard sur Anil, regardait le ciel à nouveau. Il se sentait triste ; mais, étrangement, c'était comme si un rien pouvait le faire sourire. C'était une tendre mélancolie qui lui serrait le ventre, langoureuse et belle.

Tu as l'air pensif, lui dit Anil, sans relever la tête de son oreiller. Et triste.

Hmm.

Tu penses à Louis ?

À vrai dire, il pensait à tout et rien en particulier. Il pensait à ce qu'il y avait après la Terre. Ses pensées le ramenaient souvent à Louis, d'une manière spontanée, des plus naturelles et inconscientes.

Il aurait pu dire qu'il ne pensait plus autant à Louis qu'avant. Il aurait pu dire que l'état de son ami n'était plus une douleur perçante. Mais il était incapable de mentir à Anil. En revanche,il pouvait parfaitement ne pas lui avouer toute la vérité. Sinon,il lui aurait dit depuis bien longtemps qu'il était tombé amoureux de lui ; que lorsqu'il se sentait triste, au plus bas, comme souvent ces derniers temps, la seule chose qu'il voulait c'était ses bras.

Oui, murmura-t-il.

Moi aussi, j'étais en train de penser à lui.

Camille le regarda. Il ne s'attendait pas à cette réponse. Ses yeux étaient ailleurs ; et il semblait triste, lui aussi, profondément triste. Anil resplendissait à chaque instant. Il était toujours magnifique; même lorsqu'il se dénigrait, se moquait de lui-même dans une optique d'auto-dérision qui faisait sourire tout le monde. Il n'avait aucun mal à montrer ses fragilités, à avouer ses défauts.Mais Camille ne l'avait jamais vu triste, ou blessé.

Il me manque, s'entendit-il dire alors.

Ils'immobilisa, le souffle court. Il craignait de se mettre à pleurer.Il ne voulait pas se laisser submerger par ses émotions.

Il est toujours là.

Oui,mais ce n'est plus lui. Il n'est plus que l'ombre de lui-même, et moins que l'ombre. J'ai peur qu'il ait laissé le plus beau de cequ'il avait en lui là-bas.

Je ne crois pas que cela se passe comme ça, Camille.

Comment ça se passe, alors ?

Il est blessé. Brisé. Traumatisé. Mais le Louis qu'il a été est toujours là. Enfoui tout au fond, enterré peut-être. Mais il est toujours là.

Comment tu peux le savoir ?

Parce que je suis sûr et certain que, malgré tout, il a toujours de l'espoir. Et si on gratte un peu, si on souffle un peu sur cette maigre étincelle... La douleur sera toujours là, bien sûr, mais le reste peut revenir.

Tu en es sûr ? Tu penses qu'il pourrait redevenir heureux un jour ? Je veux dire, au moins un instant, juste l'espace d'un instant ?

Oui,je le pense vraiment.

Pourquoi tu es si sûr qu'il a toujours de l'espoir ? C'est facile à tuer,l'espoir, surtout quand il s'en va en guerre.

Anil lui sourit tendrement, comme s'il était un tout petit enfant ; comme s'il réalisait tout d'un coup à quel point il l'aimait.

Parce que, malgré tout, il reste un être humain. L'espoir est le sentiment le plus important. C'est l'espoir qui nous forge.


Camille eut du mal à s'endormir, ce matin là. Il pensait trop. Et puis, il aimait Anil de tout son cœur.

Il regardait l'aurore, le ciel éclaboussé d'orange et d'or. L'aurore signifiait un jour nouveau, un nouvel espoir. Tout était possible.Tout était à construire. C'était un jour de plus dans la vie de Louis, qui l'éloignait de ce qu'il avait vécu. Peut-être se réveillerait il ce matin en se sentant moins amer, un peu plus prêt à vivre. Peut-être ce matin là se sentirait-il imprégné d'espoir.

Mais l'aurore lui rappelait aussi le départ d'Anil dans quelques heures, et le vide qu'il laisserait indubitablement derrière lui.


sa chute l'illumineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant