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Le ciel était noir depuis quelques temps lorsque Solal frappa à la porte de l'appartement de Louis. Trois coups légers.

L'état physique de Louis était moins pire que ce qu'il avait pu imaginer, dans ses cauchemars et diverses pensées au milieu de la journée lorsque son esprit se perdait, mais c'était déjà trop. Ses cernes, son visage creux, sa maigreur. Ses yeux sombres et tristes. Son regard insoutenable.

Louis eut un sourire en le voyant.

Tu travaillais trop pour penser à moi ? lui lança-t-il.

Le cœur de Solal se réchauffa à cette phrase. Sa voix avait été douce, amusée. Il lui répondit d'un sourire.  

Je pense tout le temps à toi. Et ça ne date pas d'Alep.

Tu viens marcher avec moi ?

Louis fronça les sourcils. Il s'accrocha à la porte comme à un bouclier.

Pourquoi ? Pour aller où ?

Avant, Louis aurait répondu oui, bien sûr, d'un ton enjoué, toujours ravi d'aller prendre l'air, toujours émerveillé face à Paris, surtout la nuit.

Déstabilisé, gêné, Solal chercha ses mots.

Juste... Pour marcher. Pour prendre l'air. Mais... On peut rester ici aussi. Ou peut-être que tu préfères être seul...

Non. Reste.

Il avait dit cela d'un ton ferme, mais surtout suppliant. À cet instant, ses yeux étaient ceux d'un enfant. Un enfant triste qui en a trop vu pour son âge.

Il alla chercher sa veste et ses clés. Des gestes d'adulte, un corps d'adulte, et pourtant... Il agissait avec une certaine fragilité, un poids d'enfance sur les épaules. Il avait perdu son assurance ; et il avait l'air aussi d'avoir perdu sa liberté. À l'intérieur, il était courbé, cassé en deux, tant que cela se voyait de l'extérieur. Pour la première fois de sa vie, Solal avait devant les yeux quelqu'un de brisé ; et il avait l'impression que cette vue pouvait le briser à son tour.


Ils marchèrent longtemps, en silence. Autour d'eux, des traversées de voiture, des passants de tous les âges, des fragments de conversation. Des rires et des lumières de partout, qui les éclaboussaient. Louis respirait le vent comme on respire dans un inhalateur. Il marchait comme on marche dans la boue, dans le sable. Il regardait le ciel comme on le regarde pour la première fois, comme on le regarde en sachant que c'est la dernière fois.

Au bout d'un moment, Louis parla enfin.

Tu avais raison. Ça fait du bien, de marcher un peu. Merci.

Solal lui sourit, mais il détourna vite la tête. Il avait peur de le regarder, de lui sourire comme on agit face à quelqu'un qu'on prend en pitié, comme face à un enfant malade.

Louis lui demanda comment l'émission se déroulait. S'ils parvenaient à remplir l'espace que prenait habituellement son reportage quotidien. Solal lui assura que tout allait bien, il lui répéta plusieurs fois, mais Louis ne semblait même pas l'entendre.

Je suis désolé de vous laisser tomber. Je devrais revenir, pour en parler, au moins... Pour dire la vérité aux gens qui nous regardent...

Peut-être que ce serait le mieux pour tout le monde. Peut-être qu'il a besoin de cela, de se libérer, de trouver les mots, une bonne fois pour toutes. Solal ne savait pas. Il ne pouvait pas savoir ce qui était bon pour lui ou pas. Et il ne voulait pas considérer les choses à sa place.

sa chute l'illumineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant