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L'émission avait repris, tant bien que mal ; ils avaient tous repris leur souffle, tant bien que mal. Après tout, Louis était revenu. Ils avaient le droit de rire à nouveau, de raconter des futilités, de retourner à leurs soucis quotidiens. Rien n'avait changé. Rien n'avait changé, mais rien n'était pareil non plus. Il y avait quelque chose en moins, ou quelque chose en plus qui dépassait leurs paroles, qui envahissaient leurs silences. Louis les liait tous les uns aux autres. Louis, et Alep. Louis et la peur de l'avoir perdu. Louis et tout ce qu'ils avaient fait pour le retrouver. Comment ils s'étaient démenés, le nombre d'heures de sommeil qu'ils avaient perdu. Ils le savaient tous, ils le sentaient tous. Mais ils n'en parlaient pas. Il fallait aller de l'avant. Et puis, à quoi bon mettre des mots sur ce qui faisait mal ? Personne ne voyait l'utilité là dedans. Il fallait continuer le travail, comme avant, comme ils l'avaient toujours fait.

Maintenant, ce qui les angoissait, ce qui les oppressait, c'était le retour de Louis. Il allait bien revenir un jour. Et même s'ils ne pouvaient pas en être certains, même s'ils ne le sentaient pas tout à fait, ils avaient peur que ce jour là, tout explose. Ils avaient peur de la tempête de Louis, de ce qu'il laisserait derrière lui, de ce qu'il anéantirait sur son passage.



Pourquoi tu vas pas voir Louis ?

Solal releva la tête vers Camille, avec cette sensation d'être pris au piège. Pourtant, Camille le regardait de ses grands yeux mordorés, sans aucune arrière pensée. Il l'avait remarqué, il était curieux, alors il lui posait la question. C'était tout.

Je préfère le laisser tranquille.

Il n'est pas tranquille. Et j'ai bien peur qu'il ne le soit plus jamais.

Solal le scruta. Camille était retourné à ses fiches, calmement, comme si sa phrase ne transparaissait pas d'une certaine souffrance ; comme si sa phrase n'avait pas répandu une traînée de poudre à l'intérieur de Solal ; comme s'il pouvait rester impassible face à ça.

Qu'est-ce que je peux faire ? murmura-t-il. Qu'est-ce que je dois faire ?

Il se sentait terrible. Un terrible patron qui a envoyé son employé au fin fond de la misère et de l'horreur du monde ; un homme terrible incapable d'aider, d'épauler celui qui est... Celui qui avait été... son ami ? Comment décrire leur relation, leur lien ? Les mots nous manquent toujours. Ils sont moins que du vent.

En tout cas, Louis était quelqu'un pour Solal, et Solal était quelqu'un pour Louis. Ils étaient même d'une importance capitale l'un pour l'autre. Ils se respectaient, s'admiraient sans se le dire. Ils s'aimaient sans savoir s'ils s'aimaient vraiment, s'ils s'aimaient comme il le fallait, comme il l'aurait fallu. Alors, puisqu'ils ne savaient pas quoi faire, puisqu'ils ne savaient pas quoi dire, ils existaient l'un pour l'autre, ils traversaient la vie de l'un et de l'autre. Ils étaient là, tout simplement. Ils avaient toujours été là, et ils seraient toujours là.

Alors pourquoi tu ne vas pas le voir ?

Solal avait peur. Peur de ce qu'il allait voir en poussant la porte. Peur de voir la douleur de Louis. Peur de la ressentir jusque dans ses os. Peur de souffrir lui aussi. Peur d'être rejeté, peut-être aussi. Chaque matin, il remettait ce jour au lendemain. 

Camille le regardait d'une étrange manière. Comme s'il ne comprenait pas quelque chose, comme s'il avait compris quelque chose.

Ce n'est pas compliqué. Tu n'as rien à faire. Tu n'as rien à préparer. Va seulement le voir. Et... Et tu verras après.

Camille rassembla ses fiches et s'avança vers la porte du bureau de Solal. L'émission commençait dans moins d'une heure.

Avant d'ouvrir la porte, il se tourna vers son patron, vers l'homme apeuré qui parvenait trop bien à le cacher.

Louis a besoin de toi.

Louis n'a besoin de rien d'autre que les bras de sa mère et d'un monde en paix, pensa Solal, amèrement, en regardant la porte se refermer. Et il était loin de croire qu'il faisait partie de ce monde, qu'il pouvait en faire partie, d'en avoir seulement l'envie.


sa chute l'illumineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant