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Louis revint au bout de quelques semaines. Il avait la peau brûlée par le soleil et le regard vif. Il semblait quelque peu apaisé. Et Solal, en le voyant ainsi, se sentit, lui aussi, tout d'un coup plus serein.

Il déambulait entre les bureaux, entre ses collègues et amis. Il demandait des nouvelles. Il se retrouva même, à un moment, coincé dans un fou-rire avec Camille et Anil.


Il pénétra dans le bureau de Solal en fin de journée, alors que déjà le soleil déclinait dans la stratosphère.

Il faut que je te dise quelque chose, Solal, dit-il doucement, en fermant la porte derrière lui.

Bien sûr. Assieds toi.

Je préfère rester debout.

Solal s'appuya contre son bureau. Il regardait avidement le jeune homme comme si le regard n'était pas suffisant, comme si l'avoir toujours regardé, le regarder toujours, ne sera jamais suffisant.

Je veux partir, Solal, dit-il de but en blanc.

Je me doutais que tu voulais repartir. Il faut juste qu'on regarde ensemble les —

Je veux partir de l'émission.

Solal le dévisagea.

Je ne comprends pas, articula-t-il.

Je suis désolé, mais... C'est plus fort que moi. J'ai besoin de temps. J'ai besoin de réfléchir. J'ai besoin de faire le point.

Qu'est ce que tu vas faire, Louis ?

Il le regarda. Dans ses yeux, c'était la guerre que Solal voyait. C'était l'enfance et la douleur.

Soudain Solal eut un vertige.

Je ne comprends pas, répéta-t-il. Ton métier c'est ta vie, Louis. Avec la caméra et le micro, tu peux tout faire, tout. C'est ainsi que tu peux montrer ce que tu veux montrer. Ce que tu dois montrer. Pourquoi renoncer à cela, alors que c'est cela que tu veux ?

Je reviendrai. Je sais que je reviendrai. Tout comme je sais que je dois partir. Seul. Avec un sac sur le dos, ou peut-être même pas. Je dois partir, Solal. J'en ai besoin. Je suis désolé.

Solal cherchait les mots. Qu'est ce qui le retenait de pousser un hurlement de loup, de bête blessée ? Qu'est ce qui le retenait de le supplier, de le prendre dans ses bras, de le serrer, de lui dire reste, reste, reste, RESTE ?

Même en demeurant raisonnable, les pieds sur terre ; même en réfléchissant à se faire mal, il ne trouvait pas d'excuse, de justification, de raison.

Égoïstement, il voulait qu'il reste avec lui. Et puis, il avait peur. Il crevait de peur pour lui, tout le temps. Mais Louis était son amour, son oiseau blessé. Il se devait de le laisser s'envoler. Il se devait de le laisser vivre pleinement. C'est pour ça qu'il est fait. Il sait plus que toi-même ce dont il a besoin.

Très bien, lâcha-t-il avec difficulté. Il s'arrachait les syllabes de la bouche. Il ne parvenait même plus à le regarder dans les yeux, à seulement regarder sa silhouette, ses contours ; à seulement savoir sa présence dans la même pièce. Tu en as parlé aux autres ? Aux producteurs ?

Non. Je voulais... Je devais t'en parler avant les autres.

Quand est-ce que tu pars ?

Le plus tôt possible. Le plus vite possible.

Il hésita. Pour la première fois depuis longtemps, il semblait gêné.

Vous ne me retiendrez pas ? demanda-t-il dans un souffle.

Solal posa son regard sur son visage. Louis lui manquait déjà. Et il savait qu'il rentrerait tous les soirs du restant de ses jours dans le vide de son appartement ; il savait que toute sa vie il regrettait de n'avoir pas vécu ; il savait que toute sa vie il se trouverait superficiel et seul, vain et triste et qu'il ne ferait rien pour bousculer cette partie là, même si déjà le besoin de bousculer les ordres convenus, la politique établie lui brûlait le corps ; il savait que toute sa vie il penserait à Louis ; il savait que toute sa vie Louis lui manquerait comme un membre fantôme, comme un mort qu'on a aimé plus que soi-même, plus que sa propre vie, plus que l'idée de la vie en elle-même.

Personne ne peut te retenir.

Et il se battrait lui-même, à mains nues, pour que les autres le laissent partir en guerre. Il ne savait pas à quel monde Louis appartenait, il ne savait pas quelle était la nature de sa guerre ; mais son univers à lui, sa lutte à lui, c'était Louis, toujours Louis, Louis depuis le début et Louis jusqu'au dernier jour, jusqu'au dernier souffle, jusqu'à la lutte finale.


sa chute l'illumineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant