Depuis que John m'a touché il y a quatre jours, je fais tout pour l'éviter. Je ne supporte plus de le voir, que ce soit près de moi ou non. Je ne supporte plus de penser à ses mains sur mon corps, ni aux sensations incroyables que j'ai ressenties. Je ne supporte plus de penser à lui lorsque je me touche le matin. C'est écœurant d'imaginer ses mains sur moi, mais encore plus d'imaginer comment ce serait de le toucher à mon tour. Mais je suis surtout en colère contre moi-même. En colère parce que j'ai aimé ça, et que j'aimerais en avoir plus. Je ne sais plus ce qui se passe avec moi. Je ne sais pas comment je peux désirer mon maître, celui qui m'a battu, m'a marqué, m'a humilié et me prive de ma famille. C'est ma faute si tout cela m'arrive. John m'a souvent donné le choix, c'est juste que je n'ai pas pris les bonnes décisions. À ces pensées, des larmes de rage coulent sur mon visage. Je les essuie rageusement. Je me suis montré assez faible comme ça, je ne dois plus l'être.
-Mboutu, tu pleures ? Demande Maïa en me prenant dans ses bras.
J'avais complètement oublié que je n'étais pas seul à table. John va bientôt arriver, et son père aussi. Ces derniers temps, Monsieur Barimore a pris l'habitude de manger avec son fils, ce qu'il ne faisait pas avant. Maintenant, c'est encore plus étrange de m'asseoir à table pour goûter leurs plats à tous les deux. Ça me donne encore plus l'impression d'être le chien qu'on donne à manger en dessous de la table, et c'est une sensation extrêmement désagréable.
-Ça va, dis-je en desserrant l'étreinte.
-Si t'as un problème tu peux m'en parler, je serais là pour t'écouter.
-D'accord.
En fait, je ne veux pas lui raconter mes problèmes. Ces gens ont assez de problème, et je n'ai pas envie de leur en donner plus. Je n'ai pas été capable de contrôler mes pulsions et c'est mon problème. Au moins, ça m'apprendra pour l'avenir.
-John va bientôt arriver.
-D'accord.
J'essuis une dernière fois mon visage pour effacer les traces de mes larmes. John apparaît aussitôt au côté de son vieux père qui prend appui sur une canne. Cet homme à l'air misérable avec son vieux chapeau, son dos courbé et son corps tremblant. Mais les apparences sont trompeuses et je sais que même si je suis l'esclave de son fils, il pourrait m'éliminer en un claquement de doigt.
John installe son père sur une chaise, puis il s'assoit à son tour juste à côté de moi. Mon cœur s'emballe aussitôt. Mon cœur le supplie de me toucher, que ce soit brièvement ou non, mais ma tête refuse tout contact. Mon cœur me supplie de le toucher, mais ma tête me supplie de l'ignorer. Je décide d'écouter ma tête, j'ai l'impression que je souffrirais moins.
John ne tente rien avec moi, et j'en suis soulagé. J'ai l'impression qu'il a compris qu'il a dépassé les bornes - même si j'ai honteusement adoré ça- et qu'il essaie de réparer les choses. Si c'est le cas, il peut essayer de réparer aussi longtemps qu'il veut, ça ne fonctionnera pas.
-Bonjour Mboutu, dit John.
-Bonjour monsieur, répondis-je froidement.
Monsieur Barimore reporte aussitôt son attention sur moi à cause du ton que j'ai employé. Il me fixe sans ciller et ça me met mal à l'aise. J'ai envie de m'enterrer sous terre tellement que son regard me déstabilise. Il me fait peur. J'aurais bien besoin du soutien de John en ce moment.
-Pourquoi tu ne manges pas dans ta chambre père ? tu es bien trop faible pour descendre l'escalier, dit John.
-Jeune homme je suis chez moi, je mange où je veux.
-Sous votre respect père, c'est ma maison et j'ai la gentillesse de t'héberger.
-Mais quelle ingratitude, reprend Barimore, j'ai construit cette maison avec mon argent, et...
-Et maintenant tu n'as plus une pièce. Dois-je te rappeler que cette maison ne m'appartient pas seulement par testament, mais parce que je l'ai acheté.
-Comment ose-tu ? exclame Barimore, consterné.
John ne répond pas. Le silence est à son comble. C'est pesant. La tension entre ces deux hommes est pesante. Je n'ai pas compris la totalité de ce qu'il se sont dit, mais j'ai compris que ça concernait la maison. J'espère juste que ça ne nous concerne pas, nous les esclaves.
L'arrivée d'une femme avec la nourriture empêche la situation de s'envenimer, heureusement. La femme dépose un plat rempli d'une sorte de nourriture que je ne connais pas sur la table, et les deux hommes se servent aussitôt. Bien entendu, John met un peu de nourriture dans un petit plat et le dépose devant moi. C'est tellement humiliant. Il me fait signe de manger et pendant qu'il s'apprête à me donner une fourchette, son père lui fais signe de me laisser manger avec mes mains. C'est encore plus embarrassant. Ça ne m'aurait pas dérangé en Afrique, car il y a certains plats qu'on mange avec les mains, mais dans ce pays ce n'est pas le cas et c'est dégradant pour eux. Ils me laissent manger avec les mains, pas parce que c'est la coutume, mais parce que c'est dégradant. Je me sens tellement réduit en ce moment que j'ai envie de pleurer. Je ne supporte pas non plus le regard pesant de John sur moi. Il n'a même pas essayé de répliquer pour me donner la fourchette, il a tout simplement obéi.
Je ne montre aucun signe de mécontentement, je prends plutôt une bouché de la nourriture et l'apporte à ma bouche. J'ai la gorge serrée tellement que j'ai envie de pleurer, mais je ne laisse pas les larmes couler. Je ne peux pas me montrer faible devant l'ennemi, ce serais lui donner raison. Je mange rapidement pour essayer de finir avec ce plat au plus vite. Je ne prends même pas la peine de savourer la nourriture, je veux juste éviter cette sensation oppressante et le regard de John.
-Moi fini, dis-je en m'essuyant les mains sur mon pantalon.
Je sens aussitôt une main serrée la mienne en dessous de la table, mais je la repousse. John réessaye encore une fois, mais je la repousse. Je ne veux pas qu'il me touche. J'ai pris mes distances maintenant.
On attend une dizaine de minutes avant que le père et le fils attaque leurs repas. Ils ne me prêtent aucune attention et c'est tant mieux. Ils ne parlent pas, ce qui fait qu'un silence pesant plane sur la pièce. John me jette plusieurs coups d'œil, mais je les ignore. Il n'a plus essayé de toucher mes jambes et c'est tant mieux, je me sens assez mal comme ça.
-Mboutu, prend ça, dit Monsieur Barimore en me montrant le sol.
Là franchement c'est trop. Il va trop loin. Il y a un os sur le sol et il me demande de le ramasser. Le message très clair : je suis son chien. Je suis confronté à un grand dilemme. Prendre cet os et me rabaisser encore plus, ou l'ignorer et subir les conséquences. Pour moi le choix est clair, je ne me rabaisserais pas à ce niveau-là. Je suis quelqu'un, et s'il n'est pas capable de le comprendre, c'est que cet homme a un vrai problème. Ce n'est pas parce que ma couleur de peau est différente de la sienne qu'il doit me traiter de cette façon.
-Ramasse le toi-même père, dit John. t
Je n'ai pas compris ce qu'il a dit, mais j'ai l'impression qu'il me défend.
-Tu peux quitter la pièce Mboutu, reprend John en désignant la sortie.
-Pas avant qu'il le ramasse, réplique Barimore.
-Et moi j'ai dit qu'il ne le fera pas, il n'est pas ton chien.
Je quitte rapidement la table dans l'intention d'aller dans le champ de coton, mais une main dans la mienne m'arrête dans mon élan.
-On doit sortir Mboutu.
Je n'arrive pas à croire que John ose prendre ma main devant son père. Cet homme pourrait me faire payer ce geste, et je n'ose même pas imaginer de quelle façon.
-Il y a un problème ? demande John en me serrant la main plus fermement.
-Non... non aucun problème, répond son père avant que son fils ne m'entraîne à l'extérieur de la maison.
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Let me break your chains... [bxb, terminé]
Historical FictionEn 1858, pendant la période de l'esclavage, un jeune Sénégalais nommé Mboutu se fait capturer clandestinement. En voulant échapper à son destin, il finit par rencontrer John, son maître. C'est un homme pas comme les autres. Il n'a pas honte de chéri...