Chapitre 3.

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Mon arrivé parmi les autres esclaves ne s'est pas passé inaperçu. Ils m'ont bien accueilli et m'ont tout de suite mis à l'aise. Ils m'ont appris les règles de la maison, et comment bien se comporter avec John. J'ai appris que John vit avec son père, Monsieur Barimore, et c'est de lui qu'il faut vraiment se méfier. Les gens ont essayé de me rassurer. Ils m'ont dit que John n'est pas comme les autres et qu'il leur traite bien si on est respectueux. Ces paroles n'ont pas réussi à me rassurer pour autant. Je suis angoissé car je me sens seul. Je suis perdu au milieu de ses gens, et au milieu d'un pays que je ne connais pas. Je suis loin de ma famille, et je sais que je ne les reverrais plus. C'est horrible. C'est comme si je vivais un deuil, pourtant, ils sont vivants.

J'ai fait la connaissance de seulement cinq personne qui parlent mon dialecte. Il y a Maia et ses trois frères, ainsi qu'un vieux qu'on appelle Ayat. Ayat est l'ainé ici et il est très respecter. C'est comme ça en Afrique. On prend soin de nos ainés, car ils sont sages et donne de bon conseil. Il m'a mis au courant des intentions du capitaine, et ça m'a révolté. Apparemment, il voulait m'échanger contre une femme, mais John a refusé. C'est révoltant de savoir que je ne représente qu'une échange aux yeux de ses gens, et ça ne devrais pas être le cas. Mon cœur bat, j'ai des sentiments, je vis, je ressens, je saigne comme eux. Je suis humain, comme eux. La seule différence est ma couleur de peau. Ils le savent, mais ils s'en fichent. Ils veulent seulement des travailleurs bon marchés. C'est révoltant.

Coincé dans mes réflexions, je ne remarque pas Ayat qui s'approche de moi, muni de sa canne et de sa pipe.

-C'est bientôt l'heure du souper, tu veux venir avec nous ? demande-t-il.

-Oui monsieur.

-Demain tu vas travailler avec nous. On se lève à six heures pour se préparer et on finit dans l'après-midi. Il y aura des pauses et aussi le dîner. Tu verras.

-D'accord, merci.

Cette nouvelle ne me rassure pas du tout. Les gens m'ont rassuré sur le travail qu'on fait ici. Il n'y a personne pour nous fouetter, et on est assez autonome. On travaille dans un champ de coton du matin au soir, mais on a des pauses pour se rafraichir, manger et se reposer. Ce n'est pas pour autant que suis complètement rassuré. Je ne sais pas si je pourrais m'adapter, ni ce qui m'attend. Je n'ai pas non plus l'habitude de travailler dans des champs de coton. Tout est nouveau pour moi.

L'heure du souper arrivé, les femmes apportent de la nourriture pour nous servir. C'est un plat de canard fait d'une façon que je ne connais pas, mais c'est délicieux. Je ne sais pas si c'est une recette Africaine ou d'ici, mais j'apprécie.

-Profite en le jeune, dit Ayat, on a droit à un repas de riche aujourd'hui.

Ceux qui parlent mon dialecte rient de bon cœur, puis l'un d'entre d'eux me donne une tape amicale.

-Alors tu es Sénégalais ? Demandais-je à un des frères de Maïa.

-Il n'y a que toi et le vieux qui l'êtes, moi je parle la langue parce que ma mère me l'a appris.

J'ai tout de suite voulu savoir où sont ses parents, leurs histoires et un peu de leur vécu. Mais je ne veux pas me montrer curieux alors je ne demande rien. Je me contente de hocher la tête et de continuer mon repas.

Contrairement à moi, les autres discutent, rient de bon cœur et passent visiblement du bon temps. Leur agitation me rend triste. Ça me rappelle que je n'aurais plus de repas avec ma famille, que je ne goûterais plus aux délicieux plat de ma mère et aux grillades de mon père. Je ne pourrai plus passer ces précieux moments avec eux et ça m'arrache le cœur.

-Aide moi à faire un feu le nouveau.

J'acquiesce et apporte quelques morceaux de bois au vieux afin de nourrir le feu. Les autres se rassemblent immédiatement autour du feu, formant un cercle que je n'intègre pas. Je préfère rester à l'écart pour les observer. Ils n'ont pas l'air malheureux, ni en colère. Leurs visages éclairés par les flammes reflètent une résignation et une joie de vivre déconcertante. Je ne comprends pas comment ses gens peuvent se résigner et vivre ainsi. Je ne sais pas s'ils acceptent la situation, mais en tout cas, ça ne les empêche pas de vivre. Ça ne les empêche pas de sourire.

Un bruit singulier attire l'attention de tous, dont le mien. C'est le maître des lieux qui vient de fermer la porte de sa maison, celle qui mène sur la cour arrière. Il porte le même chapeau que ce matin, mais il a changé ces vêtements. Il a un pantalon brun et une chemise blanche. Ces chaussures sont brunes et son chapeau noir. J'aperçois ces cheveux jaunes et encore une fois, ça m'intrigue. J'ai envie de connaitre la couleur exacte.

John prend une chaise et l'apporte près du feu. Il donne une pipe à Ayat qui l'allume aussitôt avant de la lui redonner. Je m'attendais à ce qu'il l'apporte à ces lèvres, mais il se contente de parler aux autres. Ils rient avec eux, leur donne des poignées de mains et je ne peux m'empêcher de me demander pour qui il se prend. Comment ose-il rire avec les gens qu'il exploite ? Comment ose-il serré les mains qui font tout le travail dans son champ ? comment ose-il parler à ses gens, à mes frères ? Comment ose-il ?

Il regarde la cour jusqu'à ce que ces yeux rencontrent les miens. Il me sourit puis s'avance vers moi.

-Tu te plaît ici ? Demande John.

Bien évidemment, je ne comprends pas, alors il appelle Maïa pour traduire sa phrase. Je n'en reviens pas lorsque Maïa répète la phrase. Comment ose-il me sourire pour me demander ça ? Comment peut-il imaginer pendant une fraction de seconde que je puisse me plaire ici ? Quel idiot ! On m'a arraché à ma famille, à mon pays, à mon quotidien, à ma liberté et il ose me demander cela ? Une sourde colère me saisit et je lui crache au visage.

Une gifle raisonnante rencontre aussitôt ma joue et je réplique immédiatement. Je le gifle à mon tour en le regardant droit dans les yeux. Je ne crois pas que j'ai autant haï quelqu'un et même si je ne peux pas lui faire comprendre par des mots, mes yeux passent très bien le message. Je le hais au plus profond moi. Cheveux jaunes me regarde à mon tour avant de me saisir par le collet. Il me plaque durement contre le mur d'une des cabanes et me crie dessus. Je ne réagis pas, je ne fais que le regarder dans les yeux. Je ne fais que le haïr encore plus.

-Le maître veut que tu travailles chez lui, tu ne travailleras plus dans les champs, dit Maïa.

-Comme sa femme de ménage ?

-Oui.

Décidément, il sait où frapper pour que ça fasse mal. Un lourd silence plane aussitôt sur la cour, on dirait que même les arbres retiennent leur respiration. Moi femme de ménage ? Ai-je l'air d'une femme ? Il veut que j'accepte une tâche qu'aucun homme, et pas seulement des Sénégalais accepterait ? Ce qui me dérange le plus est le sourire provocateur qui orne ses lèvres, comme s'il est fier de lui.

-Je refuse.

Cette fois c'est le vieux, Ayat qui vient briser la tension glaciale qui gèle cette cour. Il traduit ma réponse et tout l'assemblée me regarde comme si je suis fou. C'est peut-être le cas. Ma réponse n'a pas l'air de plaire à John puisque son visage passe de la provocation à la colère. Il ressert sa prise autour de mon collet et dit quelque chose à Ayat.

-Si tu n'accepte pas, il va te fouetter jusqu'à ce que tu abandonne, dit le vieux d'un ton grave.

-Dit lui d'amener son fouet dans ce cas.

-Mboutu je t'en prie, ne fait pas ça, me supplie Maïa les larmes aux yeux.

Je ne la regarde pas. Je regarde plutôt le fouet qu'un jeune homme amène à John. Il est long et très fin, je sais que ça va faire mal, mais il est hors de question que j'accepte. John déchire ma chemise et me pousse contre le mur. Maïa continue de me supplier d'accepter, mais je ne l'écoute plus. Je ferme plutôt mes yeux et m'agrippe au mur de la cabane. J'ai peur mais j'attends. J'attends le premier coup de fouet, et je n'attends pas longtemps puisque le fouet fend l'air et sabbat sur mon dos. L'impact est forte et douloureuse. J'ai l'impression que quelqu'un coupe lentement mon dos avec un couteau. Un deuxième, un troisième, un quatrième coup de fouet déchire mon dos et une cascade d'eau dévale mes joues. Je crie, je grogne, je pleure mais je ne capitule toujours pas. Je ne sais plus combien de coup fouet ont frappé mon dos, mais je sens du sang couler jusqu'à mon pantalon. Je ne peux plus crier tellement que je suis faible, alors je me contente de grogner et de pleurer. Je me sens partir loin... très loin, mais j'entends tout de même une voix qui me parle. La personne me supplie d'accepter, car je ne mérite pas de souffrir comme ça. Un autre coup frappe mon dos et je tombe. Mon dos meurtri rencontre le sol et je hurle. Je hurle lorsque des morceaux de pierre rentrent dans mes blessures et qu'un autre coup de fouet rencontre mon torse. Je hurle jusqu'à sentir mes cordes vocales défaillir. Je commence à voir du noir autour de moi, mais je parviens tout de même à entendre une question, est-ce que tu acceptes ? Je ne sais même plus pourquoi je dois accepter, mais je dis oui. Miraculeusement, les coups s'arrêtent et je me sens partir, je ne sais pas où mais tout autour de moi est noir.

Let me break your chains... [bxb, terminé]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant