Chapitre 22

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Nathan :

Je sors à peine du poste de police que mon père m'attend déjà devant la voiture. Accoudé au capot de sa Range Rover, il a l'air extrêmement calme pour quelqu'un qui attends son fils adoptif devant un commissariat. Je bute même sur une marche de l'escalier jouxtant vers le parking tellement cette vision me perturbe. Lui d'habitude si nerveux, colérique et absent depuis la mort de ma mère, j'ai l'impression de voir un fantôme.

Lorsqu'il m'aperçoit enfin, il rentre directement dans la voiture. Obligé de le suivre, je monte sur le siège passager claquant la porte derrière moi.

- Je te ramène au pensionnat. Mentionne-t-il au bout de quelques minutes.

- Je sais.

- Comment elle s'appelle ?

Je me tourne vers lui ne comprenant pas ou il veut en venir. Il ne s'intéresse plus à moi depuis un bail, alors pourquoi maintenant ?

Il se racle la gorge et rajoute d'un ton qui se veut doux.

- Celle que tu as accompagnée à l'hôpital, comment elle s'appelle ?

- Pourquoi ? Je lui lance d'une voix sourde.

Il me jette un regard interrogateur m'incitant à suivre le cours de ma pensée.

- Pourquoi tu fais ça ?

- Je te l'ai dit au téléphone. Je m'inquiète pour toi.

Je ris bruyamment n'y croyant pas un seul mot.

- C'est vrai que disparaître pendant des mois sans donner aucune nouvelle, c'est faire preuve d'inquiétude « papa ».

Il se tortille sur son siège ne sachant pas quelle excuse il pourrait me fournir cette fois-ci. L'une des seules fois où il fallait qu'il soit présent pour nous, la seule fois depuis des putains d'années que l'on était vraiment en galère, il n'était pas là. Pendant trois long mois.

- Je vous aie laissé un mot avant de partir.

- Et tu crois que, et je cite, « Je suis désolé, je reviendrais quand je me serais sevré » était la chose à faire ? Pour une fois dans ta vie, est-ce que tu peux au moins prendre tes responsabilités, merde ?

- Je suis désolé. Mais maintenant, je veux rattraper le temps perdu.

Il est tellement arrogant et imbu de lui-même qu'il ne pense qu'à se faire pardonner avant tout. S'il avait été là quand j'avais besoin de soutien, de conseil et d'un père, peut-être que j'aurais pu me montrer un peu plus indulgent avec lui. Mais là, à cause de lui, Leah s'est complètement perdue. Elle est devenue une toute autre personne, et je n'ai pas réussi à l'en empêcher.

- Tu ne peux pas te pointer comme ça en voulant à tout prix t'excuser pour le mal que tu nous as fait parce que rien de ce que tu pourras me dire ne l'effacera.

J'effectue une courte pause me préparant à vider mon sac bien trop rempli depuis des années maintenant, puis je saute dans le vide, sans prévenir :

- Tu étais ivre mort tous les soirs depuis la mort de maman, tu me battais alors que je n'étais qu'un gosse malheureux qui voulait juste avoir un père dans sa chienne de vie. Et ensuite tu es parti du jour au lendemain alors que Leah avait besoin de toi. En partant comme ça, tu nous as abandonné. Mais tu sais quoi ? Le pire dans tout ça, ce n'est pas le fait de ne pas prendre soin de nous comme le ferais un parent digne de ce nom. Le pire, c'est que tu sais à quel point on a souffert lorsque notre génitrice nous as laissé tomber, puis lorsque maman est morte. Tu sais ce que l'on a traversé toutes ces années. Et pourtant, tu t'es toujours comporté comme un lâche, un incapable qui ne mérite pas qu'on le pardonne pour avoir fait vivre un enfer à ses enfants alors qu'ils avaient perdus leur mère une deuxième fois.

Mon souffle saccadé est le seul son présent dans l'habitacle. De la buée se forme sur le pare-brise soulignant le soleil couchant. C'est la première fois que j'évoque toutes ces années de souffrance devant mon bourreau. Et je n'ai pas peur, bizarrement. C'est plutôt une délivrance, comme si le poids de cette maltraitance disparaissait enfin, me laissant respirer pour la première fois depuis des lustres. Je ne m'inquiète plus des prochains coups, ni du silence pesant mon monologue fini. Parce que même s'il cherche à me rabaisser, j'ai décidé que j'en avais fini avec lui.

Je ne m'attends pas à ce qu'il me réponde. Au contraire, je pense qu'il n'arrivera jamais à être l'un de ses pères que l'on rend visite même lorsqu'il n'a plus assez de dents pour manger. Non. Il sera plus le genre de père que j'oublierai dès que je serais majeur et qui n'aura sûrement aucun enterrement à sa mort parce que personne ne voudra le pleurer. Et, malheureusement, j'ai fini par m'y habituer.

Lorsque qu'il se gare devant le bâtiment principal, la nuit est déjà tombée laissant encore quelques traînées roses poudrées dans le ciel étoilé. J'allais sortir de sa caisse et le laisser tranquille une bonne fois pour toute. Mais, sa langue s'est enfin déliée au moment où mon pied se posa sur les graviers.

- Je sais à quel point j'ai pu vous faire du mal à tous les deux. Et je sais aussi que ce n'est pas pardonnable. Je n'ai pas d'excuse. Elle était la femme de ma vie et quand elle est partie, je sais pas. J'étais perdu, et ... Et j'ai fait des erreurs. Quand j'y repense, j'en aie tellement honte que j'ai du mal à me regarder dans une glace. Mais maintenant, cela fait 4 mois et 12 jours que je n'ai pas bus une seule goutte d'alcool. J'ai réintégré mon ancien poste. Je me suis aussi occupé de ta sœur comme j'aurai dû le faire pendant mon absence. T'as le droit de m'en vouloir, de me frapper autant que tu le veux, me les rendant coups pour coups parce que je l'ai mérité après tout. Mais par contre, je ne demanderais jamais ton autorisation pour être ton père à nouveau. Que tu le veuilles ou non, à partir de maintenant, je ferais tout pour vous mériter tous les deux.

J'hésite pendant quelques battements de cœur, puis me rassoit dans la voiture, la portière toujours entre-ouverte.

- Elle va bien ?

Je me mords la langue, m'insultant de tous les noms. Cette question, je ne pouvais pas m'empêcher de la poser au moins une fois. C'est ce que ferait un désespéré après tout. Et j'en suis définitivement un.

- Oui. J'ai de ses nouvelles tous les jours.

- Pourquoi tu m'as menacé avant que je parte au pensionnat à propos de Leah ? Pourquoi vouloir me faire peur si tu ne veux que son bien ?

Un temps passe. Il ne me répondra pas. J'en suis certain. Une seconde fois, j'incline la tête pour passer mes jambes l'une après l'autre à l'extérieur de la voiture mais une pression sur mes épaules me retient.

- Elle me l'a fait promettre Nathan. Elle m'a fait promettre de ne rien te dire. C'est la seule combine que j'ai trouvé pour que tu ne lui en veuille pas. Et, je suis là aussi pour te dire qu'elle est désolée mais qu'elle ne peut pas. Elle ne veut pas que tu la vois comme ça.

Bouche-bée, j'ai du mal à faire sortir l'air de mes poumons. J'en tremble tellement je suis sous le choc. Le fait est que ce serait bien le genre de ma sœur de me faire un coup pareil. Mais cette fois-ci, elle va être difficilement pardonnable.

Il me tend un papier avec sa signature visible au clair de lune.

- C'est l'autorisation parentale pour que tu puisses allez lui rendre visite à l'hôpital.

Je ne dis rien mais arrache quand même cette formalité des mains de mon père.

Avant de claquer la porte de sa Range Rover noire toute clinquante, je fais quelque chose d'inattendu et de totalement illogique vu le monstre qu'il est ou qu'il était, peu importe.

Je lui avoue en un murmure à peine audible :

- Elle s'appelle Aimée. La fille que je vais aller voir à l'hôpital. C'est Aimée.

I don't wanna miss a thing ...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant