Chapitre 7 - partie 1

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L'attaque des fées tueuses

Zoey ouvrit les yeux. Elle se tenait exactement au même endroit, comme si rien ne s'était passé — comme si elle n'avait jamais été dévorée par un gigantesque et terrifiant miroir. Le miroir ne semblait pas avoir changé, mais il n'était plus entouré par le halo d'énergie bleue lumineuse. Il bourdonnait toujours, mais il était faible et semblait presque paisible. Elle se regarda en détail dans le miroir, et son reflet l'imita une fois de plus avec ce décalage inquiétant. Elle bougea les bras, les pieds et agita ses doigts — tout fonctionnait toujours. Visiblement, il n'y avait eu aucun accident de miroir-portation. Du moins, elle l'espérait.
« Je peux bouger maintenant ? » demanda-t-elle, en éprouvant un léger vertige.
L'agent Franken ôta son casque. « Oui, tu peux t'éloigner du M-Port si tu veux. »
Zoey se détourna du miroir et se dirigea vers la cabine d'un pas plus rapide qu'elle ne s'y était attendue.
« Ça a marché ? Je veux dire, est-ce que le miroir-port a fonctionné normalement sur moi ? Est-ce que toute ma matière est intacte ? Il n'y a pas de morceaux de moi quelque part en Afrique ? »
Elle vérifia à nouveau qu'elle était entière. Elle avait l'air plutôt normale.
« Plus ou moins », répondit l'agent Franken, sur le ton de la conversation.
Zoey ne savait pas s'il plaisantait. « Quoi ? Qu'est-ce que ça veut dire ? »
L'agent Franken l'ignora. « Allez, ouste. Je suis un homme très occupé. J'ai largement matière à travailler. » Il gloussa à sa propre blague et se mit à pianoter sur son ordinateur, un doigt après l'autre.
Avant que Zoey ait pu poser davantage de questions, l'agent Vargas lança une grosse besace sur ses épaules et l'entraîna loin de la cabine.
« Tu t'es très bien débrouillée, Zoey, fit l'agent Vargas. Il faut beaucoup de courage pour affronter le M-Port la première fois, et tu t'en es bien sortie. Maintenant, on doit y aller. Tes camarades nous attendent dans le hall d'entrée », dit-il. Puis il désigna sa poche. « Mets tes bouchons. »
Zoey s'exécuta et enfonça à nouveau les bouchons dans ses oreilles. En compagnie de l'agent Vargas, elle traversa la pièce entre des salves d'explosions et de détonations, en direction de la sortie.
Tous les étudiants les attendaient, y compris Tristan et Simon.
Tristan accourut vers elle, un demi-sourire aux lèvres, et Zoey se sentit rougir. Elle ne pouvait toujours pas croire qu'elle lui avait demandé aussi abruptement s'il avait une petite amie.
« Alors... comment ça s'est passé ? Pas trop douloureux, j'espère ? » demanda-t-il avec un grand sourire. Ses yeux noirs la scrutaient minutieusement. Elle détourna vivement le regard et retira ses bouchons d'oreilles.
« Ça fait un peu mal, et pendant un moment j'ai cru que j'allais mourir, dit-elle. Mais en fait c'était plus bizarre que douloureux. C'était l'expérience la plus étrange que j'aie jamais faite. »
« Si tu as trouvé ça bizarre, alors ce qui nous attend maintenant l'est encore plus », dit Simon en les rejoignant. Il avait la bouche pleine de chewing-gum et les mains dans les poches. Zoey fronça les sourcils en les regardant. « C'est-à-dire ? » Elle ne voulait pas avoir à utiliser un nouveau M-Port ; une fois suffisait, du moins pour aujourd'hui.
Simon ouvrit la bouche pour répondre, mais il fut brusquement interrompu par l'agent Vargas.
« Très bien, les jeunes. » La voix de l'agent résonnait à travers le hall d'entrée. « En position — vous connaissez la procédure. Dépêchons, dépêchons, vous pouvez mieux faire. »
Les étudiants se regroupèrent pour venir former une file devant un grand miroir doré. Un néon lumineux au-dessus du miroir indiquait Australie. Il y avait un petit panneau informatique sur la droite du miroir, qui ressemblait à un boîtier d'alarme.
Imitant les autres apprentis, Zoey se mit en bout de file, derrière Simon et Tristan. Elle essayait de faire comme si l'exercice était absolument normal pour elle, même si elle n'avait pas la moindre idée de ce qui était en train de se passer. Elle observa le miroir doré d'un air suspicieux, un sentiment de panique commençait à former une boule au creux de son estomac. Elle savait qu'elle ne pourrait plus jamais regarder un miroir de la même façon — pas après son expérience de miroir-portation.
L'agent Vargas jeta un coup d'œil à sa montre. « Vous avez mis cinq secondes de trop. Je vous enlève des points, mesdemoiselles et messieurs. » Les élèves, déçus, bougonnèrent.
Il remonta à grandes enjambées la file des étudiants, en les regardant avec insistance, puis il s'arrêta à côté de Zoey. « Tiens... voici ton MDF. »
Il lui tendit un poudrier rond en métal. Elle reconnut immédiatement le même objet qu'elle avait vu l'agent Lee et Tristan utiliser avant de disparaître.
Elle le prit avec précaution et l'examina. Ses bords argentés brillaient dans la lumière. Il avait le même cadran circulaire où des chiffres étaient gravés, et une aiguille pivotait sur une carte. Il était étonnamment léger et frais contre sa paume.
« C'est comme une boussole », dit-elle.
L'agent Vargas sourit. « En un sens, oui, ça ressemble beaucoup à une boussole, mais en mieux. Le MDF, ou miroir à double-face, est comme une petite version portative du M-Port. Les apprentis et les agents s'en servent pour se déplacer. Il reflète ton image réelle d'un côté, et ta destination finale de l'autre. Il utilise le schéma énergétique de la miroir-portation, ainsi que tes empreintes digitales, pour te transporter à l'extérieur de la ruche. Il faut des années pour élaborer un seul MDF. Ils sont très précieux alors ne le perds pas. »
Zoey tenait son MDF fermement serré. « Promis. »
Elle vit Stuart se retourner, en tête de file, et lui adresser un sourire méchant, comme s'il avait prévu quelque chose. Elle lui renvoya un regard noir. Elle rangea son MDF dans sa poche, au cas où il essaierait de le lui voler. Peut-être allait-il lui donner une bonne raison de lui faire passer l'envie de sourire...
« Bien », fit l'agent Vargas avec un sourire satisfait.
« Chaque grande ville autour du monde a des ancres de miroir-portation, qui correspondent à des sortes d'indicatifs de zones. Comme l'agent Franken te l'a expliqué, les ancres de miroir-portation peuvent être n'importe quelle surface réfléchissante — une fenêtre vitrée, un lac, une mare ou un autre miroir — un objet réfléchissant en un lieu fixe peut toujours être déterminé comme point d'ancrage. »
Il leva les bras et désigna le mur de miroirs. « Chaque miroir qui se trouve dans le hall principal est un port vers un pays du globe. Pour chaque pays, tu trouveras leurs principales villes. Si nous devons nous miroir-porter vers une petite ville ou un nouvel emplacement, alors la ruche la plus proche de cet endroit ouvrira une nouvelle ancre temporaire le temps de la mission. Jusque-là, tu me suis ? »
« Oui. » Zoey était bien consciente que les regards étaient rivés sur elle. Elle hocha la tête, même si certaines des informations qu'elle venait de recevoir étaient encore un peu floues.
« Surtout n'oublie pas. » L'agent Vargas haussa la voix : « — et c'est valable pour chacun d'entre vous — soyez aussi immobiles que possible lorsque vous utilisez votre MDF. Un mouvement pourrait générer une miroir-portation vers un emplacement radicalement différent. Pire encore, soyez très attentifs à ne pas mélanger votre image dans le MDF avec des reflets d'autres miroirs normaux. Ce serait catastrophique. Ce n'est pas un jouet. Maniez-le avec précaution. »
Il se dirigea vers le miroir doré et tapa quelque chose sur le petit panneau latéral. Il y eut un fort vrombissement. Puis une lumière verte s'alluma au-dessus du miroir, et Zoey entendit un cliquetis. L'agent Vargas recula. « En avant, apprentis — une mission nous attend. »
Un par un, les apprentis entraient dans le miroir et disparaissaient. La lumière verte clignotait à chaque fois, comme si elle leur donnait l'autorisation pour passer. L'agent Vargas s'était posté près de la tête « de file et disait : « Allez ! Allez ! Allez ! » à chaque fois qu'un apprenti s'avançait. 
Zoey vit Stuart pénétrer avec aisance dans le miroir. Il ne tressaillit même pas, et pour une certaine raison elle ressentit de la colère. Quand vint le tour de Tristan, il se retourna et dit à Zoey : « On se voit de l'autre côté. » Sur ces mots, il entra dans le miroir qui ondula un moment avant de l'avaler complètement.
Quand ce fut à elle de passer, elle s'arrêta devant le miroir. Elle avait toujours peur. Elle se força à regarder son reflet. Ses mouvements étaient retardés de quelques secondes, comme dans le grand miroir de la salle 1B. Cet inquiétant décalage la rendait toujours très mal à l'aise. Elle pouvait sentir les yeux de l'agent Vargas sur elle. Les autres apprentis l'avaient tous franchi comme si c'était une simple formalité. Elle ne pouvait plus reculer à présent.
Tout en se donnant du courage, elle ferma les yeux, leva le pied droit et entra dans le miroir.
Aussitôt, elle sentit que son corps était tiraillé de tous côtés comme un élastique. Puis son pied quitta le sol, et elle eut l'impression de flotter. Elle tournoyait horizontalement et verticalement. L'air fouettait son visage. Elle sentit une odeur d'océan, puis de terre et de paille mouillée. Elle gardait les yeux bien fermés — elle n'osait pas les ouvrir, de peur de se sentir mal.
Soudain, aussi rapidement que ça avait commencé, la sensation cessa. Ses pieds se posèrent à nouveau sur la terre ferme. Son cœur cognait dans ses oreilles. Quelqu'un venait-il de l'appeler par son nom ?
Elle ouvrit les yeux. Le monde autour d'elle tournait encore. Elle reconnut le visage de Tristan. Ses lèvres bougeaient, mais elle ne l'entendait pas. Ses oreilles résonnaient comme si une bombe avait explosé dans sa tête. Tout autour d'elle tournoyait de plus en plus vite. Son estomac se vrilla — elle allait vomir. Elle ne pouvait pas vomir devant Tristan. Elle se retourna brusquement, fit quelques pas, et rendit son déjeuner.
Toujours courbée en avant, elle vit une paire de chaussures noires brillantes apparaître à côté d'elle.
« Tiens, rince-toi la bouche avec ça, dit l'agent Vargas. Et ne t'inquiète pas, tout le monde vomit la première fois, même les meilleurs agents — même moi. »
Il souriait en lui tendant une bouteille d'eau. Elle était horrifiée que tout le monde l'ait vue vomir, mais elle se sentait beaucoup mieux. Une sueur froide dégoulinait le long de son dos, elle se rinça la bouche avec plaisir.
Ils se trouvaient dans un espace dégagé. La lune basse projetait une lumière grise sur toute chose, et une légère brise la rafraîchit. Des pylônes de lignes à haute tension, en forme de gigantesques T de métal, formaient une ligne droite bien distincte qui courait sur des kilomètres de chaque côté de la vallée, avant de se fondre avec l'obscurité. Elle entendit de petits craquements et grésillements au loin, et vit de minuscules éclairs bleus jaillir du sommet de l'un des poteaux, illuminant le ciel nocturne. Puis ils cessèrent, et le ciel resta d'un noir d'encre.
Une vieille grange toute biscornue était ouverte, dans l'ombre des pylônes électriques. Sa porte gisait sur le sol, il n'en restait plus que des lattes de bois pourries. La moitié du toit s'était effondrée. Toutes les fenêtres semblaient brisées, sauf une, qui brillait au clair de lune. Zoey comprit que cette vitre était la surface réfléchissante du point d'ancrage. Ils venaient de se miroir-porter par la fenêtre de la vieille grange. Elle était émerveillée et se sentait vraiment chanceuse d'avoir vécu une expérience si extraordinaire. Les adolescents normaux ne voyageaient pas autour du monde en passant par des miroirs. Elle sourit. C'était bien mieux que n'importe quel trajet en avion. C'était super.
« Tiens », dit l'agent Vargas. Il prit la bouteille d'eau vide de Zoey et lui tendit un réservoir métallique à la place.
Zoey le prit. On aurait dit une grosse bombe aérosol. Sur l'étiquette on pouvait lire Spray Anti-Fée Atomistout, le numéro 1 des répulsifs.
Elle se mit à rire en secouant la bombe. « Vraiment ? On va pulvériser ça sur des fées ? Des vraies fées ? » Elle secoua à nouveau la bouteille de spray. « Ça fonctionne réellement ce truc ? »
L'agent Vargas leva les yeux vers les lignes à haute tension. « Bien sûr que ça fonctionne ! C'est le meilleur répulsif à fées qui existe. Tu vas en avoir besoin. »
« Sans blague. » Zoey se mit à rire et ne parvint à s'arrêter qu'en constatant qu'il ne plaisantait pas. Elle regarda autour d'elle. Tout le monde avait une bombe aérosol dans la main.
Stuart s'amusait de la voir si surprise, et elle fit de son mieux pour ne pas en tenir compte. Même si elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'ils faisaient là, elle n'allait pas lui donner le plaisir de croire qu'il en savait plus long qu'elle. Quel que soit l'usage qu'il fallait faire de ce spray, elle s'en servirait exactement comme les autres. Elle garda la bouche fermée et attendit.
L'agent Vargas avait lui aussi remarqué sa confusion. « Les fées sont des mystiques hostiles, Zoey. Elles se glissent illégalement dans notre monde et répandent le mal — il n'y a rien de pire que les fées, si tu veux mon avis. D'affreuses créatures. »
« Que font-elles de si terrible ? Les fées ne sont pas petites et mignonnes, avec des ailes de toutes les couleurs ? » Zoey essayait de se figurer des fées malveillantes, mais elle ne pouvait imaginer que de belles créatures aux ailes de papillon puissent être méchantes. Dans toutes les histoires qu'elle avait lues, les fées étaient gentilles. Chaque fille voulait une fée, elle aussi.
L'agent Vargas leva les yeux vers les pylônes électriques. « As-tu déjà connu une panne de courant ? Quand plus rien d'électrique ne marche ? »
Zoey se souvint des fois où l'orphelinat se retrouvait sans électricité. C'était toujours agréable. Ils allumaient des bougies et se lisaient des histoires d'horreur jusque tard dans la nuit. C'était ses meilleurs souvenirs.
« Oui, finit-elle par répondre. Très souvent. »
« Et bien, c'est l'œuvre des fées, dit l'agent Vargas. Bien que les Inactifs soient persuadés que les pannes de courant sont dues aux orages ou que des animaux ont accidentellement court-circuité les fusibles, ce n'est pas le cas. Les fées adorent couper le courant. Les fées se nourrissent d'électricité, tu comprends, et nous devons les arrêter. Elles peuvent détruire la centrale électrique qui alimente toute une ville en quelques heures. Elles pourraient anéantir le système électrique de tout un pays en une semaine. Tu imagines un monde sans courant ? Ne t'y trompe pas. Les fées sont hostiles et extrêmement dangereuses. C'est notre travail de les vaporiser et de les capturer. »
« Capturer ? »
L'agent Vargas laissa tomber sa besace, ouvrit la fermeture éclair, en sortit un grand sac-poubelle noir et le lança à Zoey.
Elle attrapa le sac au vol. « Les capturer avec ça ? »
Elle tenait le sac dans sa main, sans trop savoir qu'en faire.
« C'est ça. Nous les capturons et nous les ramenons à la ruche avec nous. Que tout le monde prenne un sac. » Il recula et attendit que chacun ait attrapé un sac noir.
« Apprentis, nous devons agir vite. Les fées sont déjà en train de muter, et nous savons tous ce qui se produit alors. À vos bombes aérosol, les jeunes. Il y aura une récompense pour ceux qui auront capturé le plus de fées. En avant ! »
Il avança dans le champ en direction des lignes à haute tension. Les bombes dans une main et les sacs dans l'autre, les apprentis traversèrent le champ à pas lents, à la suite de leur grand professeur.
Zoey marchait près de Tristan et Simon. « Vous l'avez déjà fait, les gars ? Pulvériser et capturer des fées ? » Elle remarqua que Tristan avait deux autres bombes aérosol dans les poches avant de son jean.
« C'est la troisième fois, répondit Simon. J'ai capturé trois fées, mais c'est Tristan le vrai champion — il détient le record de l'académie du plus grand nombre de fées capturées en une seule mission. Stuart n'était vraiment pas content. Tu aurais dû voir comme son affreux visage s'est déformé. Je croyais qu'il allait éclater en sanglots. Je parie qu'il pleure comme une fille. »
« Eh ! » s'écria Zoey en feignant la colère.
« Désolé, fit Simon en éclatant de rire. Mais j'en reste persuadé. Aujourd'hui, ce sera mon tour, tu vas voir. Je vais toutes les avoir ! Ouha ! »
Il agitait sa bombe comme une arme. Il esquissait des mouvements d'arts martiaux maladroits, comme quelqu'un d'inexpérimenté qui aurait regardé trop de films de Kung-Fu.
Zoey surprit Tristan en train de la dévisager. Elle lui sourit, mais il détourna le regard. Peut-être était-il toujours gêné qu'elle lui ait demandé s'il avait une copine. Il ne semblait pas offensé ni décontenancé. En fait, il avait un petit sourire aux lèvres qu'elle ne lui avait jamais vu avant, comme s'il se réjouissait de quelque chose. Et elle croyait bien savoir quoi...
Zoey se concentrait sur la tâche qui l'attendait. Tristan était visiblement très doué pour vaporiser et enfermer les fées dans un sac — même si elle ne savait pas trop en quoi cela consistait réellement — et elle avait envie d'être aussi bonne que lui. Elle essaya donc, bien qu'elle manque un peu d'assurance, de rester près de lui pour apprendre en le regardant faire. Elle avait toujours été très douée pour rester en retrait et observer.
Ils étaient arrivés au pied des lignes à haute tension et les apprentis se dispersèrent. L'électricité bleue clignotait au-dessus de Zoey, au sommet de l'un des pylônes. Elle leva les yeux. Malgré l'obscurité du ciel, elle pouvait apercevoir les fées. Il y en  avait des centaines. À première vue, elles ressemblaient à des oiseaux perchés sur les lignes électriques, mais plus elle se rapprochait pour mieux les voir, plus elle distinguait nettement que ce n'était pas des oiseaux.
C'était les créatures les plus laides qu'elle ait jamais vues. On était loin des belles fées qu'elle s'était imaginées. Elles étaient petites comme des moineaux et recouvertes d'une fourrure marron hideuse. Elles avaient des ailes de chauves-souris marbrées de veines, des oreilles pointues et de grands yeux jaunes humides. Elles la regardaient s'en haut, tournant vers elle leurs têtes grises sans cheveux, ridées et fripées comme des raisins secs. Certaines avaient une queue, mais pas toutes. Quelques-unes pendaient la tête en bas comme des chauves-souris aux griffes acérées, tandis que les autres étaient assises les jambes croisées. Toutes mordillaient et déchiquetaient les lignes à haute tension. Elles lacéraient les gaines de leurs dents pointues et tranchantes, et mâchaient les fils électriques avant de les avaler comme s'il s'agissait d'un plat de spaghettis.
Médusée, elle vit une petite fée de la taille d'un oiseau-mouche engloutir un gros câble. Elle l'avala comme si elle aspirait une nouille, rota bruyamment puis grossit jusqu'à doubler de volume. Elle était désormais aussi grosse qu'une vache.
« Eh, vous avez vu ? demanda Zoey en désignant la grosse fée. Elle vient de grandir ! Je l'ai vue, elle est devenue comme deux fois plus grosse ! »
Tristan était à côté d'elle. « Vite, utilise la bombe avant qu'elles ne deviennent trop grosses pour qu'on puisse y arriver. »
« Hein ? »
Tristan arrosa la fée qui venait de doubler de volume d'une brume presque transparente. Elle se figea instantanément, comme si elle avait été aspergée d'azote liquide. Elle roula au sol comme une pierre. Aussitôt, Tristan la ramassa et s'apprêtait à la fourrer dans son sac lorsque Zoey lui prit la main.
« Elle est morte ? On est en train de les tuer ? »
Zoey était désolée pour la petite créature à fourrure, même si elle était effroyablement laide. « Ça ne me paraît pas correct de les tuer. Je veux dire — elles ne font que manger. »
Tristan souleva la fée pétrifiée pour la montrer à Zoey. « Nous ne les tuons pas — nous les immobilisons temporairement. Elles ne ressentent aucune douleur. Crois-moi. C'est la seule façon de les enlever sans leur faire mal. »
L'horrible petit visage de la fée était figé en une grimace, mais ses yeux se déplaçaient de Tristan à Zoey. Si elle pouvait bouger, elle était certaine qu'ils se feraient cracher au visage.
« Attends qu'elles te mordent — tu ne ressentiras plus d'amour pour elles après ça. »
Simon vaporisa une fée qui ne s'y attendait pas et la jeta joyeusement dans son sac. « Prends ça, la fée. »
« En plus elles sont vraiment très bêtes, ce qui en fait des cibles très faciles à attraper. D'habitude. Mais il y en a toujours une avec quelques neurones féeriques en plus, et celles-là sont vraiment très difficiles à attraper. »
L'air nocturne résonnait de bruits de spray. On aurait dit que l'on venait d'actionner un brumisateur géant. Les apprentis tendaient leurs bombes aérosol au-dessus de leurs têtes et aspergeaient les fées comme si c'étaient d'énormes moustiques. Certaines étaient plus intelligentes et s'envolaient avant qu'un jet de gaz ne les atteigne. Mais elles revenaient aussitôt en voletant se poser exactement au même endroit. Les fées tombaient des câbles en une douche de petites boules marron.
Une fille se mit à hurler.
Zoey se retourna pour voir une douzaine de fées se ruer vers les apprentis. Elles attaquaient férocement la fille, la mordant au visage et au cou pour lui déchirer la peau. Son spray anti-fées gisait inutilement à ses pieds. Du sang giclait sur son visage tandis qu'elles la grignotaient et lui arrachaient des touffes de cheveux. Elle battait des bras, en proie à la panique, dans des tentatives désespérées pour s'en débarrasser. Mais elles s'accrochaient à elle comme du Velcro, enfonçant leurs dents et leurs serres dans sa chair, lui arrachant de terribles cris de douleur.

MYSTIQUES : Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant