Chapitre 10

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Boomerang

« Pourquoi vous ne me croyez pas ? » Zoey regardait les agents Vargas et Ward, pleine d'espoir. Le compte-rendu qu'elle faisait lors de son retour à la ruche ne se passait pas aussi bien que Zoey l'avait espéré — elle s'était attendue à ce qu'ils la croient.
« Et vous êtes sûre de les avoir entendus utiliser le mot intruseur ? » demanda l'agent Ward pour la troisième fois. Son ton extrêmement critique faisait douter Zoey du désir réel de l'agent de la croire.
Elle poursuivit : « D'après ce que vous nous avez dit, ils étaient dans la pièce à côté de la vôtre. Est-ce possible que vous les ayez mal compris ? »
«  Je ne les ai pas mal compris », fit Zoey sur un ton exaspéré.
Elle essayait de contrôler son énervement. Elle essuya le sang de sa lèvre avec un mouchoir. « Je les ai entendus en parler plus d'une fois. Je vous dis la vérité. Pourquoi vous ne me croyez pas ? »
« Calme-toi, Zoey, fit l'agent Vargas. On essaie juste de trouver un sens à tout ça. Il y a beaucoup d'informations à enregistrer — et tu as commencé pas plus tard que ce matin. Je sais que tu veux absolument prouver ta valeur à tout le monde — tu fais peut-être un petit peu trop de zèle. Après ton combat contre la nitro-fée, puis ta miroir-portation au mauvais endroit, pas étonnant que tu sois un peu perturbée. C'est une bosse sacrément grosse que tu as sur la tête. Peut-être que ce que tu as entendu n'était pas, en fin de compte, ce que tu as cru entendre. »
Le visage de Zoey était en feu. « Ce que j'ai entendu, c'est que vous avez un traître dans l'agence — un homme. Il faisait sombre, et je n'ai pas vu son visage, alors je ne peux pas l'identifier. Mais c'est lui qui a permis à cette femme dont je vous ai parlé de voler l'intruseur. Peut-être que si vous vérifiez la ruche de Boston — »
« Celle au visage de chat — » fit l'agent Ward brièvement. Elle croisa les bras sur sa poitrine. « — la chef du groupe, d'après vous, n'est-ce pas ? Une femme sévèrement défigurée qui, selon vos dires, a réussi à se faufiler à travers l'important dispositif de sécurité de la ruche de Boston, assassiner les agents qui protégeaient l'intruseur, puis revenir sans que personne ne la voie. C'est exact ? »
« Et bien, j'ignore comment elle a fait, mais elle l'a fait », dit Zoey qui avait l'air de moins en moins convaincue à chaque instant.
« La femme disait qu'elle le détenait. Elle a l'intruseur, je sais ce que je dis. »
Les mots avaient du mal à sortir, et même elle commençait à reconsidérer ses propos. La façon dont l'agent Ward dévisageait Zoey lui fit prendre conscience que c'était sans espoir. Elle s'était sentie si importante il n'y a pas si longtemps encore. Elle se sentait fière d'avoir récolté des informations confidentielles pour l'agence, mais à présent elle était complètement découragée.
Ça n'avait aucun sens — pourquoi ne la croyaient-ils pas ? Était-ce parce qu'elle était une Égarée ? À peine cette idée lui eut-elle traversé l'esprit qu'elle commença à en être persuadée. C'était forcément l'explication. Elle doutait qu'ils aient traité Tristan ou Simon de la même façon. « L'agent Ward la scrutait d'un œil lourd de soupçons. « Bien trop zélée, vraiment. Monter des histoires de toutes pièces pour se faire bien voir est une offense grave envers l'agence. Je ne sais pas trop comment fonctionnent les orphelinats, mais ici, on ne déroule pas le tapis rouge aux menteurs. »
Zoey en resta bouche bée. « Vous ne me croyez pas ? Vous croyez que j'ai tout inventé, c'est ça ? Vous croyez que je mentirais à ce sujet ? Je saigne. Comment je pourrais faire semblant ? »
Elle sentait que ses yeux lui piquaient et elle s'efforça de les garder secs. Elle ne les laisserait pas voir ses larmes de colère. Pas maintenant. Elle releva la jambe de son pantalon et leur montra les vilains hématomes violets et rouges que l'homme avait laissés sur sa jambe.
« Et ça ? Comment croyez-vous que je me suis fait ça ? »
« Les enfants se font tout le temps des bleus », dit l'agent Ward. Elle haussa un sourcil. « Ça ne prouve rien, ma chère. »
Zoey sentit les couleurs quitter son visage. Ses lèvres tremblaient. Sa voix restait coincée dans sa gorge. Elle aurait dû se douter qu'ils ne la croiraient pas — après tout, elle n'était qu'une Égarée.
L'agent Vargas échangea un regard avec l'agent Ward, puis il regarda Zoey. « Tu es en sécurité avec nous maintenant, et c'est tout ce qui compte. Nous sommes vraiment contents de t'avoir ici en un seul morceau. »
Il fit à Zoey un sourire plein de gentillesse. « Tu peux y aller, Zoey. Nous avons entendu ce que tu avais à nous dire, et maintenant l'agent Ward et moi devons prendre un moment pour discuter plus en détail de tout ça. Nous t'appellerons si nous avons besoin d'aide supplémentaire de ta part. »
Zoey déglutit avec peine et tourna les talons sans un mot. Elle sentait que le monde autour d'elle venait de se refermer et qu'elle étouffait. Elle ne pouvait plus respirer. Ses mains étaient moites, et elle les essuya contre son jean. Elle se sentait si humiliée — les agents croyaient qu'elle était une menteuse. Comment pouvaient-ils croire qu'elle avait tout inventé pour attirer l'attention sur elle ? Comme si elle en avait besoin...
Tristan et Simon l'attendaient devant la porte.
« Alors ? demanda Simon avec impatience, comme Tristan et lui rejoignaient Zoey dans le couloir. L'agence va partir en mission impossible pour démasquer l'AD ? »
« Zoey fronça les sourcils. « L'AD ? C'est quoi encore, un nouveau miroir ? »
« Il veut dire l'agent double, répondit Tristan. Le traître. L'homme qui t'a attaquée. »
Simon vida un sac de chips dans sa bouche. « C'est évident que tu vas être promue au rang d'agent titulaire, dit-il la bouche pleine. Bon sang, tu en as de la chance. J'aurais aimé que ça m'arrive à moi. C'est vrai, tout ce que j'ai pour moi, c'est ma peau zéro défaut et ma chevelure impeccable — tu vas vite être impliquée dans des affaires top-secrètes, tu sais. Tu es la seule qui puisse l'identifier, lui et sa femme en plastique. »
Zoey s'arrêta de marcher. « Ça n'arrivera pas. Désolée de vous décevoir — mais ils ne m'ont pas crue. »
Simon cracha ses chips et faillit trébucher. « Quoi ? Tu es sérieuse ? »
Tristan baissa les yeux. « Je n'y crois pas. »
« Crois-moi. Je suis très sérieuse, fit Zoey. D'après l'agent Ward, j'ai tout inventé juste pour attirer l'attention. »
Tristan secoua la tête, il était furieux. « Cette vieille femme est sénile, oublie-la. Et l'agent Vargas ? »
« Je ne crois pas non plus qu'il m'ait crue », fit Zoey.
Toute cette expérience ressemblait de plus en plus à un mauvais rêve. Une part d'elle-même aurait voulu que rien ne se soit jamais passé. « Oublions ça, d'accord ? »
« Mais il doit te croire, insista Tristan en haussant le ton. Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez eux ? Ils doivent prendre en compte chaque information susceptible de menacer l'agence — c'est leur boulot ! Ils ne peuvent pas faire comme si rien ne s'était passé. Ce que tu nous as dit est trop important pour qu'on n'en fasse pas cas — ils doivent prévenir la direction avant qu'il ne soit trop tard. »
« Je ne crois pas qu'ils rapportent quoi que ce soit à la direction, fit Zoey. Ça se voyait rien qu'à leur façon de me regarder, comme si j'étais une vraie débile. »
Tristan resta un moment silencieux. « Alors il faut le dire à l'agent Barnes. Il nous croira. Je le sais. »
« Ouais, il faut le lui dire, dit Simon. Il nous croira, c'est sûr. »
Zoey doutait que l'agent Barnes la croie, mais comme ses amis en paraissaient convaincus, elle décida qu'elle le lui dirait. « D'accord, si vous le dites. »
« Haut les cœurs, Zoey, fit Simon. On doit toujours faire payer à Stuart ce qu'il t'a fait avec le miroir-port. »
Il eut un sourire machiavélique. « Il se prend pour le roi, et bien je peux vous dire que ses dents vont avoir besoin de couronnes après mon passage. »
Zoey éclata de rire, elle pouvait toujours compter sur Simon pour lui remonter le moral. Au moins ses amis la croyaient, c'était déjà ça. Elle n'avait encore jamais eu de vrais amis.
Suivant le conseil de ses amis, Zoey alla parler à l'agent Barnes le matin suivant. Tristan et Simon restèrent à ses côtés pour la soutenir tandis qu'elle faisait le récit des événements. Une fois qu'elle eut fini, elle resta debout à attendre qu'il se moque d'elle. Mais il n'en fit rien.
« Tu as bien fait de me le dire, fit-il. J'ai toujours dit que les opérations étaient menées de l'intérieur. Maintenant, ils vont devoir m'écouter. » Puis il sortit en trombe. Aucun des agents ne ramena plus le sujet de l'intruseur sur le tapis, mais Zoey ne pouvait se débarrasser du sentiment d'angoisse qui l'étreignait. Elle savait que ses craintes étaient bien réelles, comme une main devant son visage en pleine obscurité, elle ne pouvait pas les voir, mais elle sentait leur présence.
Elle ne s'était pas attendue aux rumeurs. D'une façon ou d'une autre, les autres apprentis avaient eu vent de son expérience avec le miroir-port, et c'était devenu une blague récurrente.
« Eh ! Attention ! La femme chat est juste derrière toi ! »
« Miaou ! Miaou ! »
« Un peu d'herbe à chats ? »
Tristan et Simon avaient dû la défendre quelques fois en distribuant des coups de pieds et des insultes. Bien qu'elle soit toujours en colère, et que sa fierté soit blessée, elle s'était efforcée d'ignorer leurs railleries. Elle avait souvent eu envie de sortir les poings, mais elle ne pouvait pas se permettre de s'attirer des ennuis.
Les agents surveillaient Zoey en permanence. Pas uniquement l'agent Ward ou l'agent Vargas — tous les agents de la ruche semblaient chargés de garder un œil sur elle. Tout le monde l'épiait. Même Mme Andrews de l'accueil lui lançait des regards inquisiteurs. Ils l'observaient constamment, d'un air soupçonneux — c'était presque comme s'ils croyaient que c'était elle qui avait volé l'intruseur.
Être sous surveillance permanente bridait ses envies de vengeance contre Stuart. Au lieu de dire aux agents que Stuart l'avait poussée, elle leur avait expliqué que c'était de sa faute — elle avait fait un faux pas et provoqué le dysfonctionnement du MDF.
Zoey n'était pas une balance, et elle préférait régler ses comptes toute seule. Stuart ne se doutait pas que Zoey attendait une occasion de se venger de lui, et il se pavanait dans les couloirs de l'agence comme s'il était le propriétaire des lieux, confiant de se savoir intouchable. C'était sa première erreur. Elle finirait bien par avoir sa revanche. Stuart allait devoir payer.

MYSTIQUES : Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant