Chapitre 2 - partie 2

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Zoey était fascinée. L'homme que les autres appelaient agent Lee rangea son pistolet dans un repli de son long manteau noir. Avec ses lunettes de soleil, il semblait prêt à défiler pour présenter la nouvelle collection de vêtements du FBI. Il était plus jeune que l'autre homme et avait des traits asiatiques. Bien qu'il soit légèrement plus petit que le premier, Zoey se rendit compte qu'il compensait en coiffant ses cheveux noirs en grandes pointes extravagantes.
« Tu sais, Barnes, on devrait serrer la bride de ces Duyens, dit l'agent Lee. C'est le troisième cette semaine. On aurait cru qu'ils comprendraient et qu'ils resteraient dans le Nexus. Oh super, mon manteau est dégoûtant maintenant. Il sort à peine du pressing ! » Il se mit à l'épousseter, visiblement consterné par son apparence.
Zoey ne savait pas trop si elle devait rire ou rester en retrait. Qui étaient ces gens ? Mais elle était ravie pour une bonne raison — ils avaient répondu à l'une de ses questions — le Nexus était l'endroit d'où provenaient les monstres.
« Je suis bien content qu'on lui ait grillé la cervelle avant qu'il n'ait pu tuer quelqu'un d'autre, fit l'homme qui répondait au nom de Barnes. Eh, qui est partant pour du poulet frit... ? »
« Et elle ? » demanda l'adolescent.
Zoey se sentit rougir.
Il était grand pour son âge, et athlétique comme un joueur de hockey. Il portait un jean, et un t-shirt blanc uni sous une veste kaki. Ses épais cheveux bruns encadraient un visage aux proportions parfaites. Son teint d'olive et ses pommettes hautes permettaient de supposer que ses ancêtres étaient amérindiens. Ses yeux noirs en amande se posèrent sur elle, et elle détourna aussitôt le regard.
Quelque chose dans ses yeux la mettait un peu mal à l'aise.
« Je m'en occupe. » Barnes sortit un téléphone portable de sa veste. « J'appelle les effaceurs — »
« Non, attendez ! » s'exclama le jeune homme. Il restait face à Zoey, une expression médusée sur le visage. « Elle lui parlait juste avant qu'on arrive. Je suis persuadée qu'elle pouvait le voir. »
Zoey sentait les battements de son cœur jusque dans sa gorge. L'odeur de pourriture flottait toujours dans l'air et chaque inspiration qu'elle prenait lui donnait l'impression d'ingérer des déchets toxiques. La salle se mit à tourner, et elle s'efforça de rester stable. Elle ne pouvait pas s'évanouir maintenant, devant ces gens, et pire encore — elle ne voulait pas non plus que ceux qu'ils appelaient effaceurs s'approchent d'elle.
« Ah bon, vraiment ? Et bien, ce serait une première », dit Barnes en laissant retomber son téléphone dans la poche de sa veste.
Les trois étrangers dévisageaient Zoey intensément, et restèrent un moment silencieux. C'était la première fois de sa vie qu'elle rencontrait des gens qui partageaient le même don qu'elle. Ils pouvaient voir des monstres eux aussi, tout comme elle. Elle avait attendu ce moment et avait tant prié pour qu'il arrive, mais il ne se déroulait pas vraiment comme elle l'avait imaginé. Ils ne semblaient pas très heureux de l'apprendre. À vrai dire, ils avaient l'air plutôt agacés qu'elle puisse elle aussi voir des monstres. Était-ce une erreur ? Qu'allaient-ils lui faire ? Devait-elle s'enfuir en courant ?
Enfin, Barnes s'avança vers elle jusqu'à la surplomber de toute sa taille, comme un professeur sur le point de la réprimander. « Dis-moi, gamine, qu'est-ce que tu as vu exactement ? As-tu vu quoi que ce soit d'inhabituel ? »
Zoey s'agitait sur ses jambes. « Mis à part le fait que vous avez réduit en cendres une chauve-souris géante — rien de très inhabituel. Bien sûr que je l'ai vue. Elle se tenait juste devant moi. Elle allait me tuer, et vous êtes apparus tous les trois. »
Le garçon jeta aux deux autres un regard qui signifiait je vous l'avais bien dit. Mais la mine qu'ils affichaient était sombre, ce n'était pas du tout l'accueil joyeux qu'elle s'était figuré. Zoey avait attendu toute sa vie de rencontrer des gens comme elle. Elle n'était pas seule. Mais le troisième degré qu'ils employaient la rendait nerveuse.
Peut-être allaient-ils l'atomiser comme ils l'avaient fait au démon.
« Et bien, pincez-moi si je rêve ! On vient de trouver une Égarée. Je suis l'agent Barnes », dit-il avant de désigner ses coéquipiers. « Voici l'agent Lee, et notre jeune compagnon ici s'appelle Tristan. Ça fait deux jours qu'on traque ta soi-disant chauve-souris géante. Elle a tué trois personnes. »
Les yeux noisette de l'agent Barnes la toisèrent. De près, Zoey aperçut une cicatrice sur son menton que recouvrait une barbe de plusieurs jours.
« Alors, comment tu t'appelles, gamine ? »
« Zoey St John. »
« Et bien, Zoey St John, est-ce possible de parler à tes parents ? » demanda l'agent Barnes.
Zoey déglutit avec peine. « Mes parents sont morts. J'habite... j'habitais avec une mère d'accueil. »
« Que veux-tu dire par habitais ? demanda l'agent Lee, en glissant sa main dans sa veste. Lui as-tu fait quelque chose ? »
Ils avaient l'air prêts à lui tirer dessus, alors Zoey se décida à leur dire la vérité. « Elle s'est transformée en monstre. Je crois qu'il s'est servi de son corps comme hôte — je l'ai tuée avec un sac de sel. »
« Tristan émit un petit grognement mais fut aussitôt réduit au silence par un regard hostile de l'agent Lee.
L'agent Barnes la toisa. « Ce devait être un démon épidermique, ils sont très difficiles à détecter — et quand on le fait, c'est généralement trop tard. Dis-moi, comment savais-tu qu'il fallait utiliser du sel contre lui ? »
Zoey prit un temps avant de répondre. « J'ai lu que les occultes utilisaient du sel pour tuer les démons. J'utilise du sel depuis des années, et jusqu'à présent ça a fonctionné. Sauf ce soir. »
Tous les démons ne sont pas les mêmes ; il te faut du feu pour tuer un démon Duyen », dit l'agent Barnes en la dévisageant.
« Et bien, tu es une jeune fille très étrange, Zoey. Comment as-tu réussi à ne pas te faire enfermer dans un asile ou tuer par des mystiques clandestins ? »
« J'ai appris à fermer ma bouche, répondit-elle brièvement, perturbée par les derniers mots qu'il avait employés. J'ai fait ce que j'avais à faire pour survivre. »
« Hmmm. » L'agent Barnes échangea un regard furtif avec l'agent Lee puis baissa les yeux. Il observait Zoey comme si elle était une espèce de criminelle.
« Et bien, on ne peut pas te laisser ici à présent, n'est-ce pas ? Tu n'es pas en sécurité. Tu vas devoir rentrer avec nous à la ruche. La direction va avoir à se creuser les méninges, mais ils finiront par décider de ce qu'ils doivent faire de toi. »
Il tendit la main et conduisit Zoey vers le bord de la plateforme.
Zoey se tortilla pour se dégager. « Une minute ! C'est quoi la direction ? Que voulez-vous dire par ce qu'ils doivent faire de moi ? Je ne suis pas un chien qu'il faut enfermer. Tout ça ressemble un peu trop aux services sociaux. Et pourquoi devrais-je venir avec vous ? Je ne vous connais même pas — vous pourriez être des tueurs en série, qu'est-ce que j'en sais ? Je n'ai besoin de personne. J'ai été seule toute ma vie et je peux très bien prendre soin de moi. »
Elle croisa ses bras sur sa poitrine avec un air de défi dans les yeux. Il était trop tard pour leur dire qu'elle n'avait nulle part où aller — elle ne voulait pas qu'ils se croient indispensables. « Je ne vais nulle part. »
L'agent Lee l'attrapa par derrière. « Tu n'as pas le choix. Tu vas te faire tuer si tu ne viens pas avec nous. »
« Lâchez-moi ! » Zoey lui donna un coup de pied dans la rotule, qui produisit un craquement satisfaisant. Il hurla et la lâcha en vacillant en arrière.
« Attends ! » Tristan s'interposa entre l'agent Lee, dans les yeux duquel brillait désormais un regard furibond, et Zoey. Il se tourna vers elle, les mains levées comme pour se rendre.
« Écoute, je sais que ça doit te paraître complètement fou, mais il faut nous croire. Nous sommes les seuls à pouvoir t'aider. »
« Je n'ai pas besoin d'aide », grommela Zoey.
« Vraiment ? Ce n'est pas l'impression que tu donnais il y a dix minutes. »
Tristan lui fit un sourire taquin. « Tu serais morte sans nous. C'est la vérité, et il y a bien plus de mystiques clandestins hostiles là dehors. Ils feront tout pour rester ici dans ce monde, je dis bien tout. Ils ne veulent pas se faire attraper et renvoyer chez eux. Une fois qu'ils savent que tu peux les voir — adios — tu es foutue. »
« Je ne suis pas un agent. »
« Pour eux tu l'es. »
Zoey semblait perplexe.
« Parce que tu es l'une d'entre nous, reprit Tristan. Tu es l'une des Septièmes. »
Zoey avait l'impression que sa bouche se remplissait de boules de coton. « Je suis quoi ? »
« Une Septième, une humaine douée dès sa naissance du septième sens. »
« Il existe un septième sens ? Sérieux ? »
« Oui, répondit Tristan. La vue, l'ouïe, le goût, le toucher, l'odorat — sont les cinq premiers. Le sixième sens est ce que tu ressens dans tes tripes, c'est ton intuition. Mais le septième sens est la capacité de voir et de percevoir le surnaturel. »
Zoey n'était pas sûre de savoir comment réagir à ce nouvel élément d'information. Pourtant, elle savait que c'était la vérité. Elle possédait ce septième sens. Elle l'avait toujours eu.
« As-tu eu la chair de poule juste avant de voir le démon Duyen ? » demanda Tristan.
« Oui. »
« Ça fait partie de ton septième sens », lui dit-il. Elle remarqua qu'il s'efforçait de ne pas croiser son regard. « Tu vas mieux comprendre, mais d'abord tu dois venir avec nous. Fais-moi confiance, tu seras bien plus en sécurité avec nous — je te promets que nous ne te ferons pas de mal. »
Zoey observa le visage de Tristan ; elle pouvait toujours déceler quand quelqu'un mentait, et ce n'était pas le cas. Elle poussa un long soupir et dit : « D'accord, je te crois. Tout ce que je possède se trouve dans mon sac à dos, alors on peut dire que mes bagages pour le voyage sont déjà prêts. Où m'emmenez-vous ? »
Ce fut l'agent Barnes qui répondit. « À la ruche. »

MYSTIQUES : Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant