La Nation Alpha
« Dégagez ! » cria Tristan en poussant Zoey et Simon à terre, au moment où une hache géante passait en sifflant à quelques centimètres au-dessus de leurs têtes.
Zoey s'aplatit sur le sol, mais quelque chose de tranchant lui entailla les mains comme elle tentait d'amortir sa chute. Elle sentit du sang chaud couler entre ses doigts. Elle se redressa prudemment, mais elle sentait toujours que de petits morceaux craquaient et se brisaient sous son poids. Elle se leva avec d'infinies précautions et regarda autour d'elle. Le sol était jonché de débris de miroir. Elle enleva une grosse écharde de verre de la paume de sa main gauche. La coupure était profonde et du sang coulait le long de son bras. Le sol tournoyait, la douleur et la nausée menaçaient de prendre le dessus, mais elle serra fermement le poing et n'y pensa plus. Elle leva les yeux.
Un humanoïde à la peau grise et haut de trois mètres, ressemblant à un mélange entre un dragon et un homme, se tenait devant elle. Son corps était musculeux et des cornes dépassaient au sommet de sa tête plate. Il balançait son épaisse queue derrière lui et dardait sur elle ses petits yeux de fouine, noirs et malveillants.
« Qu'est-ce que c'est que ça ? »
Tristan se décala sur le côté. « Un Daragon, chuchota-t-il. Un dragon sauvage — il tue tout ce qui bouge. »
La lueur fébrile qui commençait à poindre dans ses yeux, ainsi que le sang sur sa hache, étaient la preuve formelle qu'il avait déjà tué et qu'il y avait pris beaucoup de plaisir.
« D'accord, alors ne bougeons pas », murmura Simon.
À travers le feu et la fumée aveuglante, Zoey pouvait constater qu'ils se situaient dans la salle d'une immense cathédrale. Tous les luminaires avaient été écrasés et pendaient mollement au bout de leurs supports cassés. Des centaines de miroirs bordaient visiblement les murs de la salle autrefois, mais chacun d'entre eux était complètement explosé et le sol était jonché de morceaux de verre coupants et dangereux.
Zoey commençait à s'asphyxier, à cause de l'odeur de viande brûlée. Des plumes parsemaient le sol sur sa droite. À quelques mètres d'eux, un corps gisait dans une mare de sang, sous un tas de plumes — le Sestram. Puis elle aperçut quelque chose qui lui donna un haut-le-cœur. Les restes brûlés de personnes humaines, la peau carbonisée et noire comme du charbon, étaient entassés près du mur.
« Apparemment, il n'a pas chômé, fit Simon. Et il a aussi détruit tous les miroir-ports. » Il désignait les centaines de miroirs brisés qui longeaient la grande salle.
« C'est pour ça qu'on a atterri dans la boutique, reprit-elle. Personne ne peut se miroir-porter ici. »
Zoey était incapable de déterminer depuis combien de temps les miroirs étaient brisés, mais elle espérait que c'était arrivé après que l'agence avait envoyé de l'aide.
« La créature savait ce qu'elle faisait, dit-elle à voix basse. Quelqu'un lui a dit de briser tous les miroirs. Quelqu'un la contrôle — »
« Attention ! » hurla Tristan.
Dans un large mouvement de balancier, le Daragon lançait à nouveau sa hache sur eux. Elle s'abattit comme un gigantesque boomerang tranchant.
Zoey s'écarta du passage d'un bond, au moment où la hache s'écrasait sur le mur derrière elle. Elle se releva et se rua de l'autre côté de la pièce en même temps que Tristan et Simon.
En trois grands bonds, le Daragon avait traversé la salle et arrachait sa hache profondément enfoncée dans le mur. Il épousseta les morceaux de plâtre et les gravats que la hache avait délogés et se retourna pour les affronter à nouveau.
« Combien de temps peut-on jouer à ce petit jeu avant qu'il finisse par nous tuer ? » dit Simon en reculant lentement.
« Je l'ignore », répondit Zoey. Sa main saignait toujours abondamment. « Essayons juste de ne pas nous faire tuer. »
Le mystique poussa un rugissement et s'élança vers eux en balançant sa hache d'armes d'un air menaçant. Ils s'écartèrent d'un bond au moment où la grosse lame s'enfonçait dans le sol devant eux et réduisait en poussière les carreaux de marbre.
Le Daragon sourit de toutes ses dents noires pointues. « Ich gruthic se matvis, homen. »
Sa voix grave éraillée faisait penser au rugissement d'un lion. Il bomba les muscles imposants de son torse et les regarda d'un œil mauvais comme s'il les défiait au combat.
Zoey se tourna vers Tristan. « Tu ne parles pas le mystique, si ? »
Tristan plaça un projectile dans son lance-pierres. « Non. »
« C'est bien ce que je pensais. »
Tristan regardait la bête de travers. « Mais je peux te dire une chose — elle veut nous tuer. » « Je m'en doutais un peu. »
Le mystique gronda, balançant sa hache d'armes d'un côté à l'autre pour les narguer. Ses yeux noirs les passaient nonchalamment en revue, comme s'il se plaisait à choisir qui il tuerait en premier.
« J'adorerais rester ici et gonfler les muscles ridicules de mon torse devant cet homme-dragon, dit Simon en faisant les gros yeux, mais est-ce que quelqu'un a un plan ? »
« Vise sa tête », dit Tristan. Il se déplaça furtivement et tourna autour de la créature. « Si on attaque tous en même temps, on pourrait peut-être l'assommer — je crois que c'est notre meilleure chance. »
Les doigts tremblants, Simon glissa une boule métallique dans le cuir de sa fronde. « Les amis — vous savez que je vise très mal. La pression ne me réussit pas bien. Et c'est vraiment trop de pression pour moi, là. »
« Détends-toi, Simon », fit Zoey. Elle était nerveuse et faisait basculer son poids d'une jambe à l'autre pour se calmer du mieux possible.
« Je suis hyperactif — je ne sais même pas ce que se détendre veut dire ! » se lamenta Simon.
Tristan se prépara. « Bon, les amis — à trois... »
Zoey dirigea son boomerang vers la tête de la bête.
Le Daragon pencha la tête sur le côté en les dévisageant, et elle se demanda s'il avait compris ce qu'ils avaient l'intention de faire. Il dévoila ses dents. On aurait dit qu'il souriait. Il s'amusait beaucoup.
« Un... » compta Tristan, la sueur ruisselant sur son visage.
« Heureusement qu'il ne crache pas du feu, dit Simon avec optimisme. Je veux dire, on a de la chance de tomber sur un homme dragon qui ne crache pas du feu, non ? »
« Deux... »
Zoey retenait son souffle.
« Trois ! »
Deux boules métalliques et un boomerang fendirent l'air et vinrent frapper la tête de la bête. La créature chancela un instant, et Zoey sentit un élan d'espoir en récupérant son boomerang. Mais le Daragon retrouva son équilibre et baissa les yeux. Sa lèvre supérieure esquissait un sourire méchant, et dans un rugissement assourdissant, il projeta son arme sur le sol en agitant les bras dans une rage folle.
« Je crois qu'on n'a réussi qu'à vraiment le mettre en colère », dit Simon.
Il recula d'un pas. « C'est mauvais signe, non ? Que croyez-vous qu'il va faire maintenant ? »
« Je ne sais pas, Simon », répondit Tristan d'un ton sec.
Comme pour lui répondre, le Daragon tendit les bras, agita ses poignets, et deux boules de feu aussi grosses que des pastèques se formèrent dans ses paumes.
Zoey sentit le sang quitter son visage. « C'est génial », dit-elle en regardant Simon.
« Je croyais que tu disais qu'il ne crachait pas de feu ! »
Simon haussa les épaules. « Il ne l'a pas craché — il l'a fait apparaître. »
« Quelle différence ? s'énerva Zoey. Ça reste du feu ! »
Le Daragon eut un rire méchant et lança ses deux boules de feu.
« Écartez-vous ! »
Zoey bondit sur le côté, et les boules de feu crépitèrent en la frôlant avant d'exploser sur le mur derrière elle. Le mur fut aussitôt couvert de flammes, comme s'il avait été aspergé d'essence au préalable.
Ses yeux se remplirent de larme sous la chaleur des flammes. Elle savait qu'elle aurait pris feu comme le mur si l'une des boules l'avait atteinte.
« Par ici ! » s'époumona Tristan.
Il enjamba un corps et se rua dans le couloir à l'opposé du Daragon. Simon et Zoey le suivaient de près.
Le sol tremblait sous leurs pieds tandis que d'autres boules de feu explosaient comme des grenades tout autour d'eux. Des morceaux de plâtre pleuvaient du plafond et les arrosaient dans leur course. Tout en toussant sous les décombres, Zoey jeta un coup d'œil derrière elle. Le Daragon avait cessé de lancer des boules de feu et les poursuivait ventre à terre en agitant sa hache d'armes comme un forcené. Ils avaient quelques secondes d'avance, mais le mystique les rattrapait vite.
Ils traversèrent le couloir, gravirent quelques escaliers roulants et arrivèrent à un croisement au bout d'une galerie.
« À gauche ou à droite ? » demanda Zoey en essayant de reprendre son souffle.
Soudain, des hurlements retentirent au fond du couloir de gauche. Puis une série de craquements, de coups et de claquements déchirants résonnèrent comme des feux d'artifice. Une femme poussa un cri, puis plus rien — le silence.
Sans un mot de plus, tous trois tournèrent à gauche et se précipitèrent en direction des cris. Ils débouchèrent dans un vaste amphithéâtre ovale. De lourds rideaux rouges maintenaient les bords de la salle dans l'obscurité, et des rangées de sièges en demi-cercle faisaient face à une scène.
« Nous arrivons trop tard, dit Simon en remarquant un corps allongé au sol dans une mare de sang. Ça a déjà commencé. »
Zoey se rendit compte que l'auditorium était jonché de cadavres qui avaient été pulvérisés à la tête lors d'une exécution sommaire. Des taches de sang maculaient les murs, et le sol en marbre était souillé de rouge. On n'entendait aucun gémissement, aucun appel à l'aide, juste le silence. C'était un massacre, un bain de sang sans merci. Aucun survivant n'était en vue.
Une envie de vomir la submergea, et elle ravala son malaise. Elle n'avait jamais vu autant de morts auparavant. Elle devait se montrer courageuse.
Elle découvrit deux corps supplémentaires assis sur les sièges de la rangée du fond. Ils ne présentaient aucune trace de sang ni blessure visible. Ils étaient assis, la tête légèrement penchée en avant, le regard tourné vers le plafond. Leurs visages étaient déformés par la terreur, comme s'ils étaient littéralement morts de peur. Ces gens n'étaient pas morts des mains du Daragon — ni d'aucun mystique d'ailleurs — alors qui les avait tués ? Elle connaissait déjà la réponse.
« À quoi ressemblent les Alphas ? Je ne voudrais pas tuer l'un des nôtres. »
Zoey serra soudain son boomerang, en proie à un accès de rage. Elle avait oublié toutes les blessures de ses combats précédents.
Tristan secoua la tête et serra les mâchoires. « Je n'en ai jamais vus. Tout ce que je sais, c'est qu'ils sont comme nous. Ce sont des Septièmes — sauf qu'ils ne sont pas du côté de l'agence. »
« Je n'en ai jamais vu, moi non plus », dit Simon. Il enjamba précautionneusement les cadavres en s'efforçant de ne pas regarder leurs visages. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher.
« Ce n'est pas comme si les Alphas étaient les meilleurs amis de l'agence. Ils ressemblent très certainement à n'importe lequel d'entre nous — c'est pour ça que personne ne leur a jamais vraiment prêté attention — on ne se doutait pas qu'ils se révèleraient de vrais psychopathes. »
« C'est vrai. » Zoey regarda autour d'elle pour voir si elle reconnaissait certaines des victimes. Elle craignait que l'agent Barnes fasse partie des morts. Puis elle réalisa qu'ils avaient oublié quelque chose.
Zoey dévisagea ses amis. « Les gars — où est le Daragon ? »
Simon bondit, alarmé, et Tristan jeta un coup d'œil dans le couloir.
« Il est parti, dit-il, l'air surpris. C'est étrange. Pourquoi a-t-il arrêté de nous pourchasser ? »
Une petite lueur rouge passa soudain en un éclair sur la joue de Zoey. Puis un signal lumineux s'attarda sur sa cuisse et elle fut comme poignardée par une lame incandescente qui vint terminer sa course dans le siège derrière elle. Elle poussa un cri de douleur et se jeta à terre derrière une rangée de fauteuils. Tristan et Simon se plaquèrent sur le sol à côté d'elle. D'abord, elle crut qu'ils avaient été attaqués par des mystiques, mais en levant les yeux elle réalisa à quel point elle se trompait.
Une douzaine d'hommes et de femmes moulés dans des costumes rouge sang taillés à la perfection se tenaient sur la scène de l'auditorium. Les hommes avaient tous le crâne rasé comme à l'armée, et les femmes avaient les cheveux rassemblés en chignons serrés ou en queues de cheval. Ils avaient tous l'air de s'amuser — comme si ce n'était qu'un jeu, et qu'ils étaient déjà sûrs de gagner. Tous, à l'exception d'une seule d'entre eux, brandissaient de lourdes armes automatiques.
La femme sans pistolet avait des cheveux noirs et une peau laiteuse. Elle tendait sa main droite devant elle, et au-dessus de sa paume flottait une sphère rouge brillante, comme une pomme suspendue à des fils invisibles. Le sourire glacial de la femme envoya des frissons dans le dos de Zoey.
Puis un homme que Zoey avait cru mort se leva au beau milieu de l'amphithéâtre. Il commença à remonter l'allée en boitant en direction de la sortie. Zoey ressentait la tension et le désespoir qu'elle lisait sur le visage de l'homme.
La femme à la sphère descendit calmement de la plateforme et se dirigea vers l'homme. Il gémit en la voyant, et dans une ultime tentative vaine pour sauver sa peau, il accéléra le plus possible. Mais ce n'était pas suffisant, et la femme lui bloqua le passage.
« Non ! s'écria l'homme. Non, s'il vous plaît, ne faites pas ça ! Pitié ! »
La femme sourit et leva la sphère vers son visage. Soudain, un rayon de lumière rouge jaillit du globe et vint frapper l'homme au niveau des yeux. Son expression se déforma de façon grotesque, passant de la peur à une terreur comme Zoey n'en avait encore jamais vu. Puis il se figea comme une statue.
La femme éclata de rire et poussa légèrement l'homme, du bout du doigt. Il bascula sur le sol, comme un arbre mort, et ne bougea plus.
« C'était vraiment troublant, chuchota Simon, qui donnait l'impression d'être sur le point de vomir. Il est mort de peur. On ferait mieux de sortir d'ici avant que cette cinglée décide d'utiliser son affreuse boule à neige contre nous. »
« Il faut croire que ce sont eux, les Alphas, non ? » dit Zoey.
Elle détourna le regard, le temps de vérifier sa blessure à la cuisse. Du sang trempait son jean, mais la plaie semblait superficielle.
« J'en ai bien l'impression, répondit Tristan. Maintenant qu'ils nous ont vus, ils vont venir par ici — et j'ai le pressentiment qu'ils ne sont pas là pour parlementer. »
Simon fronça les sourcils. « Et bien, ils se sont habillés pour l'occasion. On dirait qu'ils avaient un thème commun — rouge sang. »
« La couleur du meurtre. »
Les Alphas traversaient l'atrium d'une démarche assurée, formant une ligne horizontale parfaite. Ils regardaient avec dégoût les victimes à leurs pieds — comme s'ils avaient mérité de mourir. La haine de Zoey à leur égard monta d'un cran — ce n'étaient pas des Septièmes — ils n'avaient rien à voir avec les Septièmes de l'agence. Ces soldats assassins semblaient tuer pour s'amuser et pour le plaisir de voir les autres souffrir. C'était eux, les véritables monstres.
« Nous devons sortir d'ici et trouver l'agent Barnes », souffla-t-elle.
« Il est hors de question de tous les combattre — et en arrière, il y a un Daragon sur notre route quelque part dans les couloirs. »
Tristan la regarda. « Cet endroit est immense. Ça va nous prendre des heures pour tout fouiller. Savons-nous seulement où nous allons ? »
« Non, mais nous n'avons pas le choix, si ? » fit Zoey.
Les Alphas avaient déjà parcouru la moitié du chemin qui les séparait de leur cachette.
« Ils arrivent, et ils vont nous tuer dès qu'ils seront ici. Il faut faire demi-tour. J'ai aperçu des escaliers près de l'entrée de l'amphi — ça veut dire qu'il existe un autre niveau — peut-être que l'agent Barnes y est. Il nous faut vérifier. »
« N'importe où sera mieux qu'ici, fit Simon en glissant un œil entre deux sièges. Si nous voulons bouger, c'est le moment ou jamais. »
Avec un dernier regard en direction des Alphas, ils bondirent et se ruèrent vers la sortie. Des balles sifflèrent à leurs oreilles et mouchetèrent les murs au-dessus de leurs têtes. Ils se baissèrent sans s'arrêter de courir. Le couloir s'étrécit, et les escaliers furent en vue.
Ils y étaient presque lorsque le Daragon fit irruption dans le couloir en face d'eux.
Ils s'écartèrent d'un bond comme la bête projetait son énorme hache d'armes. En coup de vent, telle une faux dans un champ de blé, la lame passa au-dessus de la tête de Zoey. Elle tomba à terre, sur un tapis d'échardes et de morceaux de plâtre. Elle se redressa péniblement, la bouche pleine de poussière et une douleur lui déchirant l'épaule.
« Zoey ? Qu'est-ce que tu fais là-bas ? » lança Simon en reculant lentement devant la grosse bête.
« Moi ? » Zoey se mit à tousser dans la fumée. « Pourquoi êtes-vous si loin ? Moi, j'ai sauté. »
Tristan et Simon se trouvaient d'un côté du Daragon et elle était de l'autre. Elle cligna des yeux à travers la poussière et aperçut les escaliers droit devant.
Le Daragon hurla, tournant la tête de tous les côtés pour les garder tous à portée de vue. Il projeta violemment sa queue derrière lui, et de la bave jaune apparut aux commissures de ses lèvres. Il faisait tournoyer sa hache d'un air amusé, pour les narguer. Cette fois, on aurait dit qu'il avait plus l'intention de les découper en morceaux que de les brûler vifs. Il se délectait de leur détresse.
Zoey était incapable de penser à quoi que ce soit d'intelligent, à part des manœuvres qui impliqueraient automatiquement qu'elle se sacrifie. Or comment pourrait-elle aider l'agent Barnes et l'agence si elle était morte ?
Tristan semblait lire dans ses pensées.
« Va-t'en ! Va chercher l'agent Barnes pendant qu'on occupe le Daragon », dit-il.
« Quoi ? Non ! s'écria Zoey. Je ne vous abandonne pas. Hors de question. »
« Si, il le faut », la pressa Tristan.
Il arma son lance-pierres. « Tu n'as pas le choix, Zoey. Tu es la plus proche des escaliers. Ne t'inquiète pas — on gère — Simon et moi, on va s'en sortir. »
La voix de Zoey flanchait.
« Mais je ne peux pas — je n'irai nulle part sans vous, les gars. » Elle plongea son regard dans le sien.
Mais elle savait que Tristan avait raison — elle avait l'opportunité de s'échapper et d'aller chercher de l'aide. Elle devait la saisir.
Le Daragon, froid et calculateur, regarda Zoey un instant puis reporta son attention sur Simon. Mais, comme s'il savait quelle menace il devait le plus craindre, il finit par se tourner vers Tristan. Il le toisait, mijotant quelque chose, et Zoey crut apercevoir un horrible sourire se former sur son visage.
« Il veut m'affronter, fit Tristan calmement. Les Daragons adorent combattre des adversaires valeureux, et j'imagine que c'est mon cas. »
« Quoi ? Mais pourquoi ? fit Zoey. Pourquoi toi et pas nous ? Tristan, s'il te plaît, ne tente rien d'héroïque — ça n'en vaut pas la peine. »
« Je dois le faire. C'est notre seule chance », dit Tristan.
« Pour le moment, je suis sa principale menace. Je suis plus fort que vous deux, alors il me considère comme un défi à sa taille. Les Daragons sont très arrogants — il veut se prouver qu'il est plus fort que moi. »
« Il est plus fort, dit Zoey. Je sais ce que tu veux faire. Arrête de chercher à être courageux et réfléchis. C'est de la folie. Il crache du feu — tu t'en souviens ? Tristan, ne fais pas ça. »
« Il le faut. Va-t'en, Zoey — ne t'inquiète pas — nous ne serons pas loin derrière toi. »
Zoey cligna des yeux pour en chasser la poussière. « Promis ? »
Tristan sourit. « Promis. »
Elle regarda Simon, qui avait blêmi et tournait au vert. « Simon ? »
« Ça va aller, Zoey, vas-y. » Sa voix se brisa. « Je suis sûr que Tristan sait ce qu'il fait — j'espère. »
« Zoey, va-t'en ! insista Tristan en préparant son lance-pierres. Vite avant qu'il ne change d'avis et décide de te rattraper. »
Tristan s'avança comme pour accepter le défi du mystique.
Le Daragon grogna en signe d'accord. L'adversaire était valeureux. Il leva fièrement la tête et contracta tous ses muscles.
Zoey s'éloigna de ses amis et se précipita vers les escaliers. Elle dévala les marches quatre à quatre sans jamais s'arrêter pour regarder en arrière. Tristan irait bien — tous les deux s'en sortiraient — il le fallait.
Elle franchit la porte de l'étage supérieur, courant à perdre haleine comme si elle avait la mort aux trousses, mais son pied trébucha contre quelque chose et elle s'étala.
Le choc avait coupé sa respiration. Elle tenta douloureusement d'inspirer tout en cherchant fébrilement ce qui l'avait fait tomber. Elle avait trébuché sur un corps sanglant qui gisait au beau milieu du couloir. Elle ne pouvait plus rien faire pour lui à présent. Elle se redressa et se remit à courir.
« Zoey ! »
Zoey s'arrêta net. Elle connaissait cette voix. Elle se retourna et ses genoux se dérobèrent lorsqu'elle réalisa que le corps n'était pas mort.
« Agent Barnes ! » Elle s'agenouilla près de lui. « C'est l'agent Stokes le traître ! Je l'ai découvert ! J'ai reconnu sa voix — il essaie de voler l'intruseur. Il va l'utiliser contre nous ! »
L'agent Barnes saignait du nez et d'une plaie béante au ventre.
« Oh mon Dieu, j'ai cru que vous étiez un cadavre. » Zoey appuya sur sa blessure pour faire cesser le saignement. Ses yeux lui piquaient.
« Zoey, écoute-moi, fit l'agent Barnes d'une voix rauque. Tu as raison à propos de l'agent Stokes. C'est lui qui m'a fait ça. »
Il marqua un temps de pause. « Il m'a pris par surprise et a attrapé l'intruseur. Je n'ai pas pu l'en empêcher. Mais toi — tu dois l'arrêter. »
« Moi ? Mais comment ? bredouilla-t-elle. Je ne suis pas un agent. »
« Zoey, écoute-moi attentivement. Tu dois détruire l'intruseur. »
Son visage était livide. « Avant qu'il ne soit trop tard. »
Zoey déglutit. Son estomac se noua, mais elle savait qu'elle se devait d'essayer.
« Comment ? Comment faire pour le détruire ? »
« Je l'ignore — par le feu ? Fais tout ce que tu peux pour les empêcher d'ouvrir le portail. »
L'agent Barnes se mit à tousser. Du sang couvrait ses lèvres lorsqu'il reprit la parole.
« L'agent Stokes est stupide — il croit qu'il fait le bon choix — mais il est manipulé. Il est juste trop bête pour s'en rendre compte. Tu dois l'arrêter avant qu'il ne donne l'intruseur aux Alphas. Une fois qu'ils l'auront ouvert, ce sera trop tard pour tout le monde. Tu dois l'arrêter, Zoey. Il le faut. »
« D'accord, je ferai de mon mieux. » Elle espérait avoir l'air convaincante.
Elle regarda l'agent Barnes. « Restez ici et ne bougez pas. Je reviens avec de l'aide. Je vais chercher Tristan et Simon. »
Elle se leva, mais l'agent Barnes l'attrapa par la cheville avec plus de force que ce dont elle l'aurait cru encore capable.
« Pas de temps à perdre. Vas-y. Oublie-moi — ça va aller, la pressa-t-il.
L'intruseur est plus important que ma vie. Le sort de ce monde dépend de sa destruction. Tout le reste est secondaire, même moi. Tu dois le comprendre. Maintenant, vas-y. »
Zoey regarda autour d'elle, au désespoir. « Où ça ? »
« Ils sont sur le toit. Reviens sur tes pas et prends les escaliers. Allez — vas-y maintenant ! »
Zoey essuya la sueur sur son visage du revers de la main. Elle ne voulait pas que l'agent Barnes meure. En le regardant une dernière fois, elle s'élança dans les escaliers et fit cap vers le toit.
Elle puisait sa force dans sa colère — l'agent Stokes allait payer. Elle allait lui faire payer.
Une fois arrivée en haut des escaliers, elle poussa les portes. Le ciel était d'un bleu profond, et un soleil orangé se couchait à l'ouest. Une brise légère caressait son visage bouillant. Les lumières de Londres scintillaient comme des diamants tout autour d'elle. C'était magnifique.
Le toit était un gigantesque rectangle. Le bourdonnement des ventilateurs de l'air conditionné du bâtiment couvrait le bruit de ses pas. Elle se cacha derrière le tuyau d'une soufflerie et jeta un regard alentour. Son cœur manqua un battement.
Une femme squelettique vêtue d'un costume haute couture noir se tenait au milieu du toit. Elle portait un chapeau mou à larges bords garni d'une plume rouge, du genre que Zoey n'avait déjà vu que sur les mannequins d'une boutique de mode. Le visage de la femme était aussi déformé et tiré que dans ses souvenirs. C'était Mme Dupont. Elle tenait quelque chose dans ses mains et l'admirait amoureusement. Était-ce l'intruseur ?
Un homme se trouvait avec elle — c'était celui qui avait enfermé Zoey et ses amis dans le sous-sol et tué Mme Andrews et le vieil homme.
Zoey se recroquevilla derrière le tuyau de la soufflerie. L'homme était immense et costaud, et il avait un pistolet. Si elle se rapprochait, elle pourrait l'atteindre à la tête avec son boomerang. Mais même si elle avait suffisamment de chance pour se débarrasser de lui — il restait toujours la sinistre Mme Dupont. Zoey la suspectait d'être elle aussi une mystérienne — peut-être même était-elle à moitié Daragon. Avait-elle des super pouvoirs comme Tristan ?
Ces suppositions lui semblaient fortement probables. Elle espérait que Tristan et Simon avaient plus de chance qu'elle. Elle retint son souffle et rejoignit en rampant le tuyau d'aération suivant. Mme Dupont et l'homme n'avaient pas bougé, mais elle était toujours trop loin pour bien viser. Elle se baissa et se rapprocha le plus silencieusement possible. Elle était à présent suffisamment proche pour entendre le murmure de leurs voix. Elle saisit fermement son boomerang et visa.
Mais quelque chose la frappa dans le dos.
Zoey tomba à genoux en lâchant son boomerang.
Ce qui l'avait frappé recommença. Elle sentit sa cage thoracique se casser sous la force du coup, et elle s'effondra à terre en proie à une insoutenable douleur.
« Alors, c'est toi qui nous espionnes », lança une voix furieuse.
Clignant des yeux à travers ses larmes, elle leva la tête. L'agent Stokes siffla. « L'Égarée — tu as déjà essayé de faire échouer mes plans, et tu m'as fait passer pour un imbécile malhonnête auprès de ma maîtresse. »
« Vous y arrivez très bien tout seul », cracha Zoey.
Il la gifla au visage du revers de la main, et elle sentit le goût du sang dans sa bouche.
Zoey lui lança un regard assassin. Elle n'avait qu'une envie, venger l'agent Barnes.
« Et bien, tu as échoué », il ricana, « et maintenant je vais te tuer. »
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MYSTIQUES : Tome 1
ParanormalTOME 1 : Le septième sens. Jeune orpheline de quatorze ans, Zoey St John est une adolescente ordinaire douée de facultés extraordinaires - elle peut voir des monstres. Mais lorsqu'elle fait la connaissance d'une société secrète appelée l'Agence, do...