Chapitre 15

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Suspendue

Dès que Zoey, Tristan et Simon réapparurent à la ruche, l'agent Vargas les attendait. Ses muscles étaient contractés et il leur lança un regard assassin. Zoey se fit toute petite en le voyant.
« Vous ! » tonna-t-il. Son visage rouge était défiguré par la colère et Zoey pouvait presque voir la fumée sortir de ses oreilles. Il ne parvenait à parler que par phrases hachées, comme s'il risquait de perdre tout contrôle de lui-même s'il ne mettait pas de l'ordre dans ses mots.
« Vous ! Suivez — moi — problèmes ! »
Tous trois suivirent l'agent d'un air piteux. Ils commençaient à accuser le manque de sommeil, et Zoey devait se concentrer pour empêcher ses paupières de se fermer. Elle ne cessait de se cogner contre Tristan, qui n'arrivait pas à tenir le rythme car il soutenait Simon d'un bras. Comme un sergent-major, l'agent Vargas descendit le couloir et maintint la porte de l'académie ouverte pour les laisser passer. Si ses yeux avaient pu lancer des rayons laser, Zoey était certaine qu'elle aurait été brûlée vive.
Une fois qu'ils furent entrés dans la classe, elle put apercevoir par les fenêtres que le soleil venait à peine de se lever à l'est, au-dessus des collines et des arbres. Elle se dit qu'il devait être sept ou huit heures du matin. Les cours n'avaient pas encore commencé. Dieu merci. Il aurait été mille fois plus humiliant de se faire enguirlander devant toute l'académie.
Le ventre de Zoey se tordit lorsqu'elle aperçut l'agent Barnes. Il se tenait contre le mur du fond, derrière le bureau de l'agent. Ses bras étaient croisés sur son torse, et il avait l'air aussi livide que l'agent Vargas. Cette fois, elle avait vraiment l'impression qu'elle était sur le point de vomir.
« Assis ! » ordonna l'agent Vargas, et Zoey sursauta. Une grosse veine tressaillait sur son front, et son visage paraissait prêt à exploser. Tous trois s'assirent en silence et baissèrent la tête. Zoey était certaine que tout le monde pouvait entendre son cœur cogner dans sa poitrine. Elle essaya de déglutir, mais sa gorge était trop sèche. Elle n'osait pas regarder Tristan et Simon — elle garda les yeux baissés. Qu'allait-il leur arriver ?
Les poings serrés, l'agent Vargas faisait les cent pas dans la pièce.
« Je ne sais même pas par où commencer. C'est d'une imprudence tellement grossière, c'est incroyable. Non, mais je rêve ! Comment mes propres apprentis peuvent-ils faire preuve d'une telle irresponsabilité ? Comment avez-vous pu vous montrer si stupides — si insensés ? N'avez-vous pas pensé aux répercussions que la ruche risquait de subir ? Non ! Bien sûr que non ! Vous ne pensiez qu'à vous ! »
Zoey leva les yeux et retrouva l'usage de la parole. « Tout est de ma faute, agent Vargas — »
« Silence ! » tonna l'agent. Il resta un moment silencieux, faisant son possible pour maîtriser sa colère.
« Imaginez l'état de panique dans lequel se sont retrouvés vos parents en découvrant vos lits vides ! Leurs enfants — évanouis — disparus. Ils ont cru que leurs garçons avaient été enlevés ! »
Zoey n'avait plus sommeil. L'intensité de la situation envoyait de l'adrénaline dans tout son corps — à moins que ce ne soit sa culpabilité qui la submerge ? Elle était certaine que les choses ne pourraient qu'empirer à chaque seconde. Elle essaya d'attirer l'attention de l'agent Barnes, mais il évitait son regard et se concentrait sur l'agent Vargas. Elle se sentait seule au monde.
« Ils ont immédiatement appelé l'agence, poursuivit-il, et nous ont demandé si nous savions quoi que ce soit sur votre disparition. »
Ses yeux se posèrent sur Zoey. « J'avais des doutes, mais quand nous avons vérifié ta chambre et que nous avons constaté ta disparition — alors j'ai compris où vous étiez allés tous les trois — là où je t'avais formellement interdit d'aller — là où même les agents ne sont pas autorisés à se rendre ! Tu m'as désobéi ! Tu es allée à l'encontre de l'agence ! » Sa voix était forte et son visage devenait de plus en plus rouge. Il posa ses mains sur le bureau de Zoey et baissa les yeux sur elle. Des gouttes de sueur dégoulinaient sur ses tempes. « Dois-je en déduire que c'est toi, l'instigatrice de tout de désordre ? Je n'ai jamais eu aucun problème avec Tristan ou Simon jusqu'à ce que tu arrives. »
La lèvre inférieure de Zoey tremblait, et les larmes gonflaient ses paupières.
« Oui. C'est moi. Tout vient de moi. » Puis elle ajouta aussitôt : « Ce n'est pas de leur faute, agent Vargas. Je les ai forcés à venir avec moi. Ils ne voulaient pas venir, mais je leur ai fait du chantage. »
« Tu les as forcés en leur faisant du chantage ? Vraiment, et comment ? »
« Je leur ai dit que s'ils ne venaient pas — alors nous ne serions plus amis », mentit-elle.
Ces paroles lui faisaient mal en sortant de sa bouche. Tristan se tourna pour la regarder et secoua la tête, articulant silencieusement le mot non. Mais elle l'ignora.
« Alors vous voyez — ils sont innocents. Je suis la seule à blâmer. C'est moi qui ai fait ça, pas eux. C'est moi qui ai enfreint les règles. Je n'ai pensé qu'à moi. »
Elle prit une profonde inspiration. « J'accepterai n'importe quelle punition. Je ne me plaindrai pas. »
L'agent Vargas haussa les sourcils. « Oh, vraiment ? Vraiment ? »
« Oui, fit Zoey. Vous pouvez m'enfermer dans une prison et m'affamer, me torturer — je le mérite. »
« Arrête de dire des bêtises », dit l'agent.
Sa voix se radoucit et il sembla se détendre un peu. « Nous ne torturons pas les jeunes filles — même si elles désobéissent aux règles et mettent en danger la vie de leurs camarades. À quoi pensais-tu ? Vous auriez pu vous faire tuer. »
« J'avais besoin de savoir si l'agent Scott m'avait dit la vérité à propos de ma mère », répondit-elle.
Elle inspira en tremblant. « Il fallait que je le sache. Je n'ai pas pu m'en empêcher. »
Zoey vit une opportunité et la saisit. « Mais nous nous en sommes sortis, et nous avons appris des informations très importantes. »
« Quelles informations ? » L'agent Barnes s'avança lentement vers eux, les bras toujours croisés. « De quelles informations parles-tu, Zoey ? »
À la fois Simon et Tristan approuvèrent ses propos en hochant la tête. Elle prit une profonde inspiration et raconta aux agents les Grohémoths des marais, le gang des farfadets et, plus important encore, l'emprisonnement de la femme nommée Elizabeth et le rôle de la Nation Alpha.
L'agent Vargas n'en croyait pas un mot.
« D'abord tu nous racontes des fadaises à propos d'une femme bizarre au visage déformé qui aurait volé l'intruseur — et maintenant ça ! Pourquoi inventes-tu tous ces mensonges ? Dans quel but fais-tu ça ? »
Zoey se ratatina dans son siège. Ses mots ne sortaient pas. Elle avait un besoin si désespéré qu'ils la croient, mais elle savait que c'était une cause perdue.
Tristan leva la main. « Attendez une seconde, agent Vargas, ce que dit Zoey est — » commença-t-il. L'agent Vargas le fit taire d'un geste brusque de la main.
« Tu n'es pas autorisé à parler tant qu'on ne te le demande pas, Tristan. » L'agent Vargas semblait sur le point d'avoir les naseaux qui fument. « Je me suis engagé pour toi, Zoey, dit soudain l'agent Barnes. À quoi pensais-tu ? Comment as-tu pu me laisser tomber comme ça ? »
Ses mots étaient comme des couteaux plongés dans son cœur. Ses yeux lui piquaient et la pièce devenait floue. Elle ne comprenait pas pourquoi ce que l'agent Barnes pensait d'elle lui importait tant. Il n'était pas son père. Et ce n'était pas comme si c'était la première fois qu'elle se faisait gronder par ses parents d'accueil — pourquoi était-ce différent cette fois ?
« Mais c'est la vérité », était tout ce qu'elle fut capable de dire sans donner libre cours aux larmes qui menaçaient de ruisseler sur ses joues. Elle regarda l'agent Barnes, mais il fixait le sol en fronçant les sourcils.
« La vérité ? Connais-tu seulement le sens de ce mot ? » L'agent Vargas s'était remis à faire les cent pas.
« Je ne sais pas quoi faire de tout ça. Comprends bien une chose, Zoey, la direction sera avertie de tes actes. Nous avons une réunion à propos de cette mésaventure dans la matinée — et je doute qu'elle tourne en ta faveur. »
Il tendit sa grosse main vers Tristan et Simon qui se recroquevillèrent sur leurs sièges, l'air coupable. « Vous deux, vous allez retourner dans vos familles aujourd'hui. Vous êtes suspendus pour la journée. »
Puis il se tourna vers Zoey. « Quant à toi, Zoey St John, tu es suspendue jusqu'à nouvel ordre. »

MYSTIQUES : Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant