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Le tout commence en Septembre 1973.

À l'époque,je n'avais absolument aucune idée de la guerre qui faisait rage au Viêt Nam,encore moins de qui elle opposait et de pourquoi elle y était.Je venais de commencer une deuxième année de collège,et je me foutais totalement de ce qu'il se passait à l'autre bout du monde.J'ignorais même où se trouvait le Viêt Nam.On ne parlait pas de ces choses à la maison,et à l'école,j'avais mieux à faire que d'écouter les professeurs.

Un matin,je me suis réveillée à la bourre pour aller à l'école,tellement que j'avais déjà ratée le premier appel.Je me sentais mal,mais en même temps,la grande majorité des élèves de ma classe n'en avait rien à carrer d'arriver à l'heure en cour,et les professeurs ne se donnaient même plus la peine de prévenir leurs parents.Ils se contentaient de donner avertissements sur avertissements,puis d'abandonner en voyant que ça ne servait à rien.

Alors,j'avais pris mon temps plus qu'il ne le fallait pour me préparer,j'avais mis mes fringues préférées et m'étais même maquillée.C'était rare que j'étais seule à la maison et je me demandais vraiment si je n'allais pas tout simplement rater toute la journée.

Mais,sans trop que je sache pourquoi,j'avais sentis que je devais y aller.Alors,vêtue de mes plus beaux pantalons et de ma plus grande blouse,j'avais enfilé mes basket et étais sortis dehors.Il me semble qu'il faisait froid,mais je ne pourrais l'affirmer.

J'avais remontée la rue et avais pris un chemin différent de celui que j'empruntais habituellement,sans réfléchir.Je sentis que ça me mènerait quelque part.

J'avais entendu une voix,pas particulièrement belle,mais forte et qui portait dans le vent jusqu'à mes oreilles.Quelques choses comme:''En marche,Camarades!Nous devons agir au plus vite!Le massacre doit cesser!''Et je m'étais retournée,pour l'apercevoir:Un mec de mon âge environ,peut-être un peu plus vieux,qui était,de loin le plus moche que j'avais jamais vu.Son visage était singulier:Une bouche très rouge et charnue disproportionnée par rapport au reste du visage,un nez trop long et crochu et des yeux d'un brun fade aux paupières lourdes et tombantes,le tout encadré de longs cheveux châtains sans éclats qui lui arrivaient aux épaules.Il était maigre comme un clou et flottait dans une veste rose et mauve de vieille dame.Mais malgré sa laideur,il s'agissait de la personne la plus étrange,atypique et...géniale que j'avais jamais rencontré.Il portait des tracts tendus au dessus de sa tête,déjà bien plus haute que celle du commun des mortel,et continuait à vociférer:''Réagissez!Levez-vous!Qu'est-ce que vous attendez?!Des enfants brûlent à l'instant même et vous ne levez pas le petit doigt pour autre chose que boire votre putain de thé!''Ça y est,j'étais séduite.Il semblait vraiment en colère,et je me sentais connectée à lui,moi qui avais si souvent l'impression de parler dans le vide,de ne pas vraiment exister aux yeux des autres.Je voulais lui parler,apprendre à le connaître,qu'il m'enseigne comment laisser libre cour à ma colère,comment crier ma rage à la gueule des autres.Je voulais être comme lui.

J'avais rebroussé chemin et l'avais entendu siffler entre ses dents:

-Putain...Ça sert à rien,personne m'écoute...Bande de cons...

-Moi,je t'écoutes.

Merde,ç'avait pris dix ans avant que ses yeux descendent jusqu'à moi.Il m'avait fixé un instant en ayant l'air de se demander ce que je pouvais bien foutre là.Et puis,il avait vu mes yeux.

-Merde,petite,tu as les yeux de David Bowie!

Comme vous pouvez l'avoir remarqué,j'ai les yeux verrons.Vers mes sept ans,je me suis battu avec Joey,qui a évidemment gagné du haut de ses 12 ans et de ses 5 pieds 1.Joey a toujours été très grand pour son âge et plutôt fort,au plus grand bonheur de mon père qui trouvait très drôle de le voire me donner une bonne raclée au moindre prétexte.À une époque,c'était le jeu préféré de mon connard de frère:Me taper dessus en s'assurent que ma mère n'en sache jamais rien.Sauf qu'un jour,après avoir reçu un coup plutôt costaud,je suis mal tombée et me suis évanouie.Mon père croyait que je faisais semblant pour que Joey arrête de me frapper.Ils m'ont laissé choir là jusqu'au retour de ma mère.C'est elle qui ma amenée à l'hôpital même où j'étais née en métro,parce qu'appeler une ambulance coûtait trop cher.Résultat: Commotion cérébrale,et une dilatation constante de la pupille gauche,qu'on appel aussi une Mydriase permanente.Beaucoup trouvent ça très drôle et j'ai même parfois reçu des compliments en rapport avec ça,mais moi,je trouve surtout que ça me donne l'air de loucher.Et surtout:Ça me rappel que mon crétin de père et mon connard de frère m'ont déjà laissé à moitié morte sur le tapi du salon,et que si j'y étais vraiment passée,ç'a n'aurait rien changé pour eux.Ou plutôt si;ça les aurait bien arrangés.

Je n'avais rien répondu,quelque peu refroidie par sa réaction.Il avait semblé s'en rendre compte.

-Tu dois en voire des réactions stupides comme celle-là,hein?

-En effet.

Et puis,je m'étais rappelé pourquoi je voulais lui parler.

-Au fait...Pour quoi tu milites,au juste?

-Bah,pour la guerre du Viêt Nam,tiens!

-La guerre du...?

Mais je n'avais pas continué,me collant une mine sinistre de circonstance sur le visage.À 13 ans,la dernière chose dont tu as envie,c'est d'avoir l'air con aux yeux des autres.Et s'il s'était rendu compte que je n'avais aucune idée de ce dont il parlait,j'aurais eu l'air plus que conne.Je comprenais vaguement qu'il n'y avait rien de bien là-dedans.Je savais ce qu'était une guerre,tout de même.On parlait beaucoup de la seconde guerre mondiale,à l'école,et maman m'avait souvent racontée qu'elle était née pendant un bombardement.

-Ouais.Évidemment,ça n'intéresse personne dans cette bande de petits bourgeois de merde trop contents de leur situation plus que confortable.C'est sûr que c'est facile,pour eux,de s'en foutre.Mais,tu sais quoi?Moi,mon père,il est au Viêt Nam,en ce moment.Au Nord-Viêt Nam.Il est infirmier pour l'Armée populaire,et des horreurs,il en voit tout les jours;Des choses pires que tout,des choses que tu peux même pas imaginer...

Je buvais ses paroles.Merde,il n'arrêtait donc jamais de parler?

-...Les Amerloque détruisent le pays avec leur Napalm,et même quand tout ça sera fini,il faudra tout reconstruire,et je parle pas juste du matériel...

Je n'avais rien compris sur le coup.Ce que disait ce mec m'échappait complètement mais me fascinait à la fois.Comme lorsqu'on ralentit pour voire s'il y a du sang dans l'accident,vous voyez?Ça m'horrifiait mais en même temps,j'avais envie d'en savoir plus.

Finalement,il avait cessé de monologuer et m'avait tendu un tract:

-Il y a une manif',dimanche prochain.T'es une fille intelligente,j'aimerais que tu y sois.

J'avais hésité.

-Ouais...

-Tu y seras?

-Ouais,sûr.

-Moi,c'est Tom

-Lau.

Et j'avais tourné les talons,serrant le pamphlet si fort dans ma main que j'avais fini par le déchirer.

Je suis arrivé juste à temps pour le dernier appel de la journée.

Les lunettes de John LennonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant