19

12 1 3
                                    

Entre 74 et 77 est venue une période des plus étranges où je tentais tant bien que mal de me construire en faisant fît de celle que j'étais vraiment;à savoir,une névrosée psychotique et droguée de surcroît.Pareille comme ma mère.
À vrai dire,ces années restent atrocement floues à ma mémoire.Mais je sais que je n'étais pas heureuse. Pas heureuse du tout.À vrai dire,j'étais plus mélangée qu'autre chose.Je me cherchais sans jamais arriver à me trouver,sondant les nuages de fumée et toutes les lignes de poudre que je m'envoyais sans jamais trouver de réponses à mes questions.
Ouais,j'avais commencé la coke.Ho,vraiment pas grand chose,et je savais depuis le début que cette dope n'était pas fait pour moi.Trop violente,trop coupée et surtout trop chère.Moi,ce qu'il me fallait,c'était quelque chose pour calmer mes angoisses,qui me permettrais de faire abstraction de moi quelques instants.Mais bon,pour le moment,je me contentais d'accepter tout ce qu'on me proposait,peu importe ce que c'était ou si ça pouvait me tuer.
Évidemment,les mecs n'étaient pas en accord avec mes choix et tentaient tant bien que mal de me comprendre,ce qui devenait de plus en plus compliqué,étant donné que je ne me comprenais moi-même plus.Voilà d'ailleurs une autre chose qui avait changé:Mon rapport avec les garçons.Je veux dire,mes frères avaient toujours été là pour moi et m'avaient aidé du mieux qu'ils le pouvaient lorsque j'en avais besoin,mais...Je ne sais pas;plus je vieillissais,plus je leur en voulais de justement toujours être .Je les adorais,évidemment,mais j'en avais marre qu'ils prennent pour acquis que je ne pouvais pas me débrouiller seule.Exemple:Lorsque nous sortions dans les bars et que je flirtais avec un mec que je trouvais de mon goût-Yan et moi ne nous prenions pas la tête avec des histoires de fidélité et de loyauté-,les mecs ne pouvaient pas-ne pouvaient pas- s'empêcher de s'interposer entre nous deux,comme si j'étais incapable de détecter un mec sain d'esprit d'un malade qui cherchait à me découper en morceaux.Allons,bon,à 13 ans,ça passait,mais à 16?J'avais appris,et je n'étais plus retombé sur un détraqué du genre de Seth depuis cette soirée chez Jesse.Et pourtant,mes frangins s'obstinaient à intervenir lorsqu'ils m'apercevaient avec un mec qui leur était inconnu,ce qui sabotait plus souvent qu'autrement mes tentatives de ramener le type dans mon lit.
Alors,face à cette situation frustrante,comment croyez-vous que je réagissais,avec ma maturité légendaire?Et bien je boudais.En fait,j'essayais,mais ça foirait inévitablement.Parce que j'avais besoin d'eux,merde.

Je me souviendrai toujours de la fois où j'avais bien failli tout foutre en l'air.
C'était une soirée comme les autres,et j'étais sur le point de quitter l'appart avec un beau mec d'à peu près l'âge de Yan.Joli comme un cœur,les cheveux en cascades,il n'avait pas eu besoin de grand chose pour me convaincre de le suivre jusqu'à chez lui.J'avais même pas entendu les pas précipités qui nous poursuivaient dans la cage d'escalier.
C'est rendu dans la rue que je m'étais aperçu qu'on nous avait suivi.Des cris,derrière nous.Je m'étais retourné et avais lancé un regard qui,je l'espérais,découragerait quiconque ayant l'intention de m'empêcher d'agir comme bon me semblais.Les mecs étaient là,au milieu de la rue,l'air de tous se demander quoi faire exactement,Dan piétinant en tête de troupe.
Je sais, c'est stupide, mais en les voyant tous là à patauger dans les flaques d'eau comme des cons,un étrange et douloureux mélange d'attendrissement et de colère m'avait envahis.J'y pouvais rien,c'était comme ça.Je les aimais.
Mais pour l'instant,mon animosité passait bien avant l'amour que je leur portais. J'avais craché:
-Qu'est-ce que vous foutez là?!
C'est Tom qui, d'une voix qui s'excusait d'avance, avait lâché:
-On...Ben,on voulait savoir...
Avant même qu'il ne finisse sa phrase, je l'avais coupé agressivement:
-Vous vouliez savoir quoi?Hein,Tom?Si j'allais bien?Si je savais ce que je faisais?
-Ben...
-J'ai quel âge,Tom,tu pourrais me le rappeler,s'il-te-plaît?
Je sais, je sais, c'était vraiment mesquin de ma part de m'en prendre au pauvre Tom qui n'avait, au fond, rien fait de mal et qui se pissait presque dessus d'angoisse.
-Lau,je te jure,je voulais pas...Je leur avait dis,aussi,que tu...
-Mon âge,Tom!Je veux mon âge!Aller!
Il avait baissé la tête, mortifié et honteux.
-16 ans...T'as 16 ans...
-Précisément.Et à 16 ans,t'étais où,Tom?Hein?T'étais où?Tu faisais quoi?
Silence. Le beau mec nous fixait,intrigué. John était intervenu:
-Lau,faut pas nous en vouloir,aller... Tu comprend,avec ce qui est arrivé,chez J...
J'avais balayé ses excuses pourries du revers de la main et l'avais totalement ignoré:
-Répond!
Tom, le regard toujours rivé sur le bitume inondé,avait marmonné:
-Je faisais la même chose que toi...
Satisfaite,j'avais hoché la tête et approuvé:
-Exactement.
J'avais vaguement entendu l'un d'eux-Probablement Dan- baragouiner:
-Merde,Lau,aller quoi...
J'avais grondé:
-Foutez-moi la paix!
Et je m'étais empressé de tourner les talons,avais agrippé le bel inconnu par le col de la chemise pour l'embrasser à pleine bouche,juste sous leurs yeux affligés.Bras dessus bras dessous,le beau mec-dont je n'ai jamais connu le nom- et moi nous étions éloignés,lui plutôt excité et moi faussement candide et enthousiaste à la pensée de la nuit qui s'annonçait.
Mais si je vous disais la vérité,et rien que la vérité,je vous avouerais que j'avais perdu mon envie de baiser au moment où nous avions tournés le coin de la rue,laissant disparaître l'image de mes pauvres frères qui n'avaient cherchés qu'à me protéger.
J'avais joué à la morte pendant six mois complet,refusant systématiquement de répondre à la porte ou au téléphone.J'avais même arrêté la dope sans trop de peine.Pendant six mois,je n'étais allé à aucune soirée et avais fais de très gros efforts pour oublier ce monde,mon monde;cet univers qui était le mien et qui grouillait à l'extérieur des mures entre lesquels j'étais constamment cloîtrée.J'étais allé à tout mes cours et avais consentis à y participer un minimum,ce que j'avais arrêté de faire depuis une éternité.J'avais même partiellement renoué avec Lisa.
J'avais fais tout ce qui était en mon pouvoir pour me faire croire que la vie que je menais depuis presque trois ans alors n'était pas faite pour moi,que j'étais infiniment mieux dans celle à laquelle j'étais destinée à la base,que j'arriverais un jour à m'y faire et à être heureuse.
Mais la vérité,c'est que j'ai jamais été aussi malheureuse que durant ces six mois.

Les lunettes de John LennonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant