Connerie

6 1 0
                                    

La faible lumière du soleil qui filtre à travers les rideaux mangés aux mites accrochés à l'unique fenêtre de ma chambre me tire doucement d'un sommeil dont j'ai encore atrocement besoin.Après ma crise d'hier soir,j'étais épuisée.Et je le suis encore.

Puis,sans crier gare,la fin de la soirée me revient à l'esprit avec une violence et un cruauté inouïe.Je me souviens brutalement de notre connerie,à Tom et à moi,et je ne peux m'empêcher de me replonger sous ma couette de honte.Je pense:"Merde,on n'aurait jamais du faire ça!Qu'est-c'que j'ai foutu?!Putain,qu'est-c'que j'ai foutu?!",alors que je sens une présence à mes côtés,et un souffle profond et régulier.Du mouvement.Puis,je sens une grande main calleuse se poser sur mon ventre creux et vide.J'en ai le souffle coupé par l'énervement et l'émotion.Dan faisait ça.Quand on s'endurait encore,à l'époque où on couchait encore ensemble,je veux dire.Il mettait sa main sur mon bas-ventre,doucement,et ça me rendait toute chose,ce petit contacte doux et simple,alors que rien ne l'était jamais.

Puis,je me rappelle:Ce n'est pas Dan.C'est Tom.Tom!Et alors que j'essaye de me ressaisir,de me persuader que je suis une horrible personne,que ce que j'ai fais à ce pauvre Tom est affreux,ce dernier grogne et se rapproche un peu plus de moi,si bien que je peux clairement sentir son haleine de clope froide et de lager.Bon sang,il était saoul comme un coing!Mais bien sûr!Comment ne m'en étais-je pas rendu compte?!Du coup,ça me calme un peu.Ça me rassure même de savoir qu'il n'était pas dans son état normal quand nous avons fais ça.

Mon coloc semble trouver le contacte de ses doigts sur la peau trop pâle de mon ventre insatisfaisant et tâtonne un moment sur cette zone inconnue,les sourcils froncés,l'air un peu étonné malgré le sommeil.Je crois qu'il cherche des poils.Je sais que je devrais le réveiller,que j'aurais dû le faire dès mon réveil,pour que le malaise et l'horreur soit dissipé le plus rapidement possible,qu'on n'en reparle plus jamais au grand jamais,mais rien à faire;Je n'arrive pas à m'y résoudre.Je retiens mon souffle et tente d'ignorer le chatouillement de ses doigts se baladant librement sur mes côtes décharnées.

Nouveau grognement.Respiration plus sifflante.Je l'entend marmonner,la voix presque suppliante,comme s'il n'y croyait pas lui-même:

-John?...

-Non...

Ouverture des énormes phares bruns fades de Tom,déjà pleins de larmes salées.Il relève la tête vers moi,et même si je prend la peine d'éviter soigneusement son regard,je peux sentir l'horreur qui se lit sur son visage.Interloqué,il articule,la bouche apparemment pâteuse(Dure gueule de bois,Tom?):

-Lau?!

Bon,c'en devient ridicule.Je tourne la tête vers lui et baragouine,honteuse:

-Ben oui...

-Mais qu'est-c'qu'on...

Et soudain,ses yeux s'écarquillent encore plus,si c'est possible,et il reste là à me fixer,la bouche encore grande ouverte.

-On a...

À la vue de ma mine déconfite,il reprend son rôle de grand-frère(eurk)-en-contrôle-de-la-situation qui lui allait si bien avant,et retire subitement sa main de mon ventre,comme si elle brûlait,et la ramène d'un geste très vif vers lui.Enfin,pour un mec en pleine gueule de bois,s'entend.

-Écoute,Lau...

-Non,non,ne parle pas,Tom.Je t'en pris,ne parle pas.

Moment de silence.Je fixe mes doigts.Je n'arrive toujours pas à croire qu'on a fais ça.Avec...Tom!?Une violente envie de me laver la langue et les yeux à l'acide me prend à la gorge.Mais je me retiens.Je soupire.Aller.

-Bon...Tom,écoute...J'étais pas bien,t'étais bourré...C'était con de notre part...

Il hoche vigoureusement la tête,ce qui semble lui foutre un mal de crâne si puissant qu'il arrête immédiatement en grimaçant.Il bafouille avec un aplomb étonnant:

-Exactement.

-Et ça...Ça ne se reproduira plus!

-Tout à fait!

-Plus jamais!

-Ho non!

-Jamais!

-Jamais!

-Voilà!

-Ouais,voilà!

D'enthousiasme,nous nous prenons dans nos bras,trop contents que nous sommes d'être si facilement en accord avec l'autre.Et je me rend soudain compte que c'est la première fois depuis un bon moment qu'on arrive à se parler sans avoir envie de nous crier des insultes par la tête.La dernière année a été dure pour lui comme pour moi,et c'est fou à quel point il m'est facile d'oublier que,sans lui,je ne serais rien.

Après un certain temps,on se sépare,et Tom finit par sortir du lit,laborieusement.Il piétine quelques secondes,au pied du matelas,nu et visiblement gêné de sa maigreur et de ses membres trop longs.En pointant la porte du menton,il bredouille:

-Je vais...Euh,je vais aller..Tu voies...

Et même si je ne voies pas du tout,je souris d'un air étrangement serein et fais:

-Tom,t'es vraiment trop con.Aller,va.

Il s'enfarge dans ses propres jambes et finit par sortir de la pièce,me laissant seule avec mes mains qui tremblent et ma fausse paix d'esprit.Je crois qu'il s'en va vomir,à voire son teint verdâtre et sa gueule de déterré.Ou peut-être que c'est juste ma sale tronche qui lui fait cet effet.

Je m'allume une clope entre deux bruits de vomissures.

Les lunettes de John LennonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant