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À partir de cet après-midi béni,j'ai passé une grande partie de ma jeunesse dans cet appartement miteux qu'était celui de John.

Cet appart,c'était mon chez-moi,ma vraie maison,où vivait ma vraie famille:La bande.Car il s'agissait de cela:Une petite famille,sans parents.Juste des frères et une sœur,orphelins,seuls au monde et heureux.Plus je les connaissais,plus je m'attachais,m'identifiais à eux.Et très vite,je suis devenue l'une des leurs,comme si j'avais été là depuis le début.

Je portais maintenant des jeans moulants,et j'avais économisée sur l'argent des courses pour m'acheter des bottillons à hauts talons,en cuir noir,vraiment tout ce qu'il y avait de plus classe,et tant pis si j'avais dû me priver de Glengettie pendant un mois entier.Ces bottes,je les adorais,et je ne sortais nulle part sans elles.Comme une partie de moi.Mes jeans aussi étaient devenus comme une deuxième peau,il n'était plus question pour moi de porter mes vieux pantalons de fillette,j'aurais eu l'air de quoi?

Et pourtant,c'était vraiment con,toute l'importance que je donnais à ma manière de m'habiller.Je croyais vraiment que ça allait m'aider à m'intégrer alors que je l'étais déjà.Je voulais absolument être comme eux alors qu'ils ne l'avaient jamais exigé,loin de là.Les mecs de la bande ne me mettaient aucune pression pour que je change,je le faisais de moi-même,malade de stress que j'étais à l'idée qu'ils puissent encore me prendre pour une gamine.Alors je changeais de peau,et j'étais tellement fière de me trimbaler avec tout mon attirail...Les gens se retournaient maintenant sur mon passage et ça me rendait folle de joie,pleine d'une énergie et d'une fierté que je n'avais jamais ressentis avant,à l'idée qu'on me remarquais enfin.C'était géniale.

Vrai,que l'apparence prenait une place importante dans nos vie,mais pas d'une mauvaise façon,loin de là.Même si les mecs aimaient prendre soin de leur allure,se grimer et se mettre en valeur,ils étaient le contraire absolu de la superficialité.Et ils se ressemblaient tous un peu,en étant à la fois totalement différents les uns des autres.

Yan ne portait jamais de jeans,que des robes,des jupes ou,très rarement,des pantalons pattes d'éléph' en velours côtelé,et il avait toujours aux pieds une paire de pompes,en cuir noire évidemment,à bouts pointus qui faisaient très fifty.Tom était le plus effacé,côté style-Il se contentait de vieux jeans élimés et de chemises psychédéliques-,mais c'était peut-être juste car il était complètement éclipsé par celui de John,qui préférait de loin les chemisettes à franges et les bottes de cow-boy à hauts talons,qu'il portait hiver comme été.Dan,lui,n'avait plus quitté ses Dr.Marten rouges depuis qu'il les avait acheté,il y avait un an de cela.Il en était littéralement fou,les cirant religieusement dès qu'il en avait l'occasion et les laçant inlassablement,avec leurs lacets de couleurs différentes;il avait une véritable collection de lacets,tous de couleurs et de longueurs différentes.Dan était le plus maigre des quatre,ce qui n'était pas peu dire,et c'était également le plus jeune après moi,il lui arrivait donc de recevoir les vieilles fringues des trois autres.Alors,lorsqu'il portait un des vieux pantalons de Tom ou de John,il se contentait de passer un de ses nombreux lacets dans les ganses,comme une ceinture.

Et avec ma nouvelle vie venait bien sûr de nouveaux sentiments qui m'étaient alors inconnus,comme l'attirance,par exemple.J'avais craqué sur Yan,et,coïncidence merveilleuse:Lui aussi.Enfin,c'est ce qu'il s'entêtait à répéter,sans pour autant agir avec moi en tant que tel.Le problème,qu'il me disait,c'était justement qu'il me prenait encore pour sa petite sœur."Tu n'es même pas encore une femme!Regarde-toi,tu es minuscule,à peine formée!Attend encore un peu,Lau,ça vaut mieux pour toi."Et moi,ça me mettait dans tout mes états,lorsqu'il me disait ça.Ça me plongeait dans une colère noire,d'être encore et toujours pris pour une mioche,à cause de ce physique ingrat.Je savais ce que je voulais;Je le voulais,lui.Lui et pas un autre.Je le trouvais magnifique,attirant et atrocement sexy avec ses robes,son visage fardés et ses aires très efféminés.Je ne comprenais pas pourquoi il voulait attendre,même s'il me l'expliquait clairement,je ne voyais pas pourquoi ça valait mieux pour moi d'attendre,alors que je savais déjà que c'était lui que je voulais,lui plus que n'importe qui.À l'époque,j'étais persuadée que c'était avec lui que je voulais passer le reste de mes jours.J'étais même prête à me marier,à devenir une brave petite ménagère,bien domptée et docile.J'étais prête à abandonner les jeans et ne porter que des claquettes,si seulement il acceptait de sortir avec moi.

Et pour lui plaire,pour qu'enfin il cesse de voire en moi la fillette qu'il avait cernée lors de notre première rencontre,je voulais encore plus qu'avant grandir,moi qui n'étais même pas encore réglée.Et le soir,dans mon petit lit d'enfance,je priais,oui,je priais,pour enfin découvrir au petit matin la fameuse et tant attendue tache rouge au fond de ma culotte,qui prouverait enfin,à mon sens,que j'étais devenue une femme,une vraie.

Mais mon corps ne voulait rien entendre et s'obstinait à rester lui-même,soit petit,maigre comme un clou et informe.Je n'avais même pas besoin de soutien-gorge,ce que je trouvais être le comble de l'humiliation,alors que Lisa,elle,en portait fièrement depuis ses onze ans.Et elle n'était pas la seule,c'était plutôt l'inverse.Je ne demandais pas grand chose,pourtant.Je ne voulais pas d'énormes seins,mais au moins un petit quelque chose,juste pour dire que j'en avais!C'était une obsession,chez moi,ces seins inexistants.Je rêvais d'une poitrine,et j'en devenais malade de jalousie à voire celles de mes camarades de classes,qui en avaient toutes plus que moi.Je désespérais,et pourtant,ce n'était pas ma faute.J'avais héritée de la morphologie de ma mère,qui était petite et très menue.Même après ses deux grossesses,elle était restée très mince.Adolescente,elle me ressemblait beaucoup,en plus jolie.Moi,je n'arrivais même pas à être comme elle,mon corps refusait de grossir,même si je mangeais convenablement.J'étais condamnée à être une planche à repasser toute ma vie,et ça me déprimais énormément.Bon,avec les années,j'ai appris à m'y faire.Qu'est-ce que je pouvais bien faire d'autre?Mais,à l'adolescence,c'était un grand drame dans ma vie.Ridicule,non?

Malgré mes complexes,mon morale s'était nettement amélioré.J'imagine que le fait d'être rarement à la maison aidait ma cause.Cela me rendais triste de faire autant de peine à ma mère,qui fondait en larme dès que je m'approchais de la porte d'entrée,mais je ne pouvais rien y faire.J'avais goûtée à la liberté,et je ne pouvais plus m'en passer,n'en déplaise à mon père qui trouvait que je ne m'occupais plus asser de ma mère à son goût.J'échappais à tout contrôle,même à ceux de mes profs,pour qui pourtant je n'avais jamais entretenu d'animosité quelconque.J'avais commencée à manquer certains cours. Pas beaucoup,mais par exemple,je ne me présentais plus aux cours de Religion,préférant nettement aller lire des passages de Ainsi parlait Zarathoustra avec Tom.Ce livre,c'était notre Bible à nous.On y trouvait toutes nos réponses.Mais on aimait bien les autres philosophes aussi.Surtout Voltaire et Marx.Mais aussi Descartes,Diderot,Kant,Schopenhauer.Même qu'une fois,on avait décidé de lire certains passages de Justine ou les malheurs de la vertu de Sade,mais on avait rapidement arrêté.Trop violent.On n'aimait pas trop les idées qu'il proposait,surtout celles de la vertu par le mal.C'était ainsi que je passais mes cours de Religion:À lire de la philosophie,confortablement emmitouflée dans une lourde couette,coincée entre Dan et Yan,alors que Tom faisait les cent pas devant nous,nous faisant la lecture,scandant:"Derrière toi tes pas ont effacé leur piste, au-dessus de cette route est écrit le mot : «Impossible» (...) Pour toi, Zarathoustra, tu as voulu voir le fond et l'arrière-fond de toute chose; il faut donc que tu t'élèves plus haut que toi-même – plus avant, plus haut, jusqu'à voir au-dessous de toi-même tes propres étoiles. Oui, dominer du regard moi-même et mes propres étoiles, voilà ce que j'appellerai ma cime, voilà ce qui m'est encore réservé, voilà ma cime dernière."

j'adorais ces moments de paix,c'est moments où je ne me souciais plus d'être ni enfant ni adulte mais d'être juste...Moi.

Nous écoutions aussi beaucoup de musique.J'avais appris à écouter avec autre chose qu'avec mes oreilles.Maintenant,j'écoutais avec tout mon corps,chaque particule imprégnée de chaque note de musique,et chaque chanson devenait une véritable aventure.Et tout ça sans drogue,vous imaginez?Aujourd'hui,je serais incapable de ressentir la musique comme je la ressentais à l'époque,et c'est bien dommage.

Nous écoutions beaucoup de rock,le blanc comme le noir,du blues,et quelques artistes populaires,mais pas trop."Le pop,très peu pour nous,désolé."Trop commercial,trop répétitif,trop insignifiant.Les petites chansons d'amour bien gentilles et sans âmes nous puaient au nez.Mais quand même,parfois,certains musiciens ressortaient du lot.Comme David Bowie,évidemment.

Bowie était notre roi. Bowie était éternel. Bowie était absolu. Bowie était.

Les lunettes de John LennonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant