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Puis,un jour,la drogue est entrée dans le décor.Pour vraie,cette fois.Ce jour-là,je n'avais aucune idée qu'elle y resterait longtemps,très longtemps.Qu'elle s'incrusterait et détruirait tout pour la prochaine éternité.Pour l'instant,j'avais 13 ans,et je voulais tout essayer.C'était génial.Génial.

J'avais bien remarqué que les mecs avaient quelque chose en "plus".Parfois,ils parlaient de leur dernier trip devant moi,et ça me rendais atrocement jalouse.Ou du moins curieuse,car je ne savais pas très bien en quoi tout ça consistait.Mais jusqu'à maintenant,ils avaient toujours refusé de m'éclaircir là-dessus.Chaque fois que j'évoquais mon désir d'essayer,moi aussi,ces pilules magiques qu'ils aimaient tant,ils devenaient soudainement très renfermés,refusant systématiquement de me répondre.Alors je laissais tomber,pour revenir à la charge l'instant d'après.Je me disais que si j'insistais,si je leur faisais comprendre que c'était vraiment ce que je souhaitais,ils céderaient.

Et en effet,c'est arrivé.Un jour,Yan est venu me chercher chez nous,l'air très grave.Trop,même.Ça m'avait inquiété."Viens,Lau. On va chez John.Il a quelque chose pour toi." Je n'avais pas rouspété,trop occupée à garder mon cœur bien en place dans ma poitrine,lui qui se débattait pour en sortir.

Rendu là-bas,j'avais retrouvés les trois autres,l'air dure,la mine sombre.C'était la première fois qu'aucune musique ne venait embaumer l'air.Je trouvais ça vachement solennel.Tom me regardait comme on regarde un condamné à mort,la mine grave,les yeux un peu tristes.Je ne comprenais que dalle à toute leur mise en scène,comme s'ils croyaient que j'allais reculer.Au contraire,tout ça m'excitait royalement.J'allais enfin entrer pour vrai dans leur monde,complètement;je serais entièrement comme eux.Génial.C'était génial.

"Lau,t'en veux toujours?"

"Et comment!"

Ma réponse avait répercutée sur tout les mures de l'appart et les quatre n'en avaient paru que plus embêtés encore."Merde,les gars,c'est qu'une pilule!",que j'avais ajouté.Et je le croyais vraiment.À croire que toute la philosophie que j'avais lu ne m'avais rien apprit.Ce qui est sûr,c'est qu'elle ne m'avais pas rendu plus intelligente.

John avait prit ma main,toujours très droit et très sérieux,et je commençais à en avoir marre,de leur allures de déterrés,tout ça pour un petit trip de rien du tout.J'avais senti le comprimé rouler contre ma paume,et mon cœur essayer de foutre le camp par mon ventre.Et moi-même,je m'étais surprise à me demander "Et si je ne la prenais pas?" Mais ça s'était arrêté là.J'en avais tellement eu envie,je ne pouvais plus reculer,même si c'était apparemment ce que les mecs désirait.J'avais avalé la granule. Glop. Voilà.Et maintenant?Restait plus qu'à attendre.

Soudainement,je comprenais que la tristesse dans les yeux de Tom n'en était pas vraiment.J'y voyais plus de l'inquiétude,et du trouble.Comme s'il savait ce qui arriverait par la suite.Et,en quelque sorte,il s'agissait un peu de cela.

Les quatre autres étaient déjà en plein trip quand le mien avait commencé.Tout d'un coup,je m'étais retrouvée très loin d'eux,de tout.Et même,à mon presque-étonnement,du sol.Je flottais,mais pas vraiment en même temps.J'étais là et ailleurs à la fois.Un sentiment bien étrange et très compliqué à expliquer.Je ne me sentais pas bien mais pas franchement mal non plus.Plus déconnectée de mes émotions,vous voyez?Vous qui avez vu tant de drogués dans votre vie,vous devez savoir de quoi je veux parler,non?À moins que vous ayez déjà expérimenté?Non?Non,ça m'étonnerait.Le temps était long,je le sentais s'écouler à travers mon corps.Mon regard s'était tourné vers les mecs,collés les uns contre les autres sur le lit.J'étais allé me couler entre Yan et Dan,au chaud entre leurs bras aussi épais que des brindilles.Pourtant,le vent qui soufflait dans l'appart les laissaient indifférents.Je me sentais en sécurité.Sans savoir qui l'avait partit,le tourne-disque crachait doucement A Day In The Life.Mais peut-être bien qu'au fond,personne ne l'avait mis en marche,qu'il avait démarré et choisit la chanson lui-même,puisqu'il constituait une seule personne en lui-même.Quoi qu'il en soit,je lui offrais mes hommages pour son bon goût.La chanson m'enveloppait,me transperçait gentiment le cœur,et c'était génial.Génial.

Puis,tout était devenu rouge.A Day In The Life s'était mué en des hurlements de violons stridents.Leur grincements m'écorchaient la peau,m'écartaient les côtes pour jouer joyeusement dans mes entrailles.Tout n'était que sang,et personne ne faisait rien.J'avais peur,terriblement peur,et même si je vous décrivais toutes les choses qui me passaient devant les yeux à ce moment-là,vous ne verriez toujours pas,ne comprendriez toujours pas,à quel point j'étais terrifiée.Et j'avais mal,tellement mal...La petite fille au Napalm me hantait,ses hurlements pénétraient tout les pores de ma peau,pour aller se loger tout contre ma cervelle,confortablement,horriblement...

Et je pleurais,je pleurais...

Je beuglais si fort,si fort!Et personne ne m'entendais...Ou peut-être est-ce que tout cela ne se passait que dans ma tête?Je me débattais,essayant tant bien que mal de m'échapper des bras de Dan qui m'étouffaient...Mais aujourd'hui,je me dis que c'est une bonne chose qu'il ne m'ait pas lâché ce jour-là.

Et encore,ce sentiment de n'exister pour personne,de n'être rien,qui me poursuivais depuis toujours,cette haine de moi-même qui me collait à la peau...Rien n'irait bien,rien.Même si la bande était là,qu'est-ce que ça changeait?Ils partiraient,inévitablement:Ils comprendraient que je n'en valais pas la peine,et je me retrouverais seule.Et rendu là,qu'est-ce qu'il me resterait?

Puis,la voix de Dan s'était insinuée dans ma tête,toute petite,toute douce,rassurante...

"C'est okay,Lau...Bat-toi,débat-toi,on va rester là...Toujours...T'inquiète...Moi,j'vais être là."

Et,sans trop savoir comment il avait su,tout mon corps s'était détendu d'un seul coup,et j'avais senti les bras lentement desserrer leur étreinte,me laissant faible,chétive et épuisée.

Mon trip était fini.Les heures avaient parues des minutes,et la pièce était de nouveau tangible,mes jambes cotonneuses et ma bouche pâteuse.

Cette nuit-là,j'ai dormis à l'appartement,étendue entre les corps de Yan et de Dan.


Les lunettes de John LennonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant