Blanc Crystal (Monochrome)

Chapitre trois : Journée princière

Pour Crystal, qui s'était amusée à apprendre par cœur les plans du château, se rendre à l'infirmerie en un temps record était un jeu d'enfant. C'est ainsi que moins de dix minutes plus tard, la jeune fille était assise en face du vieux mage rose. Vieux mage qui avait l'air passablement fatigué.

- « Des engelures ? Encore ? Bon sang, Crystal ! Pourquoi ressentez-vous le besoin de jouer les acrobates à cette période de l'année ?

- J'ai besoin de me défouler et c'est mon seul moyen de vraiment faire du sport... Si j'écoutais Kélénia, mes seules activités physiques seraient la valse et les aller-retour dans les couloirs avec mes livres de diplomatie en équilibre sur la tête ! se plaignit l'adolescente en regardant le sol.

- En tant que princesse, vous n'êtes pas sensée faire autre chose ! Laissez donc cela à votre frère !, essaya-t-il de la raisonner.

- Eh bien ça ne me suffit pas, Langélier ! J'ai besoin de me défouler ! J'étouffe à force de jouer à la princesse !

- Par Kreatos, Crystal, surveillez votre langage ! Je sais que faire partie de la famille royale n'est pas toujours facile, mais vous devriez être reconnaissante d'être élevée dans d'aussi bonnes conditions ! la réprimanda fermement le guérisseur.

- Laisse Kreatos en dehors de ça, Langélier ! Soit il m'a oubliée, soit son sens de l'humour est douteux ! Regarde-moi, j'ai à peine seize ans et ce soir je vais devoir supporter une dizaine d'adolescents qui ne pensent qu'à deux choses : obtenir le meilleur accord commercial possible et leur nuit de noces ! Je vais être mariée de f...

- Vous auriez préféré naître dans une famille pauvre qui vous aurait abandonnée à la naissance ? l'interrompit-il brusquement.

- Non, mais...

- Ou à Daor, peut-être ? Cette ville d'esclavagistes où vous auriez fini dans une maison close ? »

- Je...

- Ou encore à Fiàin ? Vous savez ce qu'ils font aux nouveaux-nés blancs là-bas ? Bien sûr que vous le savez ! », dit-il en voyant le visage de la jeune fille se décomposer tandis que des images de sacrifices passaient devant ses yeux.

Crystal détourna le regard en sifflant entre ses dents. Elle avait beau savoir que le mage rose avait raison, elle acceptait toujours aussi mal d'être en position de faiblesse. Elle ne pourrait jamais faire ses propres choix, condamnée à suivre ceux qu'on lui imposait. La soudaine envie de se couper les cheveux revint la titiller, ou plutôt l'envie de se les arracher à pleines poignées. Le vieil homme passa rapidement ses mains sur les siennes et immédiatement les engelures disparurent. Puis de ses pouces, il effaça les marques noires sous ses yeux, signes de ses insomnies régulières.

- « Il ne faudrait pas que notre princesse aille au gala avec une si mauvaise mine », déclara-t-il en la raccompagnant jusqu'à la porte.

Comme prise d'un vertige, la jeune fille tapa contre l'une des armoires contenant différents composants chimiques. Bien qu'être mage rose soit assez commun, les études qui permettaient de se servir correctement de son pouvoir de guérison étaient longues. Et souvent, la population préférait avoir recours à la médecine traditionnelle. Heureusement, bien que les petits bocaux de verre tintèrent, aucun ne tomba et, quelques secondes plus tard, la porte se fermait derrière elle.

Pressée, la jeune fille accéléra le pas pour atteindre la bibliothèque, la main droite cachée dans la poche de son pantalon, dissimulant deux des bocaux du père Langélier. Ce n'était pas la première fois qu'elle se livrait à ce genre de vol, même si elle préférait se procurer les composants hors du château. En l'occurrence, il lui manquait des ingrédients pour tester l'une des formules du livre d'alchimie qu'elle avait emprunté à la bibliothèque. Mais l'heure n'était pas à ses formules et déjà les portes de la bibliothèque se dressaient devant elle. Lorsqu'elle entra, la princesse repéra son professeur de diplomatie assis sur l'un des fauteuil, aussi droit qu'à son habitude.